Santé et bien-être

Lors d’un rassemblement anti-Évras à Bruxelles, une passante s’interroge sur l’origine du mouvement de grogne. « C’est parce qu’on veut sexualiser nos enfants dans les écoles », répond un des manifestants. Cette petite phrase fait partie de l’arsenal de ceux et celles qui ne veulent pas de l’Éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle à l’école. Toujours ce « S » final qui fâche. Mais d’où vient cette crainte de sexualisation des enfants ? Et surtout par quoi est-elle alimentée ?
Le simple fait de parler de sexualité chez les enfants est sujet à polémiques. Ainsi, au milieu de cette année, un pédopsychiatre s’exprime dans les pages d’un magazine qui entendait dénoncer le guide Évras qualifié de « programme d’éducation sexuelle choquant et même violent sous certains aspects » où poindrait « une banalisation de la sexualité ». Le pédopsychiatre interrogé alimente cette prise de position. Il déclare ainsi au détour d’une phrase : « Ils (ndlr : les enfants de moins de 12 ans) ont bien une sensualité, mais pas une sexualité à proprement parler, et certainement pas celle des adultes ». Même si la deuxième partie de la phrase semble accorder une certaine sexualité aux enfants, la première semble les en priver. Un flou entretenu qui mettrait en cause la légitimité de l’Évras. En effet, pourquoi parler de sexualité à des petits êtres qui n’en ont pas ?
Sur ce point, les différent·es expert·es que nous avons consulté·es apportent des précisions importantes. Patrick Petit Jean, psychologue et animateur Évras, fait parler son expérience de terrain : « Je caricature, mais il ne faut pas se dire que la sexualité des enfants, c’est une fois qu’ils sont mariés. Les enfants sont des êtres sexués. Tout au long de leur développement, ils s’interrogent sur la sexualité, je ne parle pas de rapport sexuel, mais bien du rapport au corps, de la découverte de celui-ci. Ces questions nécessitent une réponse précise, dans un cadre balisé ».
Le prisme des adultes
Le problème, c’est que les adultes ont tendance à voir le mot sexualité à travers leur prisme, avec tous les fantasmes, toutes les craintes qu’il induit. Françoise Hoornaert est psychologue et coordinatrice de l’équipe SOS Parents-Enfants de Tournai : « La sexualité, elle existe, parce que les enfants l’interrogent. ‘Pourquoi c’est comme ça chez moi, pourquoi c’est différent chez l’autre ? À quoi ça sert ?’. Bref, la sexualité, elle est présente, mais elle doit être expliquée à hauteur d’enfant. On ne sexualise certainement pas les enfants dans les animations Évras où le discours est toujours adapté ».
Le fait d’aborder la notion de consentement lors des séances Évras a fait réagir certain·es adultes. C’est qu’ils ou elles leur accolent automatiquement l’adjectif sexuel. « Mais dans ce cas, en séance Évras, c’est le respect de l’intimité qui est abordé. Il est question de consentement, certes, mais pas de consentement sexuel. Chez les enfants, cela peut se traduire en ‘Quand tu ne veux pas quelque chose, comment tu le dis ?’ ».
« Le problème, renchérit le psychopédagogue Bruno Humbeeck, c’est cette lecture d’adulte d’un guide à destination d’autres adultes censés cadrer un questionnement d’enfant. Cela engendre de la confusion. Le guide est un outil qui envisage toutes les questions que pourraient se poser les enfants. Sans tabou. Mais les réponses, en séance, sont toujours à hauteur des élèves à qui on s’adresse. Il faut insister sur le fait qu’il s’agit bien d’une animation, pas d’une formation. Le but, c’est de répondre aux questions avancées par les enfants. Celles liées à l’estime de soi, au genre, il ne faut pas avoir une sexualité active pour se les poser. Elles surviennent à tout âge ».
Un encadrement nécessaire
Face au guide, Sophie Maes, pédopsychiatre, émet des remarques sur certains points, « le guide peut encore évoluer ». Ainsi, « sans moraliser », elle estime « qu’il serait bon d’insister davantage sur ce qui est de leur âge et ce qui n’est pas de leur âge. Ce n’est pas la même chose d’expliquer ce qu’est un sexto et d’apprendre à gérer un sexto ». Cela dit, lorsqu’on lui pose la question de savoir comment elle voterait pour le guide si elle siégeait au sein d’une assemblée, elle répond « oui » sans hésiter.
Pour elle, il est important d’informer et atteste dans la foulée qu’il y a bien une sexualité chez les enfants. « Il y a une sexualité infantile, elle existe. Mais il y a aussi des frontières très claires qui la séparent de la sexualité juvénile et de la sexualité d’adulte. Ce sont trois modes d’entrée en relation, avec les autres, avec un enjeu sexuel, qui sont extrêmement différents ». Depuis l’arrivée du numérique et des réseaux sociaux, ce compartimentage a été mis à mal.
« Quand on y regarde de plus près, ce qui pose finalement problème dans l’Évras, ce sont systématiquement des points qui sont en lien avec l’influence d’internet et des réseaux sociaux. La pornographie, les ‘nudes’, les questions de genre, toute une série de questions qui arrivent via les réseaux sociaux, les smartphones. C’est important d’informer toujours les enfants, mais il est aussi nécessaire, je trouve, de (re)marquer les frontières, de fixer les limites. »
Dans les animations Évras, il y a la confiance à apporter aux réponses données par les équipes de terrain. « Ces personnes sont formées, répète Bruno Humbeeck, elles sont professionnelles, elles savent ce qu’elles doivent répondre en fonction des tranches d’âges. Un des objectifs de l’encadrement Évras, c’est d’éviter que des plus petit·es aillent, par exemple, poser des questions à des plus grand·es ou interrogent les réseaux sociaux qui peuvent renvoyer des réponses inquiétantes voire angoissantes vers un enfant qui n’est pas préparé à ça ».
Comme Sophie Maes, Bruno Humbeeck constate que la société n’est plus du tout conçue pour créer une forme d’étanchéité entre le monde des adultes et celui des enfants. Ce qui rend d’autant plus nécessaire un encadrement professionnel pour prévenir l’angoisse et l’anxiété.
À LIRE AUSSI