Développement de l'enfant

Jeunesse bouche émissaire

Avec Scan-R, les jeunes reprennent du poil de la bête. Quand la plume libère l’âme adolescente et la rend fière, le Ligueur ne peut que s’en faire l’écho.

« On me fait comprendre que je n’y connais rien. Être une femme et être jeune, c’est avoir moins le droit de donner son opinion ». « La parole des jeunes n’est pas suffisamment prise en compte. Nous sommes des personnes à part entière, nous avons des choses à dire ». Avec l’asbl Scan-R, Églantine et Alessandro, 18 et 21 ans, font entendre leur voix en prenant la plume.

Donner la plume plutôt que des cailloux

L’histoire commence en 2017. L’enquête Noir, Jaune, Blues (Le Soir, RTBF) fait état d’une société de plus en plus fragmentée et d’un communautarisme en pleine montée, avec comme résultante un repli sur soi. Les jeunes ne sont pas en reste. Eux aussi sont concerné·es.
Des journalistes et acteurs de terrain rêvent de prendre le contrepied et créent l’asbl Scan-R. Son crédo ? Donner la plume, le stylo, le crayon, le clavier aux jeunes, en particulier aux plus exclu·es, c’est mieux que de donner des cailloux. Quand le caillou amoche, l’écriture permet de se raconter et de dessiner de nouvelles pistes.
Depuis 2018, Scan-R organise des ateliers d’écriture à l’adresse des jeunes. Un dispositif pédagogique qui permet de recueillir leur parole. Après deux ans de travail aux côtés des 12-30 ans, Céline Gilson, rédactrice en chef, s’émerveille toujours du cercle vertueux enclenché par l’écriture. « Au départ, les jeunes se montrent réservés. Ils ne voient pas trop l’intérêt d’écrire. Puis, amadoués par le côté concret des exercices, ils se prennent au jeu ».
Le stylo à la main, ils se lancent, se racontent, déchargent, revendiquent, se saisissent. « En quelques heures, on se retrouve avec des pépites ». Tout à coup, le pédagogique passe le relais au volet médiatique. Un texte est là, prêt à être récupéré pour être répercuté sur les réseaux sociaux, dans la presse, en radio ou dans l’édition annuelle du livre Bouches émissaires (voir ci-dessous).

Exprimer pour se libérer et même ressentir de la fierté

Églantine se souvient comme si c’était hier de son premier atelier d’écriture en juin 2022. Sans trop réfléchir, elle se met à écrire sur la pression sociale. Celle qui pousse à rentrer dans des cases. « Ça m’a fait un bien fou d’exprimer ce conditionnement que nous subissons tous. Aujourd’hui, on peut dire ‘Je suis homo’, mais ça reste compliqué de le vivre. Je le sais parce que mon papa vit avec un homme. Aujourd’hui, ils assument de se promener main dans la main, mais ça n’a pas toujours été le cas. Je me suis sentie libérée d’un poids énorme par le simple fait d’exprimer ce ressenti enfoui en moi depuis des années ». L’impact est encore décuplé quand l’adolescente lit son texte à ses comparses.
Alessandro a rejoint la rédaction jeunes de Scan-R il y a un peu moins d’un an. L’étudiant en droit est d’abord invité à participer à une émission radio. Depuis, Alessandro prend aussi régulièrement la plume. Ce qui l’anime ? La volonté d’ouvrir les yeux du public sur des réalités sur lesquelles il a souvent envie de les fermer. Fils d’immigrés, Alessandro a pour sujet de prédilection la migration. En 2023, il rédige un texte poignant intitulé Lettre à ma fille sur le destin tragique d’un Congolais qui brave la mer et les frontières pour offrir un avenir meilleur à sa fille.
« J’ai toujours ressenti cette part de flou, ce tiraillement entre deux mondes. J’avais des choses à dire sur le sujet et, en même temps, l’envie de m’investir à fond dans une histoire fictionnelle qui puisse parler à tout le monde. C’est ce que j’ai tenté de faire dans ce texte ». La voix enjouée, il s’anime en racontant les sources qui ont inspiré ce texte. Passionné du Congo, c’est dans cet immense pays qu’il décide d’ancrer son récit.
Écriture thérapeutique, écriture militante, écriture libératoire. Les vertus sont multiples. « On plante des graines. Il y a toujours quelque chose qui germe même quand l’atelier n’aboutit pas à un texte. Le fait qu’on se déplace là où sont les jeunes marque aussi notre intérêt pour leur vécu et leur parole. Ils ont le sentiment de compter. Autre bénéfice, les ateliers leur offrent un temps d’arrêt dans leur vie », souligne Céline Gilson. Outre les Maisons de jeunes, écoles, AMO, Scan-R pousse aussi les portes des hôpitaux psychiatriques et des services d’accrochage scolaire pour se connecter aux plus fragilisé·es.

« On plante des graines. Il y a toujours quelque chose qui germe même quand l’atelier n’aboutit pas à un texte »
Céline Gilson

Rédactrice en chef de Scan-R

Se prêter à l’exercice de l’écriture, c’est ressentir un grand sentiment de fierté. Fierté exacerbée quand le texte est publié, partagé, relayé. Églantine l’a expérimenté le mois dernier. La jeune Brainoise se saisit du clavier pour témoigner de sa réalité. Celle d’une fille de ferme qui réclame un autre futur pour les jeunes dans l’agriculture. Sa plume touche. Son texte est partagé à tour de bras au sein de la Fédération des jeunes agriculteurs (FJA). Églantine est même invitée à le lire devant le ministre de l’Agriculture. « Je me sens fière d’avoir mis sur le devant de la scène la réalité des agriculteurs ». Son texte est aussi publié dans La Libre, un bel écho et une nouvelle caisse de résonance en perspective.
Églantine ne soupçonnait pas l’effet boule de neige de son investissement aux côtés de Scan-R. C’est d’ailleurs ce qui l’a motivée à effectuer son stage au sein de l’asbl. « J’ai rencontré des gens incroyables, des milieux qui m’étaient complètement inconnus, ça m’a aussi permis d’ouvrir les yeux sur certaines réalités ». La jeune femme prend en exemple la collaboration avec les Restos du cœur qui l’ont sensibilisée à la réalité des plus précarisé·es. Une nouvelle source d’inspiration pour un prochain texte ?
Pour Alessandro aussi, l’investissement aux côtés de Scan-R fait sens. « C’est un épanouissement personnel de pouvoir à la fois faire ce que j’aime et me sentir utile. Au-delà des émissions radio et des dossiers thématiques, Scan-R a un projet d’émission télévisée. J’ai l’impression que notre travail touche les gens. Des jeunes réagissent, se mettent à écrire et entrent dans la danse. C’est vraiment une dynamique par et pour les jeunes dans laquelle on s’enrichit mutuellement ».

ZOOM

Les témoignages d’Églantine et d’Alessandro ont titillé votre curiosité ?

Le Ligueur partage en bonus l’article d’Églantine dédié à la jeunesse. Elle l’a écrit lors du laboratoire social et médiatique organisé par Scan-R en novembre 2023. À cette occasion, l’association invite une cinquantaine de jeunes, des politiques, des acteurs du milieu associatif. Un laboratoire pour échanger autour de thématiques clés comme le genre, la migration, l’inclusion, la place des jeunes. L’événement se clôture par la lecture de quelques textes rédigés par des jeunes le jour même.

Changement d’âge

Aujourd’hui, j’ai 18 ans. Enfin, pas tout à fait.
J’ai 18 ans quand cela arrange mon père qui ne doit plus jouer les taxis.
J’ai 18 ans quand l’État demande mon vote pour soutenir un parti.
J’ai 12 ans dans les repas de famille où l’on nie mon avis.
J’ai 12 ans quand je parle de mes rêves, que mon innocence s’achève.
On me fait sentir femme-enfant, que je comprendrai avec le temps.
Puis, certains jours, je me couche et réalise que j’ai 35 ans.
J’ai 35 ans quand on me coince dans mille responsabilités, qu’on brade ma liberté.
J’ai 35 ans quand je dois choisir un métier à faire jusqu’à être retraitée, mais je n’entre qu’à l’université.
J’ai des problèmes d’adulte, à croire que je suis juste inculte.
Est-ce moi le problème ?
Ou ce monde anxiogène ?
La société nous compresse, nous oppresse, nous opprime.
Nous fait sentir illégitime.
Aujourd’hui, j’ai 18 ans.
Mais je voudrais l’innocence d’un enfant et l’expérience d’un parent.

À LIRE

Scan-R publie également une collection de livres sous le titre de « Bouches émissaires ». Elle compile des textes et témoignages issus des différents ateliers d’écriture. Après une première édition en 2020 intitulée Jeunesses confinées, suivie de Jeunesses ardentes en 2022, c’est au tour de Jeunesses inclusives de sortir en ce mois d’avril 2024 (Dricot).

LA SUITE...

Pour les jeunes pousses de l’asbl La Calame, des anciens endossent le rôle de tuteurs et font fleurir les mots et les histoires...

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