Société

« Je me sens beaucoup plus heureuse aujourd’hui »

Il y a bientôt dix ans, Sylvie Droulans et sa famille se lançaient dans l’aventure du zéro déchet. Plusieurs livres et un spectacle plus tard, elle revient pour nous sur ses petites victoires, et sur ce qui lui permet de ne pas se décourager.

« Il y a des étapes dans la vie qui font qu’on se requestionne », constate Sylvie Droulans en repensant à la naissance de sa fille ainée Naïs, il y a dix-sept ans. À l’époque, son mari et elle se mettent à faire plus attention à la qualité et à la provenance de leur alimentation. À l’arrivée d’Una, trois ans plus tard, ils choisissent d’aller « un cran plus loin » en adoptant les langes lavables. Petit à petit, leur façon de consommer évolue et se met à essaimer, au propre comme au figuré, puisqu’ils lancent un potager et un compost collectifs dans leur quartier.
Mais le véritable déclic se produit à la suite d’une conférence donnée à Namur par Béa Johnson, une Française dont la poubelle familiale tient dans un seul bocal. Le lendemain, Sylvie et son mari – qui ont le sens du défi – décident à leur tour de ne plus produire de déchets.

« Moi, je ne pourrais jamais avoir ce cadeau ! »

Quelques jours plus tard, à la table du petit déjeuner, Sylvie explique la démarche à ses filles. « Il y avait une boîte de céréales sur la table et je l’ai utilisée comme outil pour parler avec elles. Je leur ai fait décomposer cette boîte : le carton, on peut le recycler. Le plastique, qu’en fait-on ? ». Alors âgées de 6 et 8 ans, les petites comprennent l’enjeu. Mais changer de mode de vie n’est pas simple pour autant. « On a deux filles très différentes. L’aînée a toujours eu une sensibilité très forte pour la nature et l’environnement, et ça a été assez fluide. Mais pour la deuxième, qui a un côté plus rebelle et émotif, le changement a été plus difficile ».
La confrontation avec les autres enfants est parfois compliquée. « Ma fille me disait : ‘Untel a reçu tel cadeau, et moi, je ne pourrais jamais l’avoir !’ ». En discutant avec elle, Sylvie trouve un compromis : sa fille aura le jouet dont elle rêve mais de seconde main, donc sans emballage. Idem pour le smartphone, quelques années plus tard : ses filles en auront un en même temps que les autres enfants de leur âge, mais en version reconditionnée. « J’ai tenu bon dans certaines situations. J’ai dit : ‘Non, ça, on n’aura pas’. C’est difficile parfois, mais l’essentiel d’une démarche zéro déchet avec des enfants, c’est le dialogue et l’implication ».

« Chaque petite étape est une fierté »

Depuis, Sylvie a tenu un blog, écrit plusieurs livres et monté un spectacle sur le zéro déchet. Elle propose également des formations en ligne (zerocarabistouille.be). Et elle l’assure : ce mode de vie réussit à sa famille. Devenues ados, ses filles ne portent que des vêtements de seconde main et toutes les trois se font de temps en temps des « journées fripes ».
« Je suis fière du chemin accompli, et mes filles aussi sont fières de ce qu’elles font, confie la maman. Chaque petite étape est une victoire et donc une fierté. C’est fou de le dire, mais je me sens beaucoup plus heureuse aujourd’hui que je ne l’étais quand j’avais trop. »

« Parfois, on a trop envie que l’autre nous ressemble, mais c’est impossible. On peut inspirer, mais pas imposer »
Sylvie Droulans

Mais fierté ne rime pas nécessairement avec sérénité. « Dernièrement, j’avais une discussion avec ma fille qui revenait très énervée de l’école : ‘Nous, on fait plein de trucs pour la planète, mais les autres pas, ça ne va pas marcher !’ ». Sylvie aussi est parfois assaillie par cette redoutable question : à quoi bon ? « L’éco-anxiété est là, latente, reconnaît-elle. Ce qui est important, c’est de se reconnecter à son objectif : pour quelle raison je fais ça ? Parce que j’ai des enfants et que, selon moi, j’ai une part de responsabilité ? Si on revient à un objectif personnel et réaliste, plutôt qu’à un objectif immense, comme sauver le monde, l’éco-anxiété se relativise ».

Inspirer sans imposer

« Parfois, on a trop envie que l’autre nous ressemble, mais c’est impossible. On peut inspirer, mais pas imposer », continue Sylvie. Cette capacité à communiquer sans culpabiliser fait sa force. Elle lui a permis de rester amie avec des personnes qui ne partagent pas ses convictions ou encore de collaborer de façon constructive avec les écoles de ses filles, à une époque où le réflexe zéro déchet était moins répandu qu’aujourd’hui. En primaire, par exemple, elle a refusé de plastifier un cahier, mais a expliqué sa démarche aux profs et leur a proposé d’utiliser des pochettes en tissu à la place. Convaincus, ils en ont fait une activité en classe.
Elle en est consciente : de manière générale, le fait d’être « exposée » à travers ses activités l’aide à se faire entendre et respecter. Et cette communauté qu’elle a créée la porte : « Le fait de s’impliquer dans l’une ou l’autre action, d’avoir un réseau de gens qui sont un peu dans la même mouvance que soi permet de se rassurer ». Voir que son travail porte ses fruits la tire aussi vers le haut : « Chaque message que je reçois vient nourrir ce besoin de me dire que ce que je fais est utile et a du sens. C’est comme si j’avais deux seaux : le seau des félicitations et celui des frustrations. Arriver à un équilibre entre les deux apaise mon éco-anxiété ».
Mais son véritable remède secret, c’est la forêt. Elle s’y rend deux à trois fois par semaine pour courir, promener le chien ou s’aérer avec sa fille aînée, qui en a autant besoin qu’elle. « Quand on est dans la forêt, le son est différent, l’odeur, le fait de marcher… Même si on arrive stressé, énervé, très vite, on s’apaise. Ça me permet de réfléchir, de relativiser, de sortir ces doutes, cette peur ». Et de continuer à avancer. « La transition n’est pas simple, il faut accepter ça », conclut-elle. Tout en rappelant que « le zéro déchet, ce n’est pas retourner dans sa grotte. Plus on avance, plus c’est confortable, agréable et valorisant ».

ZOOM

Gare au « burn-out du colibri »

Puriste dans sa démarche, Sylvie Droulans met néanmoins en garde contre « la recherche éternelle de la perfection » qui peut mener à l’épuisement. « J’appelle ça le burn-out du colibri, explique-t-elle, en référence à ce petit oiseau devenu un symbole des écogestes du quotidien. On veut tout faire, tout bien faire, et on en vient à complètement s’effacer et s’oublier. Je pense que se recentrer sur ce qu’on fait déjà, ce pour quoi on peut se féliciter, est une manière d’éviter ce burn-out. Quand des gens me disent : ‘Je ne me lance pas parce que je n’ai pas le temps maintenant, je ne le ferai pas bien’, je leur dis d’enlever le ‘Je ne le ferai pas bien’. Si on attend la perfection, on attendra toute notre vie. Tout ne doit pas être fait en une fois ».

Se féliciter pour ce qu’on fait déjà

Pour éviter de se mettre trop de pression l’un·e à l’autre, lorsqu’on n’est pas sur la même longueur d’onde dans le couple, elle conseille d’essayer de voir ce que l’autre fait déjà, à sa manière, et surtout de revenir à soi. « Qu’est-ce que toi, tu as envie de faire ? Et qu’est-ce que tu as comme maîtrise ? Les courses, tes vêtements, tes produits de beauté ? ». Elle rappelle également que nos changements de comportements ont un impact utile, même si des mesures globales s’imposent également. Selon une étude française, les actions individuelles pourraient en effet nous permettre de réduire notre empreinte carbone jusqu’à 25%.

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