Société

Voilà plus de vingt ans que Jérémie Pichon se bat pour les océans en les préservant d’un maximum de déchets. Ses gestes ont des effets bien au-delà des mers. Il parvient également à changer les mentalités et à motiver autour de lui. Lui et sa compagne, Bénédicte Moret, ont éduqué leurs enfants à la démarche...
Quand nous le rencontrons par écran interposé (eh oui, bien que zéro déchet, Jérémie Pichon ne s’interdit ni ordinateur, ni GSM), il ne porte pas le t-shirt siglé d’un étrange visage que l’on voit sur tous les dessins que sa compagne a réalisés de lui pour leurs trois ouvrages, Famille presque zéro déchet : ze guide, Les zenfants presque zéro déchet : ze mission et, plus récemment, Famille en transition écologique, tous trois publiés aux éditions T. Souccar. Un sigle qui nous intrigue.
« C’est une tête de mort, sourit le quadra à la barbe poivre et sel. J’ai commencé l’écologie parce que j’habite au bord de l’océan et que je viens du monde de la glisse, du surf, du snowboard et du skate, un monde où cet emblème revient souvent pour son côté pirate, combatif. Tout au début des années 2000, j’étais beaucoup en montagne dans des milieux vierges et magnifiques que j’ai eu envie de protéger. »
Ce smiley, c’est aussi un clin d’œil, à l’image de l’humour présent dans ses livres. « Nos démarches zéro déchet sont objectives, sourcées scientifiquement. Elles n’ont rien d’idéologique, explique Jérémie Pichon. On est sérieux, mais on ne se prend pas au sérieux, parce qu’on n’est pas grand-chose sur cette planète. L’humour reste l’arme la plus efficace pour passer le message ».
Cet humour constitue la trame également du spectacle qu’il a monté et que l’on pourra découvrir ce jeudi 13 avril (lire encadré). « C’est un one man show où les gens rigolent beaucoup. J’ai plus de crédit que si je faisais la morale ou culpabilisais les gens parce que ce qui nous attend est trop dur, difficile à entendre et crée beaucoup d’éco-anxiété. Inutile d’en rajouter une couche ».
Le déchet comme symptôme
Avant de se retrouver sur les planches et de devenir auteur, Jérémie Pichon a étudié non pas la biologie, l’agronomie ou la chimie, mais… l’histoire et la géographie. « L’histoire nous permet de comprendre les systèmes, nous explique-t-il, l’organisation des sociétés, des différentes classes sociales, la géographie humaine, les ressources à travers la géopolitique comme le conflit ukrainien aujourd’hui autour de l’énergie et des céréales. L’histoire-géo nous manque aujourd’hui, car les gens n’ont plus assez de recul ».
Dans les années 1990, il devient animateur et éducateur en environnement avec des enfants et des adolescent·es, lors de classes de découverte. Il travaille une quinzaine d’années dans des ONG environnementales et humanitaires comme Action contre la faim. Actif au sein de la Surfrider Foundation, il ramasse bouteilles, papiers et autres détritus sur la côte basque, près de Biarritz, et explique aux gens le fléau que représente le plastique et la nécessité de changer d’économie et de modèle. Tout en étant militant altermondialiste avec ATTAC, Greenpeace, etc., Jérémie Pichon fonde avec d’autres Mountain Riders qui, comme la Surfrider Foundation le fait pour les littoraux européens, est une association qui veille à la préservation de la montagne en y ramassant les déchets sur les pistes de ski.
« L’idée était de montrer que notre tourisme de masse n’était pas compatible avec un milieu fragile. J’y ai ramassé des tonnes et des tonnes de déchets. J’ai compris à cette occasion que le déchet est le symptôme de notre société de consommation. C’est ce qui nous reste quand on a extrait, transformé, consommé. Plus on consomme, plus on a de déchets. »
Bob le bocal
Avec sa compagne et leurs enfants Dia et Mali, 3 et 6 ans à l’époque, ils constatent néanmoins que leurs poubelles débordent toujours autant alors qu’ils consomment de plus en plus raisonnablement. La petite tribu installée dans les Landes décide d'enquêter, en vidant sa poubelle dans le jardin pour analyser son contenu.
« C’est un acte hyper pédagogique, explique le papa vert. Votre mode de vie s’étale sous vos yeux. Le constat est flagrant : les emballages alimentaires, le plastique et l’aluminium sont omniprésents. On a décidé d’essayer de se passer de tout ça, de vivre sans cette foutue poubelle. On a changé de mode de consommation et on est sorti de la grande surface, car c’est ce système qui génère principalement notre poubelle. On est allé essentiellement vers des circuits courts, avec nos contenants, nos sacs à vrac et nos boîtes hermétiques. Au bout d’un an, on s’est retrouvé avec une poubelle par mois, puis la deuxième année avec une poubelle en six mois et la troisième avec un bocal ».

« Le déchet est le symptôme de notre société de consommation. C’est ce qui nous reste quand on a extrait, transformé, consommé. Plus on consomme, plus on a de déchets »
Parallèlement, Jérémie ouvre un blog avec Bénédicte, qui illustre leur aventure zéro déchet. Une aventure commune où ils se sont beaucoup amusés et qui s’est enrichie d’un premier bouquin en 2016. Un best-seller avec plus de 300 000 exemplaires écoulés, cinq millions de personnes à suivre le blog et quelque trois cents conférences en Europe, mais aussi à Moscou et à Montréal.
Les 4 R et le top 3
Impossible de résumer trois livres en deux pages. Pour les parents - et les enfants - qui voudraient se lancer dans le zéro déchet, Jérémie Pichon renvoie à la philosophie de base de la démarche, résumée en quatre R. R comme réduire sa consommation et celle des huit milliards d’individus sur Terre. R comme réutiliser à travers des circuits d’occasion et de réutilisation pour pallier l’obsolescence permanente. R comme réparer pour allonger la durée de vie d’un objet et des matériaux qui le constituent. Et en dernier lieu, R comme recycler.
« Mais le recyclage, précise-t-il souvent dans ses conférences, n’est pas le miracle annoncé, car il prolonge un système destructeur en engrangeant un maximum de profits. Le recyclage n’est pas la solution, car le plastique se recycle très peu. »
Pour ceux et celles qui voudraient, comme l’auteur de cet article, se lancer concrètement dans l’aventure, Jérémie Pichon conseille à nouveau que chacunꞏe reparte de sa poubelle pour établir le top 3 des actions à mener. « La poubelle, c’est trois tiers. Le premier, c’est la matière organique, essentiellement les déchets alimentaires, à mettre dans un compost pour les rendre à la terre. En France, en 2024, on est tous censé composter suite à une loi européenne. Pour ceux et celles qui vivent en appartement en ville, il y a des solutions. Des composteurs collectifs se développent. Il y a aussi du porte-à-porte avec des poubelles de biodéchets. Le deuxième tiers, ce sont les emballages agro-alimentaires, liés à tout ce que l’on achète en grandes surfaces. La solution, c’est de sortir de la grande distribution qui est une catastrophe pour l’emploi, la santé, l’environnement et le portefeuille, car le caddy coûte cher contrairement à ce qu’on nous dit. Pour en sortir, il y a les circuits courts, les marchés… On achète mieux, on ne gaspille pas, on fait des économies. Le dernier tiers, ce sont les objets du quotidien devenus inutilisables, stylo, jouets, tasse cassée, etc. auxquels on applique les 4R. Reste la voiture qui est un vrai souci pour les adeptes du zéro déchet, ainsi que le numérique ».
Des ados presque zéro déchet
Jérémie Pichon et Bénédicte Moret ont embarqué leurs enfants très tôt dans le respect de l’environnement, notamment en utilisant des langes lavables. Ils les ont aussi conscientisés progressivement à la démarche zéro déchet. Aujourd’hui, ils ont 12 et 15 ans, un âge où les jeunes prennent parfois de la distance avec le modèle familial.
« Ils ne s’opposent pas, se réjouit le papa presque zéro déchet, parce que nous avons un mode de vie souple, dans la confiance et le dialogue. On essaie de les rendre les plus libres, les plus autonomes et les plus épanouis possibles. On interdit très peu. Ils s’autonomisent dans leurs choix de consommation. Cela pourrait poser problème, mais, globalement, il n’y en a pas parce qu’ils ont toujours eu ce mode de vie écologique. Nos enfants sont des consommateurs, mais modérés. Ils achètent d’occasion leurs vêtements, leurs jeux, leurs mangas, les revendent aussi. On a toujours mangé frais, on cuisine et ils continuent. Ma fille est devenue experte en pâtisserie. Nous vivons bien, et même mieux, car nous avons gagné en qualité de vie. Et de temps en temps, il y a des craquages, mais on ne va pas se prendre la tête non plus. Il faut être indulgent avec soi-même et avec les autres. Personne n’est parfait : nous nous parlons via un ordinateur, j’ai un smartphone comme mes enfants, j’ai une voiture. Et ces trois objets sont tout sauf écologiques. »
Raison pour laquelle figure ce presque dans le titre de ses livres, car tout le monde est amené à produire des déchets quand on a besoin de se nourrir, de se loger, etc.
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