Vie pratique

La parentalité, entre maux et merveilles

La grossesse, l’accouchement, la naissance, le post-partum, le quotidien avec un petit bébé

La grossesse, l’accouchement, la naissance, le post-partum, le quotidien avec un petit bébé… Le vaste champ ! Tantôt livré dans des descriptions angéliques (« Votre bébé, votre bonheur »), tantôt balisé de silences ou de récits crus (« On ne m’avait pas dit que… »). Entre ombres et lumières, petite mise en perspective avec quatre professionnel·les de terrain.

Cet éclairage, ils et elles nous le donnent à partir de trois questions. Un : les pressions exercées sur les (futurs) parents, avec les « merveilles » en point de mire. Deux : la libération de la parole ; nous voilà plutôt côté « maux ». Trois : la question de l’accès à l’information. Chacun, chacune y répond sous un angle qui lui est propre.
D’où cette foison d’idées - et de nuances. Avec Luc Roegiers, pédopsychiatre périnatal aux Cliniques universitaires UCLouvain-Saint-Luc (Bruxelles), Reine Vander Linden, psychologue clinicienne en périnatalité, Sylvie Janssens, sage-femme libérale à Amala Espace Naissance (Bruxelles), association de sages-femmes proposant un accompagnement global, de la grossesse à l’après-naissance, et Stéphane Ronlez, coach parental au Centre de santé Mana Mana (Hainaut).

Des pressions tous azimuts

Instabilité financière (marquée d’inégalités entre hommes et femmes), couple incertain, ultra-moderne solitude, craintes quant à l’évolution de l’écosystème… « Il existe tant de raisons de ne pas vouloir d’enfant qu’on pourrait penser que les pressions négatives l’emportent sur le reste. Mais, majoritairement, faire un enfant reste un must ! », analyse d’emblée le pédopsychiatre Luc Roegiers. Plus précisément, faire un enfant « réussi », et donc qui arrive au bon moment, qui est en bonne santé… Cet enfant participe à l’idée même d’épanouissement personnel. Et très vite, on se sent responsable de lui. « Parce que c’est vous qui décidez de le mettre au monde ; il ne naît plus, comme jadis, du destin ».
La pression sociétale pour vivre une parentalité heureuse et épanouie est grande. Chaque parent la reprend à son compte. « Donner la vie est une expérience forte et unique, affirme la psychologue Reine Vander Linden. On veut la vivre de façon belle, consciente, en l’ayant préparée. C’est positif. Mais ça peut devenir un piège, car cela donne l’illusion que tout est contrôlable : comment accoucher, comment se comporter avec son bébé, comment concilier travail et vie familiale… Or, même si on anticipe toutes ces questions, on ne pourra les éprouver qu’en les vivant. Il y aura donc toujours un décalage entre les représentations qu’on s’en fait et ce qu’on expérimente. Même le parent le mieux préparé est bousculé par cette expérience de donner la vie qui le transforme fondamentalement : ‘Je suis à présent responsable d’un enfant et de son bonheur, et je dois assurer’ ».
Coach spécialisé dans l’épuisement parental, Stéphane Ronlez souligne, lui, combien ce rêve de bien-être pour soi, son enfant, sa famille fait augmenter les injonctions : « Il faut faire ceci », « Vous devez faire comme cela ». « Mais impossible d’être au top tout le temps pour tout ! Ou alors, c’est l’épuisement assuré ».
Parler de pressions revient, pour Sylvie Janssens, sage-femme, à pointer, très concrètement, le manque de temps pour les futurs parents. « Une consultation trop courte, c’est une pression pour une femme enceinte. Cela ne laisse pas d’espace pour aborder tout ce qui se passe sur les plans physique, émotionnel, familial, professionnel… Il faudrait suffisamment de temps pour une consultation médicale ou une séance de préparation à la naissance ».
Et puis, les femmes ont besoin d’être écoutées pendant la grossesse et respectées dans leurs souhaits par rapport à l’accouchement. « Il s’agit aussi d’outiller les parents pour qu’ils puissent se réorganiser quand les choses ne se passent pas comme prévu - comme ils devront le faire avec le bébé après la naissance. Et, dans ce sens, la collaboration entre gynécologues et sages-femmes a toute son importance », dit Sylvie Janssens.

Les réseaux sociaux : un exutoire ?

Les réseaux sociaux aidant, la parole se libère. Sur plein de sujets : la fausse couche, les violences obstétricales, les aspects peu glamour des suites de l’accouchement, les nuits chahutées avec un bébé, la dépression du post-partum… On parle de « tabous » brisés.
Découvrir des témoignages difficiles de mamans (surtout) et de papas, cela permet de se sentir moins seul·e face aux épreuves de la vie, de se normaliser par rapport aux autres. « Cela donne le coup de pouce dont certains parents ont besoin pour débloquer une situation », relève Stéphane Ronlez.

La pression sociétale pour vivre une parentalité heureuse et épanouie est grande. Chaque parent la reprend à son compte

Mais il faut pouvoir intégrer ces récits reçus parfois en pleine figure ! « Ainsi, le fait que l’enfant soit tellement valorisé et, en même temps, tellement associé à une expérience bassement corporelle, c’est quelque chose de difficile à penser. Parce que cela nous rappelle une réalité crue : nous sommes des animaux », illustre Luc Roegiers.
Pour Reine Vander Linden, « la libération de la parole servirait surtout d’exutoire ». Et si elle permet de sortir de l’isolement, « elle peut aussi être pesante, comme si une couche supplémentaire était ajoutée à ses propres difficultés. Être aidé·e, c’est être reçu·e dans l’émotion qu’on éprouve. Or, déposer son paquet ou lire celui d’autrui sur un réseau social n’amène pas nécessairement une réponse ajustée à ses ressentis du moment ».
Une nuance encore, amenée par Sylvie Janssens : « Lorsque je vois un traumatisme lié à un accouchement, ce n’est pas forcément l’accouchement qui a été difficile ; en cause peut-être, le manque d’accompagnement. Je plaide très fort pour que chaque femme qui accouche ait l’accompagnement d’une sage-femme attitrée ».

Il y a l’info… et l’info personnalisée

Y a-t-il trop d’informations diffusées autour de la parentalité ? Sont-elles insuffisantes ? Une chose est sûre : elles offrent des balises - pour faire les choix qui sont bons pour soi et son enfant. « Elles ne touchent qu’une niche », regrette Stéphane Ronlez. Par exemple, celles concernant les lieux de naissance. Pour Luc Roegiers, « inévitablement, on fera toujours face à un manque d’informations, parce que plus on en reçoit, plus on ouvre des questions ». Attention au « trop d’informations qui ne laisse pas de place à une composition personnelle », dit, pour sa part, Reine Vander Linden.
« Par contre, de l’information personnalisée, on en manque, ajoute la psychologue. C’est-à-dire une information échangée dans une relation, avec un autre parent, sa mère, une sage-femme… Une information qui va s’ajuster : en général, si vous voyez l’autre en panique, vous lui apportez plutôt des éléments rassurants ». Sylvie Janssens confirme : « Je prêche pour mon magasin, chaque femme qui a une grossesse normale devrait pouvoir être suivie par une sage-femme. Et si son cas sort de la normalité, on l’oriente vers le médical ».
L’écoute est essentielle ! Luc Roegiers : « On pourrait croire que c’est acquis, mais les parents ont un grand besoin d’être écoutés. Il faut favoriser les échanges d’expériences, les rencontres entre les générations, oser établir des partenariats, comme le suggère le Rapport français sur les 1000 premiers jours ». « Beaucoup de gens pensent qu’ils doivent fonctionner seuls. Alors que, par définition, la naissance - comme la mort - appelle à la solidarité. Il n’y a pas de honte à rechercher une oreille attentive », conclut Reine Vander Linden.
Écoute, échange, accompagnement : voilà les mots forts qui ressortent unanimement des quatre interventions. À cultiver…

L'ENJEU

Pour les mamans et les papas

Ces lignes que vous lisez concernent les mamans ET les papas, bien sûr. « On parle de la libération de la parole, mais il y a aussi cette permission pour les hommes de s’ouvrir à la dimension émotionnelle et de ne pas être honteux de fondre devant un enfant, de se sentir concerné, de s’engager. Il y a là une liberté qui donne de l’oxygène à la parentalité », se réjouit le pédopsychiatre Luc Roegiers.

4 EXPERT·ES, 4 ZOOMS

Une réalité, une évolution frappante, selon nos quatre intervenant·e·s ?

  • Au départ de cet article, une réflexion de Stéphane Ronlez envoyée à la rédaction sur la fausse couche. Celle-ci est présente dans nombre de trajectoires de personnes que le coach parental suit. Mais elle est trop souvent tue. Une bombe à retardement ! Elle peut avoir un impact traumatique sur la suite du parcours parental. « Pour accepter une réalité douloureuse, il faut pouvoir nommer les choses, c’est vital ».
  • Le pédopsychiatre Luc Roegiers souligne, avec bonheur, la place de choix de la sage-femme dans le champ de la prise en charge de la grossesse. « C’est un signe d’espoir : on considère la grossesse comme non médicale a priori ».
  • « Il faudrait beaucoup plus ‘bichonner’ les (futurs) parents », plaide la sage-femme Sylvie Janssens. Et donc, leur consacrer plus de temps.
  • Reine Vander Linden est, elle, frappée par « la perte d’évidence d’être parent ». C’est qu’à force de décortiquer, analyser, soupeser les choses… « Cette évidence, quand vous l’avez, est rassurante, parce que vous allez beaucoup plus au feeling et construisez votre vérité à vous », observe la psychologue.