Développement de l'enfant

Ils sont amoureux... pour du vrai !

Du haut de ses 4 ans, Pablo s’approche maladroitement de Lucie, à peine plus âgée, et lui colle un bisou sur la bouche. Quoi de plus normal, ils sont « amoureux »... Choquant ou attendrissant ? Encore faut-il être capable d’interpréter ce geste correctement, pour savoir comment réagir raisonnablement. Tour de la question avec les témoins privilégiés de ces amours précoces.

« Non, ce ne sont pas des blagues ; oui, nos jeunes enfants sont capables d’aimer et de souffrir d’une rupture amoureuse, au même titre qu’un adulte ! ». L’idée fait sourire, étonne parfois, et pourtant, Emmanuel de Becker, pédopsychiatre aux cliniques Saint-Luc, insiste sur l’importance à accorder à ce phénomène nettement moins anodin qu’il y paraît : « De manière générale et quel que soit l’âge de votre enfant, ce qu’il éprouve comme émotion ou comme sentiment doit être pris au sérieux. »
Cela, on s’en doutait. Mais ce que l’on ignore peut-être, c’est que « si elles sont mal gérées, ces relations amoureuses précoces peuvent laisser des traces ». Pas de quoi s’affoler pour autant, puisque quoi qu’il arrive, votre petit bout finira toujours par retomber sur ses pattes. Mais il ne faut pas sous-estimer la souffrance morale bien réelle qu’il aura pu éprouver entre-temps. Et le rôle du parent sera de lui offrir le soutien dont il aura besoin, tout en respectant ses limites et son intimité.

Laissez-les papillonner gaiement !

« Mon mari et moi sommes assez démonstratifs, et je me demande si le fait de nous embrasser devant les enfants ne leur donne pas de ‘mauvaises idées’ ? », nous confie une maman. Bien sûr, les enfants sont très observateurs, et les moindres faits et gestes de leurs parents sont épiés par leurs yeux qui traînent partout. Véritables éponges émotives en quête de ‘mode d’emploi de la vie’, ils tenteront de les décoder, pour pouvoir les interpréter et se les approprier, pour finir par les reproduire ensuite eux-mêmes.
Mais que cette maman se rassure, s’il est évident qu’il vaut mieux garder les rapports trop explicites pour la chambre à coucher, les démonstrations d’affection au sein de la famille sont saines, et même souhaitables. « L’enfant reproduira à l’âge adulte ce dont il aura été témoin durant sa prime enfance », explique Emmanuel de Becker. Et jusqu’à preuve du contraire, les bisous et autres formes de tendresse n’ont jamais fait de tort à personne !
« Gardez à l’esprit que la découverte de soi passe par la rencontre avec l’autre, ajoute le pédopsychiatre. Grâce à elle, l’enfant va apprendre à définir son identité ». Cet « autre » qu’est le parent dans un premier temps de vie, deviendra ensuite le cousin, le copain de classe, le voisin ou ... le fameux amoureux. L’image, positive ou négative, que ces « autres » renverront à votre enfant lui permettra de s’identifier comme étant quelqu’un d’aimable ou non, base de sa future confiance en lui. Certains enfants sont plus enclins au phénomène que d’autres au même âge, mais le rôle des amoureux de nos tout-petits s’inscrit dans ce même schéma. Conclusion : ces interactions sont utiles, laissez-les donc explorer et papillonner librement !

Peut-on les laisser « jouer au docteur » ?

Votre fille ramène des dessins de la crèche « offerts par son copain Nathan », elle vous parle sans cesse de Gilles qui est « si gentil avec elle et qui lui fait des blagues ». C’est clair, cette toute petite a déjà une cour de chevaliers servants à ses pieds. Une impression confirmée par l’institutrice qui a même surpris un petit bisou dans la maison de poupée. Vous l’avez compris, cette étape fait partie de l’exploration de la vie, mais peut-on laisser tout faire pour autant ?
« En vingt-deux ans de carrière, je peux vous dire que je n’ai jamais entendu parler de débordement, témoigne Frédérique Van Boeckel, institutrice de 3e maternelle. À cet âge-là, les couples sont plutôt discrets et s’expriment par de petites attentions. Ils se tiennent la main dans le rang, ils s’attendent à l’arrivée le matin, ils s’offrent un petit cadeau à la Saint-Valentin, mais cela reste très innocent ». Rien qui justifie d’engager un garde du corps pour éloigner ces Don Juan en puissance. Bien au contraire.

Tous ne sont pas amoureux

Si toute identité humaine a besoin de liens pour se construire, le passage par la case « amoureux » n’est en revanche pas obligatoire. Pas la peine donc de remplacer les histoires de Winnie l’Ourson par des romans à l’eau de rose.
« Lorsque nous recevons des enfants en consultation, nous voyons directement à leur comportement s’ils sont plutôt indépendants ou s’ils restent collés à leurs parents », explique le pédopsychiatre. Tout est question de tempérament. « Certains se fixent très vite sur d’autres personnes. Un phénomène qu’on observe déjà à 3, 4 ou 5 ans ». L’amoureux sera, lui aussi, un compagnon privilégié et exclusif qui rassure, par sa présence et par les attentions dont il fait preuve.
Au même titre que l’ado ou l’adulte, l’enfant a l’illusion d’être spécial, ce qui n’est pas sans rappeler les liens exclusifs qu’il a pu nouer avec sa mère ou son père dans sa prime enfance. « Ces enfants recherchent un père ou un acolyte, alors que d’autres n’en ont pas besoin ». Ces autres, en effet, supportent très bien la solitude et n’auront peut-être pas d’amoureux avant l’adolescence. Pas de quoi vous alarmer donc si votre chérubin ne noue pas de relation privilégiée, s’il apprécie de jouer seul ou s’il est l’antithèse du petit caïd.
« Les leaders sont des enfants qui cherchent à attirer l’attention, ce qui est souvent révélateur d’une certaine fragilité. À l’inverse de l’enfant plus discret qui peut s’occuper seul et qui est bien avec lui-même », explique Emmanuel de Becker. Votre enfant se situera peut-être entre les deux, et ce sera tant mieux.

Chagrin d’amour

Lorsque Julien se détourne de Laurine sans réelle raison, la déception est énorme pour cette petite fille qui affirmait déjà à sa maman qu’elle s’appellerait Mme Schmitt plus tard. Il faut dire qu’ils ont été « amoureux officiels » pendant trois ans, dès leur rencontre en 3e maternelle. Si les parents s’étaient pris au jeu en achetant des cadeaux pour la Saint-Valentin, ils ne se doutaient peut-être pas de l’importance que cette relation aurait à leurs yeux.
« Un jeune enfant éprouve des sentiments qui peuvent être très forts », explique Emmanuel de Becker. D’ailleurs, et c’est là qu’il faut être très prudent, la souffrance qu’il ressent en cas de déception est aussi forte que celle que pourrait ressentir un adulte ! Certains enfants en parleront facilement : aux parents alors d’accueillir leurs paroles et d’être bienveillants. D’autres sont plus pudiques : les parents veilleront dès lors à respecter cette discrétion en ne se montrant pas intrusifs.
« Qu’ils soient amoureux ou tristes, prenez le temps d’écouter vos enfants », conseille le pédopsychiatre. Nos bambins ont avant tout besoin d’être entendus et de savoir qu’ils peuvent compter sur des repères affectifs solides. Mais s’il y a bien un point auquel rester attentif, c’est sur l’importance de ne pas minimiser la situation. De nombreux parents bien intentionnés tombent dans le piège des formules telles que : « Ce n’est pas grave, tu vas en retrouver un autre », soulignées d’un sourire ou d’un haussement d’épaules. Même si l’objectif est de les aider à relativiser, ce genre de réaction ne laisse pas le temps à la reconnaissance du vécu émotionnel, ce qui pourrait laisser des traces. L’enfant intègre le message que son vécu affectif n’est pas important, qu’il vaut mieux penser à autre chose plutôt que de l’accueillir et l’accepter, pour finir par le digérer sainement.
Faut-il monter l’histoire en épingle pour autant. Surtout pas. Bref, pas évident de trouver le juste milieu... Tout est question de bon mélange, avec une pincée de patience et une bonne dose d’empathie…

À LIRE

  • Dès 3-4 ans : Mon petit lapin est amoureux, Grégoire Solotareff (L'École des loisirs, coll. Lutin poche).
  • Dès 5 ans : Lili est amoureuse et Max a une amoureuse, Dominique de Saint Mars et Serge Bloch (Calligram) ; Monsieur Leloup est amoureux, Frédéric Stehr (Milan).

EN BREF

3-5 ans est une tranche d’âge qui marque non seulement une étape d’exploration du monde, mais aussi celle d’une différenciation des sexes. « Les petits vont vouloir voir concrètement à quel point l’autre est différent, ce qui passera par une nécessaire mise en situation », explique le pédopsychiatre. Cette découverte du corps n’est donc pas péjorative, elle est même saine, affirme-t-il. Voilà de quoi lâcher la bride à votre fille qui a des étoiles dans les yeux et peut-être même des papillons dans le ventre.

EN PRATIQUE

Pour sécher les larmes…

  • Vous le (ou la) voyez triste et l’œil vague. Rien ne vous empêche de lui tendre des perches pour lui montrer qu’il peut vous parler en lui demandant, par exemple : « Tiens, comment ça va avec ta copine Charlotte ? », « Tu ne joues plus avec ton copain Nathan ? ». Votre tout-petit peut éprouver une véritable tristesse, qu’il a encore du mal à gérer vu son jeune âge. Il a besoin qu’on l’aide à prendre du recul, tout en respectant son rythme et son niveau de compréhension.
  • Pas la peine de lui fournir des explications métaphysiques sur le couple, mieux vaut lui parler avec des mots simples. S’il est triste de devoir se séparer de son amoureux-amoureuse pour les fêtes, le plus efficace sera de lui parler des chouettes projets qui l’attendent le week-end prochain. Votre mission : lui changer les idées.

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