Crèche et école

« J’ te casse la gueule à la récré ! »

Un petit intelligent, un nouveau venu dans la classe, un enfant fragile ou juste différent ? Attention, terrain glissant... Le groupe est une entité complexe dans lequel les rapports de force peuvent faire mal. Et parfois, cela tourne au harcèlement. Un fléau qu’il faut prendre très au sérieux et qu’il faut impérativement endiguer, tant il peut être lourd de conséquences. De la maternelle à l’âge adulte.

« Mon fils n’arrête pas de se disputer avec son copain de classe », « Ma fille a reçu un mail d’insultes de sa copine », « Je ne supporte plus mon boss qui n’arrête pas de me formuler des reproches »... On a aujourd’hui tendance à utiliser le mot harcèlement à la moindre altercation. Or, il s’agit d’un processus nettement plus complexe et plus vicieux.
Pour commencer, le harcelé et le harceleur sont dans un rapport inégal de force (il ne s’agit pas d’une simple dispute). Il faut ensuite la présence d’un groupe-témoin qui valide les actes de harcèlement. Pour la plupart des auteurs, harceler est un moyen d’exister au sein d’un groupe en annulant quelqu’un d’autre, en l’humiliant, en le cassant. Cette violence qui peut être physique, verbale ou sexuelle se répète dans le temps et devient un jeu de terreur psychologique.

Pour Bruno Humbeeck, psychopédagogue, co-responsable de la mise en place du dispositif de prévention du harcèlement stimulé par la Fédération Wallonie-Bruxelles, dans le cadre de son activité de directeur de recherche à l’Umons, il s’agit d’un processus que l’on observe dans les groupes qui sont obligés de coexister, comme c’est le cas à l’école. « Dans le milieu scolaire, il suit une courbe selon des ‘saisons’ bien connues des écoles. De septembre à décembre, c’est la basse saison du harcèlement, le groupe vient de se former, il y a une sorte d’euphorie générale. Tout le monde s’observe, les forces et les faiblesses des uns et des autres apparaissent peu à peu les premiers mois. À partir de janvier commence la haute saison du harcèlement, au moment où les enfants se retrouvent après les vacances et qu’il faut retrouver une cohésion de groupe, les dominants vont alors vouloir asseoir leur autorité sur les autres et chercher une victime. Cette haute saison va perdurer jusqu’à mai environ, quand la fin de l’année scolaire approche et que le groupe sait qu’il va se disloquer, diminuant ainsi les tensions. »

Nos enfants sont-ils tous des sadiques en puissance ? Non, évidemment, mais il faut savoir que les écoles sont des microcosmes dans lesquels les tensions s’expriment d’une même manière qu’entre collègues, par exemple. À cette grande différence que, a priori, les adultes ont plus d’armes pour se défendre et qu’ils ont (en général) plus de maturité.

Les victimes, des enfants fragiles ?

« À la base, j’observe toujours un terrain de fragilité chez l’enfant harcelé, explique Rachel Postelmans, psychothérapeute et coach parental qui anime des ateliers de parole dans les établissements scolaires. Un enfant rond, roux, premier de classe et nouveau dans l'école ne sera pas nécessairement harcelé. Mais, s’il a de faibles habiletés relationnelles ou si, à ce moment-là de sa vie, il est vulnérable et qu'il le montre, en pleurant et en surréagissant, le harceleur va le considérer comme une proie facile et va se mettre à le harceler. Une fois que le processus a commencé, il est très difficile de s'y soustraire. Si, au contraire, il n'a pas de prise sur sa potentielle victime, il change de proie ». Les risques à court terme pour le harcelé sont d’être exclu et de subir une forte violence, de voir ses notes baisser, de développer une faible estime de soi. À l’âge adulte, il pourra développer des troubles alimentaires, des troubles du sommeil, souffrir d’anxiété, tomber en dépression.

Contrairement à ce que l'on pourrait penser, le harceleur payera lui aussi un lourd tribut. Sur le court terme, il est pris au piège de son rôle de dominant et ne peut plus s’y soustraire vu qu’il est validé et donc « bloqué » par le groupe témoin. À long terme, il développera des troubles du comportement et aura lui aussi une piètre image de lui-même. On vous l’a dit, l’enjeu est énorme et tout le monde en sort largement perdant.

Les écoles démunies

L’une des observations que l’on a fait ces dernières années est l’apparition du harcèlement dans les classes maternelles, alors qu’il n’existait qu’à partir du niveau primaire. Il ne s’agit pas encore de harcèlement au sens clair, mais de bousculades, entraînant un inconfort passager chez l’enfant, une succession d’instants désagréables puisqu’à cet âge, ils ne font pas encore de liens dans le temps.

« Il faut se rendre compte que pour un petiot, la réflexion ‘Tu es bête’ et les rires moqueurs des copains sont aussi violents qu’une insulte plus subtile et plus forte à un âge plus avancé », explique Rachel Postelmans. Et c’est justement là que le bât blesse. Si le corps enseignant est conscient des épisodes de harcèlement qui se multiplient dans les classes, il n’est pas encore suffisamment informé, ni outillé, pour pouvoir les détecter et réagir de manière appropriée.

Au stade de la maternelle, il doit y avoir avant tout des démarches de prévention (apprendre à communiquer de manière positive, à gérer les conflits de manière constructive...) puisque c’est à ce moment que se mettent en route les schémas qui pourraient dégénérer à l’arrivée en primaire, là où le harcèlement se met en place de manière plus définitive. Parce qu’il faut savoir qu’il est très difficile d’en sortir une fois qu’il est installé et qu’il est très délicat à traiter. Il est donc impératif d’agir, en tant qu’enseignant, mais aussi en tant que parent.

Prévenir plutôt que guérir

Le rôle de l’enseignant est déterminant dans la qualité de l’atmosphère de la classe et dans la gestion des cas de violence comme l’est celui du harcèlement. Chaque classe n’a-t-elle pas une tête de Turc ? La responsabilité ne revient évidemment pas à l’enseignant, mais à l’heure actuelle, le corps professoral, même de bonne volonté et performant dans plein d’autres domaines, n’est pas outillé pour faire face à ce phénomène.

Dès lors, certains professeurs assistent à cette violence, impuissants. Or, « le sentiment d’impuissance des enseignants enrichit le sentiment de solitude et de désespoir de l’enfant harcelé. Comme l’impuissance nourrit le processus de harcèlement, on n’en sort plus si l’adulte ne se sent pas capable de gérer le problème, explique Bruno Humbeeck. L’adulte doit reprendre le contrôle de la situation, il doit montrer qu’il est le dominant pour pouvoir désamorcer le mécanisme qui s’est mis en place ».

Le psychopédagogue plaide aujourd’hui pour la mise en place de structures internes aux établissements, spécialisées dans le harcèlement, qui soient assez « dominantes » pour calmer le jeu, donner le ton et créer une atmosphère de respect. Il faudrait ainsi des dispositifs outillés de prévention des violences visibles et invisibles dans les écoles, en activant toutes les ressources internes et externes si elles ne sont pas suffisantes. Il faudrait également un conseil de discipline qui puisse intervenir lorsqu’il y a une menace, et qui puisse éventuellement poser des sanctions probatoires (un renvoi, une retenue).

Faire appel à l’intelligence collective

Du côté des parents, la première chose à faire est d’ouvrir l’œil, de manière discrète, pour ne pas mettre la puce à l’oreille de notre enfant. Puis de se montrer ouverts à la discussion, sans être trop insistants ni intrusifs, sous peine de le voir se refermer comme une huître. Par ailleurs, il existe des signes de détresse liés à chaque âge, qui peuvent aussi nous mettre sur la piste.

La première chose à faire, lorsque nous soupçonnons notre enfant d’être harcelé, c’est de lui envoyer le message que nous, en tant qu’adultes, reprenons le contrôle de la situation, que nous allons gérer le problème. « C’est criminel de dire à son enfant de se défendre, affirme Bruno Humbeeck, c’est l’émotion du plus faible qui est toute-puissante et qui doit être protégée quoi qu’il arrive. Par contre, il faut lui apprendre qu’il a le droit de dire non ».

Ensuite, si un cas de harcèlement est détecté dans une classe, Bruno Humbeeck conseille de solliciter l’intelligence collective. Concrètement, puisque le harceleur tire sa force et sa légitimité de témoins qui le valorisent et l’avalisent, il sera très efficace de faire appel au raisonnement de ceux-ci lors d’une discussion qui impliquera ainsi tous les acteurs du processus de harcèlement. En entamant un dialogue qui stimule la réflexion et l’empathie du groupe, les témoins de l’acte de violence se positionneront en défenseurs de la victime, ce qui fera perdre son aura au harceleur. En ne stigmatisant pas le harceleur, on lui permet de se soustraire à son rôle sans perdre la face, et au harcelé de sortir de son rôle de victime sans risque de répercussions. La mise en place d’un dispositif avec des règles acceptées et connues de tous, passibles de mesures coercitives si elles ne sont pas respectées, est aussi une solution efficace.

En savoir +

Qui, quand et comment ?

Près de 20 % des élèves sont victimes de harcèlement à l’école en Fédération Wallonie-Bruxelles. Les chiffres varient en fonction des âges et du sexe. Il touche autant le primaire que le secondaire avec un pic en fin de primaire et au début du secondaire. Les garçons sont plus portés sur les persécutions directes (insultes, bousculades, coups) et les filles sont plus portées sur les persécutions indirectes (exclusions, remarques blessantes, rumeurs...).

Les caractéristiques du harcèlement

  • La fréquence, la répétition et la durée : les faits se répètent quotidiennement et sur une longue durée.
  • Une volonté de nuire : l‘auteur existe au sein du groupe classe en nuisant à l’autre, en le cassant devant ce groupe. Cela lui confère un statut, une popularité, du pouvoir.
  • La présence de témoins : sans acolytes, le harcèlement ne peut exister car c’est le groupe qui « valide » le statut de l’auteur.
  • Une invisible visibilité : si le harcèlement est bien visible par le groupe, il est caché aux yeux des adultes.
  • Un rapport de force inégal.

Une maman en parle…

Parole contre parole

« Lorsque mon fils a commencé à être la cible de moqueries et de brimades de la part d’un petit groupe de sa classe de 1re maternelle, la maîtresse m’a dit qu’elle ne voyait rien de frappant, insinuant que mon fils exagérait. Mais elle a reconnu que l’enfant dont mon fils se plaignait en particulier était très violent et difficilement gérable. Elle a donc pris la décision de les faire parler ensemble, mais je ne suis pas certaine que cela ait été bénéfique. »
Paula, maman d’Eliot

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