Grossesse

« La naissance, c’est quelque chose d’universel. Tout le monde n’est pas parent, mais tout le monde est né »

Théâtre, maternité, naissance, rencontre, artistes

Parce que l’expérience l’a bouleversée et parce que si elle n’était pas comédienne, elle serait devenue sage-femme ou doula, Manon Romain a eu envie de créer un spectacle autour de la maternité. Tout en poésie, tendresse et humour, Naître nous plonge dans les entrailles de notre histoire commune : la naissance.

« Nos grands-mères sont le ventre du monde. Elles ont porté en elles l’humanité entière et nous ont déposés un à un sur la Terre ». C’est avec ces mots que l’aguiche du spectacle Naître démarre. Quarante-neuf secondes qui happent, donnent envie d’en voir plus, tout en mettant la barre haut, aussi. Le spectacle tiendra-t-il les promesses de ce préambule ?
Réponse au Magic Land à Schaerbeek. La scène est d’abord plongée dans l’ombre. Seul un son qui s’apparente à un battement de cœur se fait entendre. Un air d’accordéon et des voix venues d’ailleurs montent en puissance et complètent l’univers sonore.
Vient ensuite un filet de lumière pour éclairer Manon Romain, comédienne de ce seule-en-scène. « Nos mères, nos grands-mères, nos arrière-racines sont toutes liées entre elles. Un infini tissage qui se défait sans cesse et se renoue ensuite à chaque premier cri ». Suspendue dans les airs, une sphère en tissu raconte ce maillage. Au rythme des pulsations cardiaques, la comédienne la fait tourner. Frissons. La mise en scène épurée laisse toute la place au texte et au jeu.

Des rires aux larmes

L’émotion monte encore d’un cran quand il est question des invisibles, tous ces êtres chers aux parents que l’enfant ne connaîtra jamais. Mais Naître ne fait pas que tirer des larmes, il amuse aussi. Comme lorsque le célèbre Mexico de Luis Mariano est détourné en Maxi co pour raconter la scène de ces tout jeunes parents qui réalisent au moment du départ de la maternité qu’ils ont oublié l’indispensable engin qu’est le Maxi-Cosi.
Que ce soit pour faire rire ou pleurer, le texte sonne juste aux oreilles de l’assemblée. En témoignent la vigueur des applaudissements, les sourires sur les visages et surtout cette levée collective pour saluer la prestation de la comédienne.
Si Manon Romain est seule sur les planches pour saluer le public, le spectacle Naître est une histoire de famille. C’est en devenant mère que Manon Romain a eu envie de le créer et c’est Barnabé Dekeyser, sa moitié à la ville et à la scène, qui a écrit les textes.
Cette année, la compagnie Vivre en Fol souffle sa dixième bougie. Naître est le dixième spectacle au compteur de la troupe. C’est surtout la création la plus autobiographique et intime du duo autour de cette parentalité.

En décembre 2020, un nouveau spectacle était en gestation, mais votre parentalité est venue changer la donne et réorienter vos projets. Expliquez-nous.
Manon Romain :
« L’expérience de la maternité a été une immense découverte pour moi. Plus que je ne l’aurais pensé. Toute la grossesse, je me suis sentie bouleversée par mon état. Ça a soulevé plein de questions. Je ne m’y attendais pas. On a beau savoir, quand on le vit dans son corps, c’est autre chose. Ce corps qui se transforme. Les questions existentielles qui surgissent. D’où on vient ? Comment mes racines se mêlent à celles de Barnabé ?
Au moment où on devait écrire ce nouveau spectacle, j’ai dit à Barnabé, il faut écrire sur la naissance et le faire maintenant. Dans trois ans, je n’aurais plus envie d’en parler et je n’en parlerais plus de la même manière. L’écriture du spectacle a été toute douce, très tendre. Il écrivait par morceaux et je relisais. Barnabé a vraiment réussi à décrire ce que j’avais ressenti. Naître, c’est un peu notre autre bébé finalement. »

« Paradoxalement, c’est en racontant notre propre histoire qu’on avait l’impression de parler le plus au public »

Qu’aviez-vous envie de transmettre au public à travers ce spectacle ?
M. R. :
« La notion de racines avec laquelle on ouvre le spectacle était vraiment un élément clé. Après la naissance de Babette, j’ai fait un soin corporel qui resserre les chakras. C’est un soin qui est réalisé en duo par des doulas avec un moment de massage et de bain. Pendant ce soin, j’ai vraiment eu la sensation de voir des générations de femmes s’approcher de moi. De me connecter à ma mère, à mes grands-mères. J’avais aussi eu cette sensation au moment de l’accouchement. Cette connexion aux racines a été une expérience très forte.
On s’est beaucoup questionnés sur la manière de parler de la naissance. C’est un sujet à la fois universel et très personnel. Paradoxalement, c’est en racontant notre propre histoire qu’on avait l’impression de parler le plus au public. La naissance, c’est quelque chose d’universel. Tout le monde n’est pas parent, mais tout le monde est né. Naître, donner la vie, c’est aussi une expérience très intime que chacun vit différemment. Pour la conception, c’est pareil. La science permet de concevoir un bébé de différentes manières, mais, malgré la diversité des méthodes, les mères vivent la même expérience : donner la vie.
L’autre message qui apparaît en filigrane, c’est ce désir d’enfant qui dépasse tout. Mettre un enfant au monde aujourd’hui pose question. La planète va mal, il y a des guerres, des attentats et, malgré cela, le désir d’enfant persiste. Si je réfléchis bien, je ne veux pas d’enfant. Et pourtant, j’en veux quand même. Il y a quelque chose d’absolu, de plus fort que nous. C’est une vraie question. »

La partie du spectacle consacrée aux différents rendez-vous qui jalonnent la grossesse et la maternité trouve aussi beaucoup d’échos auprès du public.
M. R. :
« Oui. Les rendez-vous médicaux, celui programmé de certains accouchements, ceux manqués en cas de fausse couche. Dans la notion de rendez-vous manqué, on retrouve aussi le décalage entre ce qu’on s’imagine et la réalité. Nous avions un projet d’accouchement à la maison qui n’a pas pu aboutir parce que j’ai développé un diabète de grossesse. On s’est rabattus sur l’idée d’un séjour écourté qui n’a pas pu non plus se concrétiser, car Babette a eu un passage en néonatologie. Pendant plusieurs heures, je n’ai pas pu la voir. Nos plans étaient sans cesse chamboulés. »

Votre spectacle a commencé à tourner en février, quels sont les retours qui vous ont marquée ?
M. R. :
« Pour la première fois, j’ai fait une pub différente de nos circuits classiques, j’ai déposé des flyers dans les cabinets de gynéco, chez les sages-femmes. Le teaser a été beaucoup vu et partagé. Grâce au bouche-à-oreille, le spectacle a déjà bien tourné. Le fait d’avoir pensé et construit le spectacle comme quelque chose d’autoportant, nous permet de le jouer partout. On a joué pour l’inauguration d’une maison de naissance et mourance.
On reçoit énormément de retours, aussi bien de mamans qui viennent d’avoir un bébé que d’autres qui en ont perdu un. Je pense aussi à une jeune qui n’en veut pas, mais se disait touchée par le spectacle. Je me souviens d’une femme qui venait de vivre une PMA (procréation médicalement assistée), c’était un peu la dernière chance pour elle. Elle était très émue d’assister au spectacle à ce moment décisif, dans l’attente de savoir si ce petit bébé s’était accroché. »

C'est quoi une maison de naissance et mourance ?

Vous expliquez que la maternité a été une grande découverte. Qu’est-ce que ça a changé en vous ?
M. R. :
« L’année passée, on a joué alors que Babette n’avait que 6 mois, c’était très dur physiquement. Se lever à cinq heures du matin, allaiter, enchaîner avec les répétitions, terminer tard. Mon jeu d’actrice a changé aussi, ma manière de bouger, le rapport aux enfants, je sens que c’est différent depuis que je suis maman. La maternité m’a transformée à jamais. Je me passionne pour le sujet, c’est d’ailleurs ce qui m’a donné envie de créer le spectacle et d’imaginer pour 2023 un festival autour de la naissance. On en rigole avec Barnabé qui se demande toujours ce que je regarde le soir avant de me coucher. Je suis obnubilée par le sujet, je lis des récits d’accouchement, j’écoute des podcasts sur la matrescence (ndlr : naissance d’une mère). Je suis aussi des fils et des actus sur les réseaux sociaux comme ‘badass mothers’ ou les photos de ‘regard de zèbre’. Il y a aussi ‘cantique mama’ avec qui on a suivi une préparation à la naissance. Si je n’étais pas comédienne, je serais devenue sage-femme ou doula, c’est sûr ! »

Retrouvez ici les prochains rendez-vous de la compagnie Vivre en Fol