Développement de l'enfant

La piscine, c’est le jour de Mamy

Nos petits loups n’ont pas la même notion du temps que nous. Pour l’un, le jour de son anniversaire, ce sera « dans beaucoup de dodos ». Pour un autre, le nouveau bébé arrivera « quand les arbres perdront leurs feuilles ». Ils ont beau ne pas maîtriser le temps, ou commencer à le maîtriser maladroitement, ils ont besoin, même tout jeunes, de le mesurer. Comment les aider à mieux le saisir ?

C’est quoi, le temps ? « Voilà une notion terriblement abstraite. Sans compter qu’à côté de la définition objective, il y a la perception subjective, dit Mireille Pauluis, psychologue et psychothérapeute. Si un enfant de 5 ans me pose la question, je partirai de ce qui se passe quand on attend : c’est un moment d’arrêt, mais on ne sait pas arrêter le temps, l’attente peut être longue ou courte, etc. »
Qui n’a pas cette impression, en vieillissant, que le temps s’accélère ? Hé oui, le ressenti du temps qui passe dépend des années qu’on a déjà vécues. La qualité du temps est également fonction de ce qu’on fait : comme pour les adultes, le temps peut paraître long pour un enfant qui rame pour terminer un travail ; par contre, il file pour celui qui s’amuse à jouer.
Se familiariser avec le temps, l’évaluer, le doser, mais aussi patienter, programmer… voilà un continuum d’apprentissages dans la vie d’un enfant. Si tous passent par les mêmes étapes (se situer dans une journée, puis dans une semaine), chacun a son rythme et certains se montrent particulièrement curieux et avides d’apprendre.

Se repérer dans la journée, la semaine… et les saisons

Le temps est exploré à l’école dès l’entrée en maternelle. Pour les enfants, il s’agit d’abord d’être à l’aise avec les moments de la journée. Pour cela, les instits privilégient les outils concrets, visuels. Comme une horloge divisée en plusieurs couleurs, chacune étant associée à un temps fort (dont « l’heure des mamans et des papas »). Ou un fil où sont suspendues des photos d’écoliers en action : enlever son manteau, s’activer dans un atelier, aller en récré, manger ses tartines, etc. Passer en revue les moments de la journée fait partie du rituel de la classe. Dans les familles aussi, ce genre de calendriers a du succès.
Vers 3-4 ans, l’enfant repère peu à peu le passé et l’avenir proches : « Pour lui, hier, c’est ce qui est passé ; demain, ce qui est à venir. Il n’a pas encore le vocabulaire adéquat pour exprimer précisément les choses, résume Mireille Pauluis. Il saisit aussi qu’il y a des choses qui sont lentes et d’autres qui vont vite : se rendre à l’école en voiture va plus vite que d’y aller à pied ! »
La capacité de se situer dans une journée est une chose. Celle de se repérer dans une semaine en est une autre, avec la « petite journée » ou le « jour des mamans » (le mercredi), avec le samedi et le dimanche où il n’y a pas école. Si l’enfant n’ordonne pas tout de suite bien les sept jours (cela sera vraiment acquis vers la fin de la 1re primaire), il le fait peut-être déjà en chanson. « Il sait, par exemple, qu’il ira chez sa mamy le petit jour, observe Mireille Pauluis. Pour dater un événement, on lui dira : ‘Il faut dormir deux fois, puis tu as le petit jour, puis il faut encore dormir deux fois’. »
Se baser sur du concret et du visuel restera encore longtemps essentiel : « Chaque matin, on barre sur un grand calendrier mural la case du jour précédent : c’est un jour qui ne reviendra plus, dit Madame Valérie, institutrice en 3e maternelle. Et chaque matin, on tourne une page du calendrier à spirale pour afficher le bon jour : lundi, mardi, etc. Avantage de ce cahier : comprendre que chaque semaine comprend un lundi, un mardi, etc. Pour les activités, le sablier est mieux qu’un minuteur : on voit le sable s’écouler dans le sablier, alors qu’on ne sait pas quand la sonnerie du minuteur vibrera. »
Nouvel apprentissage, en fin de maternelle : les saisons, et ce, par l’observation de la nature. Pour Matteo, 5 ans et demi, l’hiver, c’est la neige, même s’il ne neige pas forcément tous les hivers ! « Les enfants ne mettent pas toujours les saisons dans le bon ordre en début de primaire, remarque Madame Séverine, institutrice en 1re primaire. Chaque fois qu’une nouvelle notion liée au temps est étudiée, il faut s’assurer que les précédentes sont bien intégrées. »

Découvrir les mois et lire l’heure

Début des primaires. Les enfants entament souvent leur journée de classe… en l’identifiant et en précisant le jour d’avant et celui d’après. Ils s’intéressent aux mois (maîtrisés vers la fin de la 2e primaire) et consolident ce qu’ils savent de la journée et de la semaine. « Tout cela se structure de mieux en mieux », dit Madame Séverine. Dans sa classe, une petite maison évoque la semaine et un bonhomme s’y déplace au fil des jours. De même, une bandelette représentant le mois est déroulée un peu plus chaque matin.
Les enfants commencent aussi à apprendre à lire l’heure. D’abord, l’heure pile et la demi-heure. Quelle excitation, alors, de recevoir une montre, une vraie, où les aiguilles tournent ! C’est le cas de Ben, presque 8 ans : il n’arrête pas de demander l’heure à ses parents… pour vérifier s’il a la bonne heure ? « Il perçoit probablement que le temps passe et lui échappe », avance Mireille Pauluis. Atout de la montre munie d’aiguilles (par opposition au cadran numérique) : visualiser que le temps avance et saisir la répétitivité propre au temps. Autre scène : la maman de Zoé, 7 ans, demande à sa petite d’attendre deux minutes. Et celle-ci de compter : un, deux ! Zoé sait compter, donc elle compte… sans distinguer les minutes et les secondes. Elle appréhende le temps avec toute sa maladresse.
À la maison comme à l’école, les anniversaires sont très utiles pour aider l’enfant à se situer dans un temps long. Jonas, presque 6 ans, parle déjà du sien qui aura lieu… dans trois mois : « Combien de dodos encore ? », « Beaucoup, lui répond sa maman, il y a d’abord la Saint-Nicolas, puis la fête de Noël, et après c’est ton anniversaire ».
« À chacun de ses anniversaires, l’enfant qui a conscience du temps qui passe prend aussi conscience qu’il a un an de plus, qu’il grandit et qu’il va faire de nouvelles choses », précise Mireille Pauluis. « Pour les enfants, beaucoup de leurs repères sont tirés de leur quotidien : ‘Tu liras bien quand tu te déguiseras pour le carnaval’ ou ‘On fera telle chose après la fancy-fair’ », explique Madame Séverine.

Les histoires comptent

« Les voitures existaient déjà quand Papilou était petit ? », demande Romain, 7 ans. « Cet enfant essaie de mettre de l’ordre dans des grands mouvements un peu historiques avec du concret : les autos qu’il connaît », commente Mireille Pauluis. Vers 8-10 ans, la nouvelle notion liée au temps que l’enfant acquiert est celle d’histoire. « Il fait la distinction entre son histoire (‘Je me souviens…’), celle des autres, celle du monde, explique la psychologue. Nous voilà sur une ligne du temps beaucoup plus longue : l’histoire, c’est hors calendrier ! Cette étape se vit en 3e primaire, une année scolaire où les enfants font un saut qualitatif en matière d’apprentissages. »
Se familiariser avec le temps, c’est aussi comprendre la mort. Vers 7 ans, l’enfant saisit que la mort est irréversible : les disparus ne reviennent pas. Il découvre qu’elle fait partie de la vie. Il se fait à l’idée qu’elle est inévitable et universelle : elle concerne tout le monde, lui et ses parents compris.
À savoir encore, pour Mireille Pauluis : « Quand l’enfant vit un traumatisme (la maladie d’un proche, un décès dans la famille, etc.), il y a un phénomène d’arrêt du temps : celui-ci se bloque. Il faut alors aider l’enfant à se remettre dans le temps qui passe. »

Entre les « dépêche-toi » et les « attends »…

« Dépêche-toi de manger ta tartine, on est en retard pour l’école », « Dépêche-toi de finir tes devoirs », « Attends, je suis occupée avec le repas », etc. Sans cesse houspillés, les enfants sentent bien que le temps nous est précieux, à nous, parents. « On leur dit cent fois par jour ‘Dépêche-toi’ et ‘Attends’, observe Mireille Pauluis. On est un peu schizo dans cette affaire : on veut en même temps qu’ils se dépêchent et qu’ils attendent ! Eux ont du mal avec ça, ils sont dans le présent, ils n’aiment ni attendre, ni se dépêcher. Courir pour le plaisir est une autre histoire… »
Et la psychologue de conclure : « Nous menons une course effrénée contre le temps. Et, accrochés à nos téléphones mobiles, nous sommes devenus intolérants à l’attente. Nous ne sommes pas dans l’ici et maintenant. Nous ne sommes pas dans ce qui se passe. Nous devons montrer l’exemple, même aux enfants qui n’ont pas encore de téléphone mobile. Et leur apprendre à prendre le temps de vivre, comme à s’ennuyer d’ailleurs car c’est dans ces moments ‘vides’ que la créativité s’installe. »



Martine Gayda

ZOOM

Les livres jeunesse : un espace et un temps

Les livres jeunesse parlent d’espace et de temps. Ils offrent aux enfants des points de repère qui les aident à se structurer dans l’espace-temps de leur vie. Quatre exemples, en toute subjectivité, de créateurs belges :

  • Maman ! de Mario Ramos (Éditions Pastel/L’école des loisirs) : un petit garçon court d’une pièce à l’autre de sa maison en criant « Maman ! », il a vu une araignée dans sa chambre (dès 2 ans).
  • Lundi d’Anne Herbauts (Éditions Casterman/Les albums Duculot), ou l’amitié de Lundi, de Théière et de Deux-Mains au fil des saisons (dès 5 ans).
  • Les aventuriers du soir d’Anne Brouillard (Les Éditions des Éléphants) : pour Gaspard et ses complices, l’aventure grandit à la tombée du soir, avec le bleu qui assombrit peu à peu les pages (dès 5 ans).
  • Voyage d’hiver de la même Anne Brouillard (Éditions Esperluète) : un livre-accordéon montrant le passage d’un train dans des paysages d’hiver… superbes (dès 9 ans).
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