Société

« Je n’ai pas de super pouvoir ou de cape rangée dans l’armoire »

Laurence Gourgues est une des huit mamans qui témoignent de leur parcours face au handicap d’un enfant dans le livre Paroles de mères-veilleuses. Le Ligueur l’a rencontrée pour revenir sur son expérience de maman d’un enfant trisomique.

En ce lundi de la mi-juin, le soleil est de plomb et la chaleur écrasante. Les quelques piétons affairés dans le quartier Wiener de la commune bruxelloise de Watermael-Boitsfort rasent les murs. Un coup de sonnette et dix-sept marches plus tard, Laurence Gourgues m’accueille sur le pas de la porte.
Je ne sais par quel miracle, mon hôte a réussi à conserver la fraîcheur dans son appartement. Impression renforcée par l’odeur de citron qui s’en dégage. Laurence m’invite à la suivre dans la salle à manger, pièce très épurée. Je ne sais pas encore si elle est une adepte de Marie Kondō, grande prêtresse du rangement, mais elle n’a rien à lui envier. Sur la console derrière elle, des photos des enfants, Tom, 13 ans, et Alice, 25 ans. Laurence s’assied et me lance un regard franc. Elle est prête à me raconter cette seconde expérience de la maternité qui a bouleversé sa vie à jamais.

L’annonce du handicap, c’est un tsunami

En ce 15 mars 2010, Laurence est tout à son bonheur. Elle vient de passer la toute première nuit avec son bébé. Tom a dormi une nuit complète. Le rêve. Christophe rejoint femme et enfant, il admire et s’émerveille aussi de ce petit bonhomme paisible.
L’émerveillement est de courte durée et fait place à que Laurence qualifie aujourd’hui de véritable tsunami. Le pédiatre débarque et s’empare du nourrisson. Il faut réaliser les examens de routine. Laurence sent une tension monter. Le docteur lance des regards à l’infirmière. Aucun des deux ne pipe mot. Elle ne perçoit que leurs dos, condamnée à garder le lit suite à sa césarienne.
« On va faire un caryotype », lâche enfin le toubib, sans plus d’explication. Christophe acquiesce. Laurence se tend. « Est-ce que tu comprends ce que ça signifie ? Il suspecte un handicap ». Le professionnel répond aussi sec : « Je fais plus que suspecter. Si vous voulez, vous pouvez le laisser ici », achève-t-il.
Deux phrases. C’est en tout et pour tout ce que ce médecin aura dit avant de lâcher sa bombe. Un désert de parole. Dans la tête de Laurence, ça grouille. Elle tente d’en savoir plus auprès du médecin. Il pense à la trisomie 21. Il prévient. « Mieux vaut ne pas s’attacher. Il passera sa vie dans une institution ».
Le pédiatre n’en dit pas plus et prend congé. Ça y est, la vague du tsunami est passée. La mère garde un goût amer. Le père est déboussolé. Il a besoin de prendre l’air. Trois heures plus tard, Christophe revient. Méconnaissable. Le paternel est prêt à affronter. « Sa trisomie ne va pas définir Tom. Moi, j’ai un petit garçon ».
Après la première vague en vient une autre. Le cœur de Tom est mal en point. Il est encore trop jeune pour qu’une opération soit envisagée, mais il faut le surveiller de près. Le verdict se confirme. Tom est chétif. Souvent malade. À 3 mois, il convulse. L’opération à cœur ouvert se fait dans l’urgence. Quelques instants, Tom ne respire plus. Puis, sa petite vie reprend. Il a tenu le choc.
Treize ans plus tard, le regard de Laurence est empli d’émotions contradictoires. On y lit la fierté du chemin parcouru. La confiance d’une tribu soudée. La satisfaction de la maman. « Même si c’est difficile, le bonheur de Tom nous prouve que la vie vaut le coup. Malgré les épreuves, il a une telle envie de vivre. De prendre ce qu’il y a à prendre. C’est beau à voir ».
Dans le regard maternel, on lit aussi l’épuisement. Les maladies qui se répètent. Les démarches administratives qui se multiplient. La logistique qui s’alourdit. La fatigue qui s’accumule. « Parfois, je me demande ce que j’ai fait pour mériter ça ».

« Tom m’a donné confiance en moi. Il rayonne tellement que son énergie est communicative »
Laurence Gourges

Maman de Tom, 13 ans, trisomique

Au boulot, ce n’est pas folichon non plus. Après une longue trêve pour s’occuper de Tom, Laurence reprend le collier en 2016 en tant qu’éducatrice dans une école secondaire. Cette même année, elle est agressée. Deux malabars lui tombent dessus un matin. Une enquête est ouverte. Les agresseurs détaillent leur plan. Laurence apprend qu’ils comptaient aussi s’en prendre à Alice et Tom. Elle s’effondre. À 43 ans, sa carrière s’arrête net.
Juillet 2021, c’est le coup de grâce. La famille est en vacances en Bretagne. Tom a 11 ans. Pendant une semaine, il réclame à boire sans arrêt. Sa soif ne s’étanche pas. Tom devient incontinent. De retour en Belgique, Laurence consulte la pédiatre qui suspecte un diabète. « Cette maladie en plus du handicap, ça m’a mis K.O. Je suis arrivée à saturation. Il y a des moments où on ne peut plus encaisser ».
Tom est transféré à l’Huderf et hospitalisé avec ses parents pour douze jours. Christophe et Laurence doivent se familiariser avec le diabète. Apprendre à piquer leur fils. Détecter les moments de crise. Veiller à son régime alimentaire pour éviter les hyper et hypoglycémies.

C’est chaud, mais c’est beau

Tant de souvenirs qui refluent. De difficultés charriées. « Je suis une maman comme n’importe quelle autre maman. Je n’ai pas de super pouvoir ou de cape rangée dans l’armoire. Les gens pensent qu’on est des super-héros, mais on n’arrive pas ». J’ose une question : qu’est-ce qu’on n’arrive pas ? L’émotion refait surface. Les larmes affluent dans le regard azur.
« J’ai l’impression d’avoir oublié Alice. D’être passée à côté de certaines choses avec ma fille. Hier encore, on était au resto, mais Tom a tellement l’habitude d’être le centre du monde que c’est difficile de discuter avec elle. Heureusement, Christophe et mes parents se sont beaucoup occupés d’elle. »
Laurence revient sur d’autres souvenirs qui attestent des liens forts entre les membres de la famille. Comme cette fois où Alice décide de se teindre en brune pour ressembler davantage à Christophe et Tom. À l’évocation de ce souvenir, un sourire se dessine et le regard s’anime. « C’est chaud, mais c’est tellement beau tout ce qu’on vit grâce à Tom ».
Aux côtés de son petit d’homme, la maman grandit aussi. « Tom m’a donné confiance en moi. Il rayonne tellement que son énergie est communicative. Tom ne se préoccupe pas de ce qu’on pense de lui. Ça aussi, il me l’a appris. Avec lui, j’ose monter sur le carrousel si j’en ai envie ».
Dans le tourbillon de la vie, Laurence prend conscience qu’elle a besoin d’un projet à elle, en dehors de Tom. Elle repense à un restau à Nantes qui combinait sa passion pour la gastronomie et le monde du handicap. Affranchie de ses peurs, elle prend contact avec son réseau pour mettre sur pied une équipe. Elle ajoute une dimension culturelle au projet. En 2017, l’asbl Tom, Scott et compagnie voit le jour autour d’un projet de table d’hôte et de représentation théâtrale. Le tout en version inclusive bien sûr. Des parrains et marraines issu·es du milieu culturel et de la gastronomie complètent le décor. « Quand tu oses, tout se goupille ».
Depuis 2020, l’asbl a entrepris une autre mue pour coller davantage à son identité et s’appelle Happycurien. Un nom qui va comme un gant à la joyeuse troupe de bons vivants impliqués dans le projet. Avec Happycurien, c’est un peu d’un troisième bébé que Laurence a accouché. Un bébé qui se porte bien et qui met des étoiles dans les yeux de la maman quand elle pense à tout ce petit monde qu’elle a rassemblé.
Tout n’est pas rose pour autant, « parce que l’inclusion, ce n’est pas si évident que ça ». Laurence constate souvent un décalage entre ce que les valides mettent derrière ce mot et la manière dont les personnes concernées la conçoivent. Ce décalage peut être riche quand on parvient à le surmonter. Avec ses hauts et ses bas, à l'image de l’histoire personnelle de Laurence et de celle de l’asbl.

À LIRE

Paroles de mères-veilleuses. Parcours face au handicap d’un enfant

C’est la lecture de ce livre, écrit par l’ancienne ministre bruxelloise Céline Fremault (la Renaissance du livre), et particulièrement celle du témoignage livré par Laurence Gourgues qui nous a donné envie de la rencontrer.
Ce livre traite du handicap par le prisme maternel. Huit femmes y témoignent de leur parcours de vie en tant que maman d’un enfant handicapé. À ce titre, il fait coup double comme l’explique Isabelle Hachez, professeure à l’Université de Saint-Louis, qui préface le livre. « Il dit tout à la fois – sans pour autant les confondre – des situations de handicap de leurs enfants et des parcours de vie de celles que ces situations impactent au premier chef ».

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