Crèche et école

La fin proche du deuxième trimestre est l’occasion pour les parents de regarder les progrès accomplis par leur enfant à l’école depuis maintenant plus de six mois. Et immanquablement de comparer son enfant avec ses petits congénères. Petit tour d’horizon de la 1re à la 3e.
Le matin, dans le couloir des maternelles, les parents des différentes classes discutent avant ou après avoir déposé leur enfant dans la classe de 1re primaire de madame Sandrine. Plein de sujets sont abordés : la météo, les bons plans du week-end, la super location trouvée pour les prochaines vacances, le dernier magasin de deuxième main ouvert dans le quartier… Et puis, quasi irrémédiablement, la discussion glisse vers les enfants.
Le mien fait ci, la mienne fait ça. Son dernier bonhomme têtard avait même un costume et une cravate, comme son papa. Elle parle trois langues et je viens de l’inscrire au cours de japonais. Et vous, votre enfant dans tout ça, lui, rentre toujours tout crasseux de l’école, peine à faire le moindre trait à peu près droit et se spécialise dans l’art (très) abstrait version plasticine. Faut-il s’en inquiéter pour autant ? On ne va pas vous faire attendre trop longtemps, la réponse est non.
« À chaque rentrée, c’est la première chose que je dis aux parents : vos enfants sont tous différents et ils le seront encore de nombreuses années, souligne madame Sandrine. Donc, les comparaisons n’ont pas de sens, ni maintenant, ni plus tard. De plus, en 1re maternelle, l’accent est surtout mis sur la socialisation et les règles collectives. Même si nous travaillons sur des apprentissages de base pour la graphie, par exemple, c’est la vie en groupe qui est au cœur de tout. »
D’accord, mais, moi, le parent avec un enfant « de base », je ne comprends toujours pas pourquoi je n’ai pas enfanté un génie ! On se tourne donc vers la psychologue Alexia Lesvêque pour mieux comprendre. « Le premier point à soulever, c’est qu’il faut comparer des pommes avec des pommes ! Dans une classe de 1re maternelle, il y a des enfants qui ont quasiment une année d’écart d’âge, ce qui est énorme. Si on prend par exemple le développement social, à 3 ans, on est encore très égoïste, on a du mal à partager ou à coopérer. De l’autre côté, à 4 ans, on est déjà plus tourné vers le monde des adultes dont on cherche l’approbation. Alors, comparer des enfants d’une même classe, ça n’a pas de sens, tout simplement. Cela peut être difficile pour certains parents, mais il faut regarder grandir son enfant individuellement, le laisser progresser à son rythme ».
Chacun son rythme de croisière
On avance dans le couloir de l’école. L’arrêt suivant se fait chez monsieur Antoine et les 2e maternelle. Ici, dès le matin, les enfants de la classe déjà arrivés se divisent en deux groupes. Sur le banc du coin lecture, Zacharie, Anna, Louis, Sufwan, Henry et Andrea ont déjà plongé leur nez dans un livre. À l’opposé, le petit groupe composé de Lisa, Armand, Giacomo, Nawelle, Samy et Léontine court dans tous les sens, renversant au passage un bac de crayons.
L’enseignant demande gentiment aux enfants de ramasser ce qui est tombé. S’opère alors une scission entre ceux qui agissent de suite et les autres. « C’est ici que se fait généralement la grande différence, explique Antoine, entre ceux qui écoutent déjà l’adulte et respectent les règles et ceux qui n’en font encore un peu qu’à leur tête. Dans 90 % des cas, ce sont les plus âgés qui sont plus sensibles aux règles, ils ont déjà totalement intégré le principe dans la vie de la classe ». Et pour ce qui est du groupe des lecteurs versus celui des « agités » ? « Ils ont la liberté totale de choisir comment ils veulent commencer leur journée. Chacun fait comme il veut, certains sont systématiquement au coin lecture, d’autres courent dans tous les sens, mais la plupart n’a pas de profil défini ».
Dans le couloir, Nina, la maman de Giacomo, est en pleine discussion avec celle de Zacharie. Elle se désole de voir son fils déjà échevelé et débraillé à même pas 8h25. Soit à peine cinq petites minutes après être arrivé à l’école. Alors que dans le même temps, Zacharie est resté parfaitement habillé et coiffé… « Je reviens avec mon histoire de comparaison de pommes avec des pommes. Les parents doivent garder en tête qu’il n’y a pas un modèle d’enfant unique, mais qu’il y a leur enfant, unique lui, avec ses qualités, ses défauts, ses points forts, ses points faibles, son héritage génétique, son histoire de famille, souligne Alexia Lesvêque. À cet âge, il est important de mettre justement en valeur ce qui fonctionne bien, pour bien développer l’estime de soi, qui est l’outil le plus génial qui soit pour bien grandir. Et puis, n’oubliez pas non plus que, encore, en 2e maternelle, se côtoient des enfants de 4 ans et de 5 ans. Et une année d’écart à cet âge, ça fait beaucoup de différence ».
L’enfant de l’école, l’enfant de la maison
Une classe plus loin dans le couloir. Changement de décor, changement d’ambiance. On est ici vraiment à la frontière entre la maternelle et la « grande école ». Les enfants qui entrent en classe prennent l’étiquette à leur nom et vont l’accrocher au mur. Dans le calme. L’arrivée des un·es et des autres se fait progressivement, ça papote en petits groupes, avec, déjà, une nette démarcation filles/garçons.
Les parents, eux, sont toujours aussi nombreux dans le couloir, eux aussi réunis en petits groupes. En tendant l’oreille, on perçoit facilement LE sujet de conversation : mon enfant est-il prêt à entrer en 1re primaire ? « Regarde par rapport au tien, le mien fait encore super bébé. Il est pas autonome, il connaît pas le déroulé de la semaine, il oublie systématiquement des trucs à l’école… ». Ou encore « Quand je vois les dessins que Léa fait et ceux de ta fille, franchement, ça m’inquiète. Ses personnages, par exemple, c’est des aliens, ils foutent la trouille ! ».
« C’est un grand classique, sourit madame Laurence. Les parents font souvent des comparaisons sur des choses qui se passent en dehors de l’école. À la maison, par exemple, quand un enfant dessine, c’est juste pour le plaisir. Parfois il laisse aller son imagination et sort des choses fabuleuses, parfois c’est simplement pour le geste, pour la couleur et il n’y a alors pas aucune application. Par contre, quand je demande un dessin en classe, c’est avec un objectif, des consignes et c’est tout de suite beaucoup plus précis. À ce moment de l’année scolaire, je peux rassurer quasiment 100 % des parents de ma classe sur les aptitudes de leur enfant à la 1re primaire. Et c’est bien là l’objectif du cursus en maternelle. »
Coté psy, Alexia Lesvêque confirme les propos de l’enseignante sur le niveau de préparation des enfants. « Ce sont des enfants qui ont ou vont avoir 6 ans, ils se rapprochent de ce qu’on appelle l’âge de raison. Le principe et le respect des règles sont acquis, tout comme à la relation à l’adulte comme référent, de ce côté-là, ils sont parés. Ensuite, ce sont des aspects socio-culturels de chaque famille qui font la différence et qui font que les enfants sont comme ceci ou comme cela. Dans certaines familles, on cultive l’amour des mots, dans d’autres c’est le sport ou la cuisine qui sont au cœur de la vie. Cet univers familial dans lequel l’enfant se construit à un impact énorme. C’est pourquoi, je le répète, les parents ne doivent pas jouer au jeu des sept erreurs entre leur enfant et ses petit·e·s camarades ».
Et si vous trouvez qu’un copain ou une copine a un truc en plus, rien ne vous empêche d’aller explorer de nouveaux horizons avec votre enfant. À cet âge, et pendant encore de belles années, ils aiment par-dessus tout les découvertes et les nouveaux apprentissages.
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