Développement de l'enfant
Déjà dans les mois précédents, ça bouillonnait dans la tête de votre petit bout d’homme, de femme. Et ça continue, manifestement. Ce qui se passe dans sa petite tête est d’une grande complexité. Pour Monique Meyfroet, psychologue clinicienne, dire que les bambins de 2 ans-2 ans et demi sont pris dans un « magma émotionnel » n’est pas exagéré.
C’est ce qu’illustre le petit Colin, 26 mois, qui peut exprimer ses non sur tous les tons – pour s’affirmer comme pour rigoler – et qui est à la fois agressif avec ses copains de crèche et timide avec les adultes qu’il ne connaît pas (lire le témoignage de Célia, sa maman, ci-dessous). « Ces deux comportements peuvent paraître contradictoires, mais ils sont en fait les deux côtés d’une même pièce : l’enfant exprime à la fois son désir de pouvoir et sa peur d’être dominé. C’est logique : si on est intéressé par la domination, c’est forcément ce qu’on regarde en premier chez les autres. » Alors, oui, la vie émotionnelle, à 2 ans, est tumultueuse ! Les émotions sont là à l’état brut, l’enfant les vit de manière forte, intense. « Il va devoir réguler tout cela. Ce n’est pas simple. Même les adultes n’ont pas toujours le mode d’emploi pour s’apaiser ! »
D’où des scènes révélatrices. Il n’est pas rare de voir des petits littéralement maltraiter leur doudou : ils le jettent par terre, le flanquent à la poubelle… Certains enfants se mettent à avoir la phobie des chiens. On a beau essayer de les rassurer, rien n’y fait : dans leur imaginaire, ce sont des dragons menaçants… comme eux le sont peut-être avec d’autres enfants, à la crèche par exemple. Pour d’autres, les cauchemars envahissent leurs nuits. Certains ont peur d’un monstre qui se serait glissé sous leur lit ou des mouvements que font les rideaux de leur chambre. « Cette vie émotionnelle forte n’est pas encore tout à fait nommable par l’enfant. Il ne peut pas dire qu’il a un peu peur ou très peur, qu’il est inquiet, qu’il est anxieux, qu’il se pose des questions… Ces gradations, il ne les maîtrise pas encore », observe Monique Meyfroet.
Le monde magique de l’enfant
« L’autre jour, Mila parlait à son pyjama ! Ça faisait bizarre », s’étonne (un peu) la maman de cette petite de 2 ans tout ronds. Une scène plutôt chouette pour la psychologue : « Cela montre qu’on est toujours en relation avec quelque chose. Cet enfant qui parle à son pyjama a une relation avec son pyjama. Ils partagent des choses. Pourquoi pas ? C’est un appel à un dialogue aussi, mais cela ne veut pas dire non plus qu’il faut tout le temps être dans le dialogue. Je pense que l’enfant a besoin de se formuler des choses. C’est très différent de penser des choses et de les formuler tout haut. À partir du moment où on les dit, cela prend une autre valeur, une autre densité. Ceci est vrai aussi pour nous, adultes… »
« Les jeux symboliques sont à la fois une manière de s’identifier à l’autre et une manière de s’identifier à la relation à l’autre » - Monique Meyfroet, psychologue
Pour les petits enfants, les objets sont vivants et pourvus d’intentions… comme le pyjama de Mila : il existe, c’est un être animé. Les contenus de leurs rêves sont des réalités. C’est pour cela qu’ils peuvent tant les effrayer. Plus tard, avec « leur » logique, ils penseront aussi que les choses naturelles sont des fabrications humaines. On parle du monde magique de l’enfant. « Il n’y a pas de frontière entre la réalité et ce qu’il est capable d’imaginer dans sa tête, tout se mélange, confirme Monique Meyfroet. En même temps, "magique" peut être pris dans les deux sens : ce sont les fées et les monstres. C’est fort, à cet âge-là ! Cela veut dire que l’enfant a une capacité de penser tous azimuts, qui peut générer autant du positif que de l’angoisse. »
Faire comme l’autre, être l’autre
Les jeux symboliques se déploient dans toutes leurs subtilités. Dans ses premiers jeux symboliques, vers ses 15-18 mois, votre enfant était dans la reproduction. Il copiait ce qu’il observait, il imitait ses proches. Il touillait dans la casserole comme vous. Il donnait à manger à son doudou comme vous le faisiez avec lui. Maintenant, le voilà un pas plus loin : il se met à votre place, il s’identifie à vous. Il ne fait plus seulement comme l’autre, il devient l’autre. S’il s’assied dans le fauteuil avec un magazine (à l’envers !) en mains, il est son papa, sa maman qui lit ! Mais ce n’est pas tout. « Les jeux symboliques sont à la fois une manière de s’identifier à l’autre et une manière de s’identifier à la relation à l’autre, explique Monique Meyfroet. Et là, on va retrouver en même temps des choses qui se passent bien et des choses qui ne se passent pas bien, et aussi toutes les peurs qu’a l’enfant que les choses ne se passent pas bien. »
Colère, joie, tristesse, peur… Les jeux symboliques permettent à votre petit d’exprimer ses émotions, de résoudre ses conflits internes. Ils ont un rôle d’exutoire à ses tensions. Dans un cadre sécurisant, il joue des scènes de son quotidien selon son point de vue. Et ce, à partir du matériel dont il dispose. « Une étude a montré que les enfants manifestent de la tendresse autant vis-à-vis des petites voitures que des poupées. Preuve que les émotions s’expriment à travers ce que les adultes proposent aux enfants », remarque la psychologue.
« Une poupée pour mon garçon ! »
« Adam a une poupée. Je suis enceinte de 8 mois et il se rend compte que le bébé va bientôt arriver. Il appelle sa poupée "bébé" », confie la maman de ce bientôt grand frère de 2 ans. Contrairement à cette mère ou aux parents de Colin (qui témoignent ci-dessous), certains parents n’offrent d’office pas de poupées à leur petit garçon. Mais les poupées ou la dînette, ce n’est pas qu’un jeu de filles ! Et les voitures et le garage, ce n’est pas qu’un jeu de garçons ! Les hommes pouponnent et font la cuisine, quand même. Et les femmes conduisent des voitures. Il faut, hélas, se rendre à l’évidence : les vieux clichés ont la vie dure.
« Oui, il faut en faire le constat : on a toujours du mal à se départir de cette répartition du monde entre filles et garçons. Mais, à côté de cela, il y a quelque chose qui est propre à l’enfant, ajoute Monique Meyfroet. Quand on regarde une petite fille pousser une poussette, on dit qu’elle promène sa poupée. Quand un petit garçon fait la même chose, on dit qu’il pousse une machine. Et ce n’est pas qu’une question d’interprétation de notre part. Il y a aussi la manière dont ils font les choses : à la limite, le petit garçon ne mettrait pas de poupée dans la poussette, ce serait bon ! Bien sûr, on peut intervenir et lui dire : "Tu sais, une poussette, ce n’est pas pour faire le bulldozer, c’est pour promener un bébé…" Il n’empêche, il ne joue pas pareil. On le voit dans les cours de récré : les garçons ne jouent pas comme les filles. »
TÉMOIGNAGES
Les parents en parlent...
Des oui et des non
« On communique beaucoup, Colin et moi. On se comprend mieux, maintenant qu’il sait dire plein de mots. Il dit beaucoup oui, et beaucoup non ! Parfois, il dit non, et puis il se reprend : "Ah, oui !" Quand on lui fait une blague, il nous lance "Mais non…" en rigolant ! Souvent, il dit non par automatisme, pour s’affirmer. Qu’est-ce qu’il papote quand il joue, mon Colin ! Il se raconte à lui-même ce qu’il fait. Les trains, c’est son truc du moment : il ne peut pas les faire rouler sans parler. Il est aussi de plus en plus dans le réel. Il change le lange de sa poupée, il la fait manger et dormir. Il lui dit non sur un ton ferme mais il lui fait aussi plein de câlins. Il la met dans le coffre de son auto, s’assoit dessus et fonce… Oui, on lui a acheté une vraie poupée ! Je suis contre le sexisme. À la crèche, il joue bien avec des poupées et une dînette, alors… Ce qui me préoccupe un peu pour le moment, c’est son comportement avec les autres enfants : il mord et tape beaucoup à la crèche. Avec les adultes qu’il ne connaît pas, il est par contre tout timide, il se cache entre mes jambes ou veut être dans mes bras, ce qu’il ne faisait pas avant. »
Célia, maman de Colin, 26 mois
Jouer avec des jouets ?
« Rodrigue adore les voitures depuis qu’il est tout-petit. C’est surtout le papa qui investit les jouets avec lui. C’est leur espace de rencontre à eux deux. Le papa construit des circuits et Rodrigue y fait rouler ses petites autos. Jouer avec des jouets, c’est pas ma tasse de thé ! Moi, c’est plus les balades, la piscine, les histoires, jouer au ballon, dans le sable… »
Morgane, maman de Rodrigue, 27 mois
BON À SAVOIR
Une pensée égocentrée
« À 2 ans et demi, l’enfant est toujours dans une pensée égocentrée : ce qui se passe le concerne toujours parce que cela part de lui, explique Monique Meyfroet. Si ses parents se disputent, c’est à cause de lui. Et donc, il ne peut pas être dans l’abstraction pure. Il n’est pas en mesure de penser à propos de ce qui se passe en dehors de lui, il fait toujours partie du scénario. Par contre, il mentalise ce qu’il fait comme expériences, il les emmagasine. Il généralise les réactions de ses proches : "Si je fais quelque chose, maman réagit comme ceci et papa réagit comme cela." Il généralise ses souvenirs : "Quand on va à la mer, on mange des glaces." Ça, il peut le penser pour lui, mais pas pour l’ensemble des enfants qui pourraient manger des glaces à la mer ! »
L’AVIS DE L’EXPERTE
Un tumulte… passionnant !
► Monique Meyfroet, psychologue clinicienne
Quelle complexité et quel tumulte dans la tête d’un enfant de 2 ans ! Un tumulte passionnant… C’est génial si ses parents peuvent encourager l’expression de ce qu’il vit (de difficile ou de plaisant). Pas seulement par des mots, mais aussi par des jeux.
Je pense à un petit à la crèche pour qui le temps était long avant l’arrivée de sa maman. J’ai commencé à jouer avec lui en faisant rouler une balle de moi à lui. Au début, il s’en débarrassait. J’ai continué jusqu’à ce qu’il me renvoie la balle. La balle part, la balle revient… Comme sa maman qui allait revenir. On était en plein dans le symbolique.
Ce qui est important, c’est moins les jeux qu’on propose aux enfants que ce qu’on fait avec eux. Les enfants ont besoin d’adultes qui jouent avec eux. À la limite, peu importe le jeu – on peut jouer à cache-cache, faire une promenade, lire un livre –, c’est un partenaire de jeu dont ils ont besoin.
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