Loisirs et culture
L’ARCHIVE DU LIGUEUR
Au milieu des années 80, le Ligueur se met en pause durant l’été. Enfin, plus ou moins. Il paraît toutes les semaines de juillet et d’août, mais compte moins de pages et est rebaptisé « LetéléLigueur ». Au menu, grille des programmes et contenu essentiellement culturel. Dans ce projet éditorial qui sent les vacances pour la rédaction, un bouquin est présenté par Anne de Wouters. Son titre est parfaitement en phase avec cette mue saisonnière du Ligueur : Le jeune enfant devant les apparences télévisuelles.
L’ouvrage est signé Liliane Lurçat. Cette psychologue française, décédée il y a cinq ans, est aujourd’hui considérée comme une pionnière concernant la relation des enfants au petit écran. Pour ce livre dont il est question en 1984, elle a mené une enquête durant deux ans chez les petitꞏes de 4 à 6 ans. Objet de la recherche ? Identifier « les représentations que les jeunes enfants se font de la télévision, sur le sens qu’ils lui donnent, la manière dont ils reçoivent les informations, les dessins animés, les films, les spots publicitaires ».
C’est un « livre passionnant », affirme Anne de Wouters. Elle explique : « Cet ouvrage révèle combien les enfants peuvent s’emprisonner dans les apparences, mais aussi avec quelle force, quelle richesse, ils recréent les impressions reçues ». Et c’est vrai que cette re-création est pour le moins puissante. En l’absence d’adultes, les petit·es se construisent des systèmes d’explications entre raison et magie.
Exemple. À l’époque, Jacques Martin est encore le king du dimanche après-midi. L’animateur et son École des fans sont des incontournables. Mais les petit·es voient-ils ce que leurs parents regardent ? Pas vraiment. Pour les uns et les unes, les acteurs de ce programme (animateur et enfants) sont faux. Ce sont des êtres qui n’existent pas dans la vraie vie. Pour d’autres, seul Jacques Martin est faux et « les enfants peuvent entrer dans la télé en appuyant sur un petit bouton qui fait beaucoup de musique ». En clair pour ces enfants, Jacques Martin et Capitaine Flam, c’était du pareil au même. Un être virtuel, qui ne vit que dans la télé.
Voir la télé à travers les mirettes des bambins livre son lot de réflexions et d’étonnements. Liliane Lurçat souligne les dangers d’une télé sans accompagnement. « Dominer la tévé ou être dominée par elle ? Cette liberté ne va pas de soi : elle s’éduque ». Cette question taraudera la psychologue française jusqu’au bout. À l’âge de 80 ans, en 2008, elle publiait encore La manipulation des enfants : par la télévision et par l’ordinateur où elle mettait un peu adultes et enfants dans la même « inconscience ». « L’imprégnation que nous subissons depuis l’enfance provoque comme une confusion entre la vie réelle et les images. Elle fait de nous des conformistes qui ignorent les influences qu’ils reçoivent ». À l’heure des réseaux sociaux, cette pensée résonne d’autant plus.
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