Développement de l'enfant

Il apprend le langage ?

Le bébé apprend le langage lors de ses interactions avec ses proches

« On a hâte d’entendre parler notre petit Martin. Même si ses pleurs changent et qu’on arrive à les décoder de mieux en mieux, il nous manque encore pas mal de clés de compréhension pour arriver à communiquer avec notre bonhomme, reconnaît Camille, sa maman. C’est parfois frustrant. D’autant plus qu’il semble comprendre beaucoup de choses. Quand je change son lange, on dirait qu’il lève les pieds exprès pour m’aider, c’est trop mignon. Quand il entend "Martin", son prénom, il tourne la tête. En fait, il tourne souvent la tête quand on lui parle, il est tellement curieux ! Certains disent qu’un si petit bébé ne comprend pas encore grand-chose, mais quand je vois ses grands yeux traversés de mille émotions et changer selon le sujet de conversation, je me dis qu’on a un petit génie coincé dans un corps de bébé, pressé de pouvoir nous raconter ce qu’il voit et ce qu’il pense ! »

Bien sûr que les bébés comprennent déjà certaines choses à 5 mois. Ils perçoivent les variations de notre voix, les intonations qui diffèrent et certains sentiments ou humeurs. Par contre, pour deviner les subtilités de chaque mot telles que nous, adultes, les connaissons, il est encore beaucoup trop tôt.

Le langage, toute une musique

Depuis la naissance, et même avant, le bébé est sensible aux voix. À la voix de sa maman, qu’il reconnaît dès ses premiers instants de vie sur terre, et à celle de son papa, qu’il a bien souvent entendue in utero. « Depuis la 28e semaine de grossesse, le bébé a déjà un potentiel qui se développe, il réagit aux sons et surtout à la voix de sa mère. Il ne capte pas les mots mais la musique particulière de sa maman, explique Myriam Piccaluga, professeure de psychologie et des sciences du langage à l’Université de Mons. Après sa naissance, quand on lui parle, le petit enfant perçoit l’interaction, la tonalité utilisée et cette musique transmise. Il perçoit d’abord une info rythmique particulière. »
Au-delà des sons et des voix des proches qui attirent le tout-petit, les visages qui produisent ces sons l’intriguent et le captivent également. Les bobines de ses parents, les sourires de sa grand-mère et même la longue langue tirée par son grand cousin sont des spectacles fascinants pour lui. « Le visage humain passionne les petits enfants. Ils sont très attirés par les mimiques faciales. On le constate tout de suite quand on leur fait des grimaces ou des drôles de têtes », ajoute Myriam Piccaluga.

Il reconnaît son prénom

Et c’est lors de ces échanges, de ces interactions que le bébé apprend le langage. Baigné dans sa langue maternelle, il s’en imprègne au fil des conversations échangées, des chansons, comptines ou histoires racontées… jusqu’à l’intégrer par petites touches. « Vers 4 mois et demi, un jeune enfant commence à réagir à son prénom. Il comprendra les mots un peu plus tard, durant la seconde moitié de sa première année. » C’est une moyenne, bien sûr. Environ 50 % des petits de 4 mois et demi réagissent à leur prénom. Les autres 50 % y répondent plus tôt ou plus tard. Idem pour la compréhension des premiers mots. Si la théorie annonce 6-7 mois, la pratique peut énormément varier d’un enfant à l’autre. Les chiffres sont toujours indicatifs, jamais à prendre au pied de la lettre.

Bébé entend, bébé intègre, bébé imite en gazouillant. Et si vous l’imitez à votre tour, vous constaterez certainement sa joie d’échanger, de « dialoguer » déjà avec vous

Ce qui est constant, par contre, c’est le processus d’apprentissage du langage. Bébé entend, bébé intègre, bébé imite en gazouillant. Et si vous l’imitez à votre tour, vous constaterez certainement sa joie d’échanger, de « dialoguer » déjà avec vous. Parfois, un code de petits sons ou gestes s’établit entre les parents et leur bébé. Certains parents appuient spontanément leurs mots par des gestes : ils disent « manger » en mettant leur main près de la bouche, « dodo » avec les mains jointes sous une oreille… Et pour ceux qui ne le font pas spontanément mais qui trouvent l’idée sympa, il existe aujourd’hui des cours pour apprendre à signer (comme dans le langage des signes) certains mots les plus courants pour le bébé : c’est fini, pipi, caca… Les bébés semblent adorer. Ce n’est pas une surprise vu le succès chez les petits des chansons à gestes telles que Dans sa maison un grand cerf, Ainsi font, font, font les petites marionnettes, Tête, épaules et genoux pieds ou encore L’araignée Gipsy.

Des comptines encore et encore

Les chansons et comptines sont d’excellents moyens d’apprendre une langue. De nombreux spécialistes le confirment. « Une langue sans berceuses, ce n’est pas une langue », déclare même le psycholinguiste Evelio Cabrejo Parra. Avant d’ajouter : « Tous les bébés ont besoin de littérature dès le berceau. Parce qu’entrer dans la langue, c’est construire la voix, la musique et la poésie. La littérature, sous forme de berceuses, de contes et de comptines, est une nécessité. » Pour lui, le livre peut déjà être présenté à un petit de 5-6 mois. À condition, bien sûr, de le choisir plutôt cartonné et de ne pas se vexer si l’enfant le tient à l’envers, tape dessus ou ne parvient pas à rester attentif jusqu’à la fin de l’histoire. Il doit d’abord faire connaissance avec cet objet de culture. Lui laisser un Ligueur dans les mains, c’est encore trop tôt !

L'AVIS DE L'EXPERTE

Non, les parents ne parlent pas « gaga » à leur bébé

Myriam Piccaluga, professeure de psychologie et des sciences du langage à l’Université de Mons

« Tu as vu le nounours, regarde le nounours, il est beau le nounours », répète une mère à son enfant. Quand un parent parle à son tout-petit, il lui parle en face-à-face, avec une certaine intonation, il lui parle de choses concrètes que l’enfant voit dans son environnement immédiat. Ici, la mère répète le mot le plus important avec une intonation particulière en le mettant à la fin de la phrase, position stratégique pour que l’enfant le retienne.
D’après les études, les parents ne parlent d’ailleurs pas « gaga » à leur bébé, c’est un mythe. Ils forment très souvent des phrases correctes avec un sujet et un verbe, en ajoutant parfois des petits mots affectifs, mais sans faire d’erreur. Et progressivement, on observe que les mamans (mais les papas sans doute aussi, NDLR) augmentent la complexité des phrases lors des échanges avec leur enfant. Elles adoptent intuitivement cette progression.
Petit à petit, l’enfant formule des vocalises. Quand le parent répète les vocalises de son bébé, une ébauche de conversation se crée. Il n’y a pas d’échange d’informations en tant que tel mais ça préfigure déjà la conversation.
Plus tard, l’enfant babille, en utilisant des duplications de syllabes : baba, doudou, caca… Des syllabes identiques sont faciles à réaliser. C’est d’ailleurs pour cela qu’on appelle les parents papa et maman.

LES PARENTS EN PARLENT…

Deux langues au quotidien 
« Pour ouvrir l’oreille de notre petite Anna, on lui parle chacun dans notre langue maternelle : moi en ukrainien et son papa en français. Je suis persuadée que c’est la meilleure façon d’apprendre plusieurs langues. Elle semble déjà comprendre certaines choses, peu importe dans quelle langue on lui parle. Par exemple, quand on lui prépare son biberon, elle montre vite sa joie ! Évidemment, elle ne parle pas encore, mais si on continue à lui parler deux langues au quotidien, je suis sûre qu’elle sera vite bilingue. »
Iryna, maman d’Anna

ZOOM

Les petites filles plus habiles au babil ?

« Oui, malgré la grande variabilité observée dans l’acquisition du langage, on constate que les filles sont souvent plus avancées que les garçons, répond Myriam Piccaluga. L’autre constante observée au niveau de l’acquisition du langage, c’est que les seconds ou les cadets ne suivent pas nécessairement le même parcours que leur(s) aîné(s). Ils bénéficient du contact avec le (ou les) plus grand(s). Les cadets semblent également plus rusés, ils comprennent par exemple plus vite que leur(s) aîné(s) ce qu’ils doivent dire ou faire pour obtenir ce qu’ils veulent. »