Développement de l'enfant

Parfois, pour les jeunes, il y a à la fois peu d’opportunités pour s’engager et un million de raisons d’être en colère et de vouloir lutter contre une société qui ne leur plaît pas. Comment accompagner au mieux les jeunes dans leurs combats ? Réponses - dont certaines peuvent aussi s’appliquer à nous, les parents - avec Fabienne Glowacz, psychologue clinicienne et professeure à l'ULiège.
Fabienne Glowacz : « D’abord, différencions le combat de l’engagement. Combattre, c’est une dynamique très active où il y a une cause précise et un fond d’opposition. Un engagement, il n’y a pas nécessairement une cible à combattre. On s'engage dans un projet. Par exemple, participer à un mouvement de jeunesse comme les Scouts ou le Patro, aider à un petit déjeuner Oxfam. L’engagement n’est pas forcément du militantisme, ça se passe à une petite échelle. Ce qui importe, c’est que le jeune se sente acteur et en lien avec d’autres ».
Ça veut dire qu’on le soutient dans sa démarche ?
F. G. : « Bien sûr. Un jeune sur deux est prêt à s’engager. Mais il faut trouver l’offre. Il y en a qui sont éminemment porteuses et positives, d’autres moins. Avec ce que l’on vit, j’aurais tendance à soutenir les jeunes qui veulent se lancer dans des actions de soutien et d’aide aux autres jeunes, qui permettent de voir les effets positifs. Par exemple, l’aide dans le cadre scolaire, c’est valorisant. Plus globalement, les actions de solidarité peuvent aussi mener à une concrétisation visible ».
Pourquoi cet engagement est-il positif pour un·e ado ?
F. G. : « D’une part, l’engagement a des vertus de socialisation, il permet de se sentir appartenir à un certain groupe. Cela participe à la construction de son identité. L'ado a besoin de voir qu’il est acteur dans une société, qu’il a un pouvoir de changement, car cela peut ouvrir des perspectives. Il se sent valorisé, (re)crée des liens. Mais surtout, cela donne du sens à son existence, à la vie. Et trouver du sens contribue à une bonne santé tant mentale que physique. D'autre part, l'engagement amène l'action. Action qui peut vraiment prendre des intensités, des mesures et des lieux différents ».
Quand l’ado vit son combat intensément, celui-ci peut aussi mener à la désillusion. On l’a vu après la COP26, énormément de jeunes militant·e·s sont revenu·e·s déçu·e·s face aux décisions (non) prises.
F. G. : « Avec quelqu’un·e qui serait envahi·e de visions négatives, on peut essayer de faire le lien avec certains moments de l’Histoire, d’autres grandes crises qui ont donné lieu ensuite à des avancées majeures. On peut se demander ‘Comment comprendre qu'un futur est quand même possible ?’. Les questions sont très pragmatiques et existentielles. Pour arriver à la question finale : ‘Comment, moi, je peux mettre mon grain de sable là-dedans ?’. Et là, il y a un beau débat à avoir.
On peut aussi apprendre à son ado à mettre d’autres paires de lunettes, qu’il ou elle se dise ‘Dans l’instant présent, comment puis-je m’émerveiller ?’. C’est recentrer le jeune sur ce qu'on peut vivre ensemble et dans le présent. Sur les plaisirs que donne la vie malgré ce marasme covid et climatique. Provoquer ces partages de plaisir en famille, avec les copains et copines autour d'un jeu, un fou-rire, une belle lumière, une jolie photo…
C’est vrai que le monde qui leur est donné ne vend pas du rêve. C’est là que le parent peut guider, pour autant que lui-même soit suffisamment en forme pour le faire. Si c’est le cas, il peut enseigner cette lecture et ce, depuis le plus bas âge.
Un truc pour les parents aussi : verbaliser les émotions positives. Je crois qu'on a une culture où on verbalise le ras-le-bol, le désespoir, la tristesse, le stress, etc. Et qu'on identifie et extériorise moins les émotions positives. Ce sont des détails, mais si, tous les jours, on fait remarquer quelque chose de chouette, ça peut faire du bien ».
Ce côté « on ne montre que le positif » est présent sur les réseaux sociaux. Qui devient même parfois une dictature du bonheur, quitte à mettre des filtres comme on mettrait du maquillage sur un visage triste.
F. G. : « C'est le plaisir ressenti qui importe, la joie plutôt que la contemplation. Le ressenti plutôt que le construit. Quand on pense à une joie ressentie, qu’on se la représente et qu’on la verbalise, cela intensifie le bien que ça fait. Cela donne sens et construit ce que l’on a vécu. C’est pour cela que la verbalisation est importante ».
Aujourd’hui, énormément de luttes se passent sur les réseaux sociaux, avec de nombreux comptes militants dont les hashtags sont utilisés par les jeunes. Exemple avec #balancetonbar dernièrement : 28 500 abonnés et des centaines de jeunes dans les rues de Bruxelles il y a quelques semaines. Est-ce qu’il s’agit d’un espace d’engagement que les jeunes ont retrouvé ?
F. G. : « C’est très bien que la parole se soit libérée, que des injustices soient dénoncées. Mais, pour moi, il faut être prudent·e. Il peut y avoir une saturation. Ces mouvements peuvent aussi avoir des effets négatifs comme un sentiment d’insécurité dans les villes, dans l'espace public. C’est toujours bien de balancer, mais après il faut relancer. L’insécurité n'est jamais quelque chose de porteur s’il n’y a rien qui suit derrière. Elle amène le repli sur soi, la crainte de l'autre, le besoin de se faire protéger par certain·e·s, donc le retour à des rapports inégalitaires. C'est donc important de donner un espace de réflexion, d'action et un accompagnement ».