Crèche et école
En Fédération Wallonie-Bruxelles, moins de deux enfants sur cinq ont une place en milieu d’accueil. Derrière ces chiffres, on a voulu voir l’impact sur le quotidien des familles. Témoignages.
« J’étais désespérée que tout le monde me réponde ‘Non, non, non’. On fait quoi à un moment quand il faut reprendre le travail ?, interroge Lucie, enseignante de 30 ans habitant Thiméon et maman de Margaux, 3 mois. J’avais pourtant commencé les démarches dès que j’ai eu le certificat des trois mois : j’ai envoyé une demande à toutes les crèches privées et communales. J’ai même essayé les gardiennes. Mais elles aussi étaient complètes jusqu’en 2024. Quand je suis allée à la commune pour exposer mon cas, on m’a répondu que ce n’était pas la bonne année pour tomber enceinte. J’ai finalement trouvé une place dans une crèche privée, mais cela nous revenait à 700€/mois pour trois jours de garde. Au final, il était mieux que je garde mon enfant ».
Margaux a décroché sa place dans une crèche communale en avril 2024. Pour « tenir » jusque-là, Lucie, sa maman, a décidé de prendre l’entièreté de son congé parental. « À la base, je voulais prendre un ¾ temps, car avec le congé parental, je ne reçois que 879€/mois de l’ONEM. Heureusement, j’ai anticipé et su mettre des sous de côté. Mais il ne faut pas qu’il m’arrive de tuile ce mois-ci, sinon ce sera délicat ».
Le congé parental étant de quatre mois, Lucie doit reprendre le travail courant janvier. Il reste plus de deux mois à combler. Son mari, indépendant, ne peut pas s’arrêter de travailler, sinon il n’y a plus de rentrées financières. « Heureusement, ma maman est pensionnée et elle a accepté de garder ma fille. Sans elle, j’aurais été dans l’embarras. J’aurais probablement dû aller pleurer chez le médecin… ». Autour d’elle, Lucie a deux autres amies qui n’ont pas de place en crèche non plus : « Cela me rassure qu’il n’y ait pas que moi, mais c’est quand même affolant ! ».
Des tarifs exorbitants
À tel point affolant, voire désespérant, que Clémentine, indépendante de 36 ans et maman de trois enfants, habitant Hoeilaart, a jeté l’éponge. « Au bout de cinq mois de recherche intensive, j’ai abandonné. Je n’étais même pas sur liste d’attente : j’étais carrément refusée. Les crèches privées sont impayables, nos parents étant de la génération sandwich, ils travaillent encore tous les deux. Alors, j’ai trouvé une solution informelle : une Philippine vient chez nous, mais elle n’est pas déclarée. Le calcul est assez simple : si je dois payer la crèche, les titres-services et les garde-malades pour un de mes deux grands, cela me revient moins cher… et c’est plus fiable ! ».
La formule n’est pas légale, et pourtant Clémentine affirme que si elle cherche, elle trouvera bien une cinquantaine de familles qui, comme elle, ont fait appel à une personne sans papier. Très remontée contre le système, la maman a envie de ruer dans les brancards. « La plupart des crèches qui existent sont top. Mes deux grands, qui avaient une place en crèche communale à Ixelles, ont bénéficié d’un service incroyable. C’est un modèle qui devrait être accessible à tous les parents. On paye tous des taxes : il y a un sérieux problème d’égalité ! ».
« 5 mois de recherche intensive, puis j’ai abandonné. Je n’étais même pas sur liste d’attente »
De fait, tous les foyers ne peuvent pas se permettre une aide à domicile, ni une place en crèche dite, à tort, privée. Entendez « non-subventionnée ». Car la différence majeure entre un milieu d’accueil subventionné et un milieu d’accueil non-subventionné, c’est le tarif. Le premier est calculé selon le revenu des parents, tandis que le second marche au forfait. Certains ayant dépassé la somme astronomique de 1 000 €/mois ! Un service inaccessible pour de nombreux ménages.
C’est le cas de Mara, aide-ménagère bruxelloise, maman de Matteï, 1 an et demi. « Le minimum qu’on ait trouvé, c’est 850€/mois. Nous n’avons pas les moyens financiers ». Alors Mara a d’abord pris son congé parental. Quand elle a été obligée de reprendre le travail, lorsque son bébé avait 8 mois, sa mère a pris un congé sabbatique de six mois, non rémunéré. Elle est venue de Roumanie pour l’aider. « Mais elle repart dans une semaine pour reprendre le travail. Elle ne pouvait pas prolonger son absence ».
Mara a eu un contact avec une assistante sociale de l’ONE qui lui a demandé si elle était dans une situation à part. « Mais ce n’est pas le cas : je n’ai pas de problèmes financiers, pas plusieurs enfants. J’ai l’impression que pour avoir une place, il faut avoir des relations ». Toutefois, une solution « plan B » lui a été proposée pour 23€/jour : « Depuis la rentrée, Matteï va chez Cap famille. C’est une sorte de garderie (ndlr : une halte accueil agréé par l’ONE), mais on ne peut le laisser que trois jours par semaine maximum. Il reste deux jours qui ne sont pas couverts ».
La solution trouvée ? Après son travail de nuit, le papa de Matteï s’en occupera. « Comme il rentre à 10h, j’ai dû décaler mes horaires de travail. Heureusement, avec les titres-services, je peux travailler plus tard ». Cette formule épuisante devra tenir jusqu’à fin août 2024, date à laquelle Matteï pourra entrer en maternelle.
Fermeture sans préavis
Même lorsqu’on peut se payer une crèche privée, on n’est pas à l’abri d’une déconvenue. En plein congé de maternité pour son deuxième enfant, Marta, médecin, habitante de Ophain, a reçu un avis de fermeture de la crèche deux mois avant de reprendre le travail. « Je ne pouvais pas prendre plus de congé, car j’avais déjà été à l’arrêt pendant un an à cause d’une grossesse compliquée. Les patient·es m’attendaient ».
Alors Marta et son mari Grégoire se démènent et appellent toutes les communes aux alentours. Ils créent même un fichier électronique pour gérer les réponses. « On a eu un échange de mail avec au moins quinze crèches. C’était absurde : toutes n’avaient de disponibilité qu’en 2024, soit un délai de un an ».
N’ayant pas de famille disponible pour les aider, le couple continue à se démener. Tout comme les parents des deux autres crèches fermées simultanément dans la même région. « Certains parents ont fait des manifs, d’autres avaient des ami·es qui bossaient dans les communes, alors certaines crèches communales ont été renforcées. Nous, on nous a donné une accueillante. Sans autre choix ». Et trois mois à combler. Alors Grégoire a mixé ses congés légaux avec son congé parental pour rester auprès de son enfant jusqu’en septembre dernier.
« Notre vie est encore en stand-by jusqu’à ce qu’on trouve un rythme normal. Car l’accueillante ne travaille qu’à 4/5e et elle a des horaires fixes. Elle arrête à 17h pile, mais, moi, je ne termine jamais à ces horaires-là, et je démarre très tôt le matin. Heureusement qu’on n’est pas deux médecins ! ». En attendant de trouver mieux – ils sont toujours sur liste d’attente, avec une place en mars 2024 –, le couple se relaye grâce à ses 4/5e respectifs pour assurer la journée « manquante ».
Solidarité parentale
Baptiste et son épouse Alexandra, parents de June, 2 ans, ont vécu la même mésaventure. « Ça ressemble à un coup de matraque bien placé sur la tête !, annonce-t-il pas encore tout à fait remis un an plus tard de cette déconvenue. Un mardi soir, j’allais chercher ma fille à la crèche et la puéricultrice me dit que le mardi suivant, on ne pourrait pas la déposer, car le traiteur n’a pas été payé et ne livrera pas les repas. On avait donc cinq jours pour se retourner. Le soir-même, vers 20h, on a reçu un mail de la compagnie Néokids qui nous disait que la crèche serait fermée dès le lendemain ».
« Plus ça dure, plus ça travaille sur les nerfs » - Baptiste
En se renseignant auprès des autres parents, ils réalisent que les puéricultrices avaient été, elles-mêmes, mises devant le fait accompli, de façon radicale. « Elles ont quand même assuré la fin de la semaine, tout en sachant qu’elles ne seraient pas payées. Chapeau à elles. On a eu beaucoup de chance, car de nombreux parents n’ont pas voulu se laisser faire et il y a eu un élan collectif, avec un groupe WhatsApp d’entraide qui a vu le jour. Très vite, des parents qui connaissaient le principe de la coopérative ont proposé de faire la même chose pour reprendre la crèche. En attendant que le projet se monte, d’autres ont proposé d’ouvrir leur maison avec une nounou pour accueillir les enfants qui en avaient besoin. Car c’est très difficile de trouver du soutien sur du court terme ».
Au fur et à mesure que les semaines passent, les autres parents finissent par trouver le moyen de caser leurs enfants. « On s’est retrouvé dans un entonnoir avec de moins en moins de personnes. Plus ça dure, plus ça travaille sur les nerfs ». Heureusement, Noël et ses congés pointent. « J’étais soulagé, parce que je suis enseignant : là, je n’avais pas besoin de solution. Puis, par hasard, début décembre, soit quatre semaines après la fermeture, on reçoit une réponse positive d’une crèche communale : une place de début janvier à fin mai s’était libérée car des parents étaient partis du jour au lendemain à l’étranger. On a sauté sur l’occasion ! ».
Ils découvrent qu’ils ont pu bénéficier de cette place car ils étaient en situation d’urgence. Le couple réussit à négocier pour rester jusqu’en juin. Puisque, en juillet-août, Baptiste peut assurer. Mais, pour la rentrée, leurs recherches restent vaines. La crèche coopérative Dumbo & Co a bien ouvert ses portes, mais les tarifs, plus élevés qu’avant, sont devenus inabordables. « Heureusement, en mai, on nous a annoncé que, finalement, June pouvait rester. Ce fut une délivrance ! ».
L’image est révélatrice. Si l’angoisse de ne pas trouver de crèche est intense, le stress généré par la fermeture d’une crèche est extrême. « C’est ça qui fait le plus mal : on considère les enfants comme un vieux sac de linge sale. Si on se place dans la peau d’un bébé de 9 mois, c’est dégueulasse », fait remarquer Alexandra Genot, ex-directrice de la crèche Koala à Uccle, qui a été sommée de déclarer faillite, après que Kind en Gezin ait refusé l’agrément à son repreneur « jugé » inapte à ouvrir… une seconde crèche. « Physiquement, intellectuellement et moralement, j’étais broyée. Leur décision a foutu trente-trois gosses et quatre membres du personnel à la rue ». Forcément, avec la pénurie de puéricultrices à Bruxelles, les employées ont trouvé rapidement un autre emploi. Mais quid des bébés ? Et si on arrêtait de prendre nos enfants pour des « crèches-test babies » ?
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