Développement de l'enfant

La mémoire, un superpouvoir qui se révèle grâce au sommeil

Pendant la nuit, les enfants enregistrent mieux ce qu’ils ont appris pendant la journée. Ils apprennent ainsi davantage que les adultes à temps de sommeil égal. Deux chercheuses de l’Université Libre de Bruxelles viennent de publier une étude démontrant ce superpouvoir.

« Va au lit. Si tu dors bien, tu seras plus intelligent ». Voilà une petite phrase que vous allez pouvoir ressortir à votre enfant qui ne veut pas rejoindre les bras de Morphée. Et ce n’est pas une légende inventée pour qu’ils obéissent. C’est ce que viennent de prouver Anna Peiffer et Charline Urbain, deux chercheuses du centre de recherche cognition et neuroscience de l’ULB Neuroscience Institute.

Elles ont comparé deux groupes de personnes, le premier âgé de 7 à 12 ans, le deuxième de 20 à 30 ans. Le soir, certain·e·s ont essayé de retenir des associations entre des objets imaginaires et leurs fonctions magiques. Et puis, ils ont dormi une douzaine d’heures.
Au réveil, les plus jeunes avaient mieux retenu les associations d’objets et leurs fonctions que les adultes. « Les enfants avaient consolidé les apprentissages, explique Charline Urbain. Ils n’avaient pas oublié les associations qu’ils connaissaient la veille. Elles étaient renforcées alors que les adultes avaient oublié un certain nombre d’entre elles ».

Et ce n’est pas parce que les adultes étaient fatigués ou dormaient moins. « On a fait attention à ce que tou·te·s les participant·e·s (enfants et adultes) soient dans le même état de vigilance ». On peut donc en conclure que le sommeil des enfants est plus « puissant » que celui de leurs parents. Il permet de consolider les apprentissages.

Un sommeil plus profond

Mais comment cela se fait-il ? Vos bambins dorment plus profondément. « Le sommeil des enfants va avoir proportionnellement plus d’ondes lentes que celui des adultes, précise la scientifique. Ce sont ces ondes lentes qui favorisent la consolidation des apprentissages ».
Pour bien comprendre, il faut regarder à l’intérieur de notre boite crânienne une fois nos paupières fermées. « Quand nous dormons, notre cerveau est loin d’être éteint. Il est particulièrement actif et il traverse différents stades : le sommeil lent et le sommeil paradoxal. Pendant la période de sommeil lent, on va progressivement ralentir le rythme cérébral pour arriver dans un sommeil très profond. Dans cette phase, des régions cérébrales se synchronisent, échangent des informations ».

Autrement dit, pendant la phase de sommeil lent profond, des zones du cerveau qui sont éloignées se mettent sur la même longueur d’onde, une fréquence très basse, ce qui leur permet de mettre en lien des informations. Un peu comme si on prenait un talkie-walkie pour donner une info à quelqu’un éloigné de nous.

« Cette fréquence extrêmement basse est fortement impliquée dans la mémorisation à long terme des connaissances», continue la chercheuse. En somme, notre cerveau retient mieux quand il est au ralenti. « Étant donné que, sur une même nuit, les enfants comptabilisent davantage d’heures de sommeil lent profond par rapport aux adultes, ils retiennent et apprennent mieux la nuit. »
De quoi les convaincre que passer une bonne nuit de sommeil va leur permettre de mémoriser plein de choses… et par la même occasion, préserver les nuits de papa et maman.

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7 à 12 ans

L’expérience a été menée sur des enfants de 7 à 12 ans. Il s’agit de l’âge où l’on peut comparer le sommeil des enfants avec celui des adultes. « Au cours du développement, le sommeil de l’enfant va se structurer, détaille Charline Urbain. Le sommeil du nourrisson n’est pas le même que celui d’un jeune enfant. On a choisi de travailler sur cette tranche d’âges, car on a une subdivision du sommeil qui est équivalente à celle de l’adulte, tout en continuant de garder cette proportion de sommeil lent et profond. Alors que quand on arrive à la puberté, cet avantage du sommeil lent profond diminue progressivement jusqu’à l’âge adulte ».

Tout bon pour les troubles de l’apprentissage

Pour les enfants qui rencontrent des difficultés ou des troubles d’apprentissages, ces moments de sommeil sont d’autant plus importants. « Une série d’études montre que le fait de bien dormir leur permet de stabiliser, et même de rattraper les performances par rapport à d’autres enfants qui n’ont pas de trouble ». Et inversement, il est possible d’expliquer certains troubles de l’apprentissage en raison d’anomalies du sommeil.

Sieste ou pas sieste ?

Est-ce que faire une sieste va empêcher mon enfant de bien dormir la nuit ? « Il n’est actuellement pas prouvé qu’après une sieste en journée, le sommeil sera de moins bonne qualité la nuit. Tant que l’enfant ressent le besoin de faire une sieste, allez-y. Il ne faut pas se dire qu’il dormira moins bien le soir ». La chercheuse a d’ailleurs réalisé une étude sur des enfants de 9 à 11 ans il y a quelques années. « Ceux qui ont fait une sieste de 90 minutes en début d’après-midi n’ont eu aucune difficulté à trouver le sommeil le soir. Cela remet donc en question l’idée que les enfants qui entrent à l’école primaire n’ont plus besoin de sieste. On a vu, au contraire, qu’elle permet le transfert d’apprentissages depuis les stocks de mémoire à court terme jusqu’aux stocks de mémoire à long terme ».

Et le temps calme ?

Certains parents, voyant que leur aîné·e ne dormait plus l’après-midi, ont mis en place la notion de temps calme pendant que le petit frère ou la petite sœur faisait sa sieste. C’est une période où l’enfant se couche et ferme un peu les yeux sans forcément dormir ou s’adonne à des activités calmes, pas trop bruyantes. Ce temps calme va faire l’objet des prochaines études de la chercheuse. « On sait que quand on se repose sans forcément dormir, on engendre une diminution des rythmes de synchronisation au niveau cérébral. Comme c’est ce ralentissement qui facilite la mémorisation, il est possible que ces temps calmes favorisent également les apprentissages ».



Marie-Laure Mathot

En pratique

6 conseils pour favoriser ce superpouvoir

« Ce que montre notre étude, c’est qu’il est important de valoriser et de favoriser les épisodes de sommeil, explique Charline Urbain. Trop souvent, les enfants et les adultes rechignent à aller dormir en pensant que c’est une perte de temps, comme si notre cerveau était éteint pendant le sommeil. Au contraire, le cerveau est extrêmement actif et ouvre une fenêtre d’opportunités pour consolider nos apprentissages ». Pour favoriser cela, quelques conseils.

► Les rituels de sommeil : aller au lit, ça se prépare. Surtout pour notre cerveau. Prendre l’habitude de raconter une histoire, de chanter une chanson calme ou de lire un livre avant d’aller dormir permet de mettre notre cerveau en condition. Et quand on le fait chaque soir, il associe les deux activités. N’avez-vous jamais senti vos paupières qui tombaient à la lecture d’un livre dans votre lit ? Et bien, pour les enfants, c’est pareil.

► Les horaires réguliers : aller se coucher et se lever à des horaires plus ou moins réguliers favorise le sommeil et donc les apprentissages. Tous les enfants n’ont pas besoin du même nombre d’heures de sommeil. « Ce qui est préconisé, c’est entre neuf et onze heures entre 7 et 12 ans, mais chacun est différent », précise la scientifique.

► Éviter l’excitation : les boissons excitantes comme les sodas ou la nourriture trop riche sont à éviter avant d’aller dormir, car elles apportent de l’énergie et donc de l’excitation au cerveau. Pas optimal pour s’endormir. Il est aussi conseillé de ne pas manger juste avant d’aller au lit.

► Éviter les écrans avant d’aller dormir : là où vous allez vous endormir devant un livre, ce ne sera pas le cas devant votre smartphone. En cause : la lumière bleue des écrans. Elle envoie le signal à votre cerveau que ce n’est pas la nuit. « Les rythmes biologiques sont basés sur la lumière. Celle renvoyée par un écran ne va pas mettre le cerveau en bonne condition pour s’endormir ». Évitez donc les jeux sur tablette ou autres films devant un écran juste avant d’aller dormir.

► Séparer lieu de repos et lieu d’activité : pour que le cerveau de votre enfant se mette en condition de repos, c’est mieux de pouvoir séparer le lit de l’espace de jeu. Bien sûr, nous n’avons pas tou·te·s la chance d’avoir une maison avec une pièce dédiée à chaque activité. 

► Dites-lui que son sommeil est un superpouvoir : maintenant que vous avez lu cet article jusqu’au bout (bravo !), vous pouvez partager ces nouvelles connaissances avec votre enfant. Vous n’êtes pas obligés de parler des histoires d’ondes et de fréquences, mais lui dire que son sommeil est un superpouvoir parce que ça va lui permettre de mémoriser tout ce qu’il a appris pendant la journée, c’est déjà pas mal !

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