« La maman d’Iñaki a une amoureuse »

Appelez-les Super. Tout simplement Super. Quand l’actu déprime, cette rubrique est là pour remonter le moral. Son objectif ? Mettre en scène des héros. Ceux qui rendent l’espoir possible. Il n’existe hélas pas grand monde pour parler d’eux. Nous leur ouvrons donc grand nos colonnes.

Et si la meilleure façon de dépasser un petit incident en classe était de l’exorciser par toute une série de projets ? Faire en sorte de bouleverser les points de vue, de déplacer la vision figée des uns et des autres. C’est justement l’histoire que l’on vous propose, incarnée par Déborah, maman homosexuelle, et son fils de 11 ans.

Rentrée post-congé de carnaval. Les élèves de 6e primaire sont ravis de se retrouver et de partager leurs souvenirs de vacances. On en discute en classe. Arrive le tour d’Iñaki, jeune garçon de 11 ans, de raconter ses vacances. « Ouais, c’était cool, j’étais chez Élodie… ». Il est coupé. « C’est qui, Élodie ? », demandent les copains curieux. « Bah, c’est l’amoureuse de maman ». « Quoi ? La maman d’Iñaki a une amoureuse ? ».
La prof coupe court à la discussion. « Allez, allez. On peut aimer qui on veut ». Point. On passe à autre chose. Dommage. L’occasion était trop belle de créer une vraie discussion autour de ce sujet encore délicat pour beaucoup. Tant pis. Pourtant, sans le savoir, une première pierre se pose…

« Tu as du courage toi… »

Une première pierre ? Iñaki rentre à la maison. Il raconte la scène à sa maman Déborah et lui dit de but en blanc : « J’en ai marre, tout le monde me pose des questions depuis qu’ils savent que tu es homo ». De la discussion naît un projet. Celui de créer un documentaire radiophonique dont Iñaki sera le héros. L’homoparentalité perçue à hauteur d’enfant. Et l’ambition est même plus vaste. Au-delà de la question de l’homosexualité, il est question de traiter de la diversité des familles.
Suite à ce qu’il s’est passé en classe, Iñaki fait le constat : pour la première fois, il réalise qu’il n’a pas de copains qui ont deux papas ou deux mamans. D’où l’idée de partir à la rencontre des enfants. Pour que ces petits copains divisés partout à travers le pays ne se sentent plus seuls. Et pour révéler aux autres qu’ils existent.
« Pour le moment, on a des réflexions qui montrent bien que les enfants issus de familles homoparentales se sentent stigmatisés. D’ailleurs, la plupart cachent la situation de leurs parents à leurs petits camarades ». Une petite copine de 9 ans de l’école d’Iñaki est venue le voir en lui disant : « Tu as eu du courage, toi ». « Oui, mais je ne le referai pas », répond-il du tac au tac. Un autre garçon interrogé pour le documentaire lui a confié : « Je ne le dirai jamais aux potes de l’école. Jamais. Je l’ai même caché à des copains qui sont venus à la maison en disant que Noémie, c’est la meilleure amie de ma mère. Et qu’elles sont tellement bonnes copines que parfois elles dorment dans le même lit ».
Déborah explique que le support radio a cela de génial qu’il protège les enfants et leur permet de conserver une part d’anonymat. Ce qui leur apporte plus de transparence dans les infos qu’ils dévoilent. De fil en aiguille, une autre idée a germé dans l’esprit de Déborah ainsi que d’autres parents rencontrés autour de l’asbl Tels Quels : créer une valise pédagogique qui contiendrait différents supports pour créer un véritable dialogue autour de la différence et guider l’école et tous les petits élèves issus de familles singulières (voir encadré). Pour changer les mentalités ? « Non, c’est trop fastidieux, souffle Déborah. Pour apporter des nuances, déplacer la vision de certains ». À propos, comment s’y prend-on ?

Les clés du changement ? Vous…

Déborah relate une anecdote. Une réunion d’école, bon enfant. Pour une petite dynamique d’échange, il est proposé aux parents des étiquettes. « Déborah, maman d’Iñaki ». Elle est justement accompagnée de sa petite amie de l’époque qui lui demande : « Je mets quoi, moi ? ». « Tu peux écrire ‘belle-mère d’Iñaki’ ».
C’est parti. S’enchaînent deux réactions. L’une, enthousiaste : « Ah, mon père est comme vous. Il est… euh… Enfin, vous savez, il est… ». Le mot ne sortira pas. « Homosexuel », ce n’est pas facile à prononcer. Et la seconde : « La belle-mère ? Vous êtes la sœur du père ? », avant de réaliser la méprise.
Cela traduit quoi ? Deux choses, selon Déborah. D’abord, le manque de représentation des familles qui sortent des classiques papa/maman. Elle fait le constat : impossible de trouver un roman, une histoire quelconque, d’aventure ou autre qui décrit une famille parentale, sans que ce ne soit le sujet central du récit. Un Max et les Maximonstres avec deux papas, par exemple.
« Il faut absolument que l’on arrête de répéter justement qu’il y a des familles différentes. Donc, des familles normales. De ce qu’il ressort des témoignages d’enfants interrogés pour le docu, ils ont peur d’être ennuyés dès qu’ils nous font sortir du placard. Les moqueries, le rejet, ce sont leurs plus grandes craintes. Alors que, paradoxalement, tous m’ont dit à un moment ou à un autre qu’ils s’estiment chanceux de provenir de ce type de famille. Parce qu’il s’agit d’une grande richesse. D’une belle ouverture d’esprit. »
Seconde chose, c’est à tous les parents d’incarner le changement selon Déborah. « Un enfant vient et raconte que son copain Lucas a deux mamans. Pourquoi ne pas partir de lui. Lui demander, ‘Ah bon ? Et tu en penses quoi, toi ?’. Voir ce qu’il en pense. La façon dont un enfant va percevoir l’homosexualité passe par la façon dont en parle en famille. »
On peut aimer qui on veut, c’est vrai. On peut aussi parler d’amour. De sa force et expliquer qu’il n’est pas qu’une simple affaire d’étiquette que l’on se colle à une réunion d’école.



Yves-Marie Vilain-Lepage

En pratique

Une plateforme dont vous êtes le héros

Une plateforme flambant neuve vient de voir le jour : Diversité-famille. Elle est le fruit de la collaboration entre la Ligue des familles, Tels Quels et le groupe de travail Diversité des familles dont fait partie Déborah. Elle n’a qu’une seule ambition : permettre aux parents de pouvoir expliquer la diversité des familles aux enfants. Elle pense d’abord à l’école et parle de sujets comme les différentes situations familiales, culturelles, l’importance d’utiliser un vocabulaire varié. Elle n’en est qu’à ses balbutiements, elle est née d’une démarche collaborative. Chacun d’entre vous peut s’en emparer et l’alimenter. Plus vous serez nombreux à fournir du contenu, plus elle sera le reflet d’une société plurielle.
 

Les infos collectées sont anonymes. Autoriser les cookies nous permet de vous offrir la meilleure expérience sur notre site. Merci.
Cookies