Santé et bien-être

L’alcoolisme maternel

Rencontre avec Rodéric Valambois, auteur d'une BD autour de l'alcoolisme de sa mère

Dans Mal de mère (Soleil, coll. Quadrants), l’auteur de bande dessinée, Rodéric Valambois, raconte le délitement de sa propre famille à cause de l’alcoolisme de sa mère. Une bande dessinée qui permet de mesurer comment s’installe insidieusement la maladie. Interview.

 

Pourquoi l’alcoolisme féminin est-il plus tabou que l’alcoolisme masculin ?
Rodéric Valambois :
« À mon avis, c’est en effet, énormément tabou. J’en parlais avec des associations, et l’alcoolisme masculin comporterait un côté viril que l’on peut plus facilement afficher. Pour les femmes, c’est souvent caché pendant très longtemps, et cela explose quand il est trop tard ou quand c’est bien avancé. Ma mère, je ne l’ai jamais vu boire ! En repas de famille, elle ne buvait qu’un verre ou deux. Je pense qu’elle avait honte. »

Avec les années, avez-vous réussi à pardonner à votre mère son alcoolisme ?
R. V. :
« Complétement. Bien sûr, j’aurais préféré que ce soit autrement. Mais je ne sais pas si j’ai à lui pardonner ou pas. C’était quelqu’un de bien avant qu’elle boive. Elle était probablement dépressive. Avec le recul, j’ai compris qu’elle avait un problème et que l’alcool était sa solution. Même si c’était une mauvaise solution. »

En avez-vous voulu à votre père d’être resté, d’avoir assisté à sa déchéance ?
R. V. :
« Il a été avec elle jusqu’au bout, pour une mauvaise ou une bonne raison. Mon père était un père à l’ancienne : il ne faisait pas de ménage, pas de cuisine… Tous les deux, ils boitaient un peu. Je lui ai souvent demandé : 'Pourquoi tu divorces pas ? Pourquoi tu restes avec elle ?'. Mais c’était une autre époque, ce n’était pas aussi facile de divorcer. Je pense qu’il trouvait un confort matériel avec elle. Ils vivaient ensemble, mais il n’y avait plus de preuve d’affection. Elle buvait, elle était saoule, il y avait de la résignation. »

Et vous, enfant, comment l’avez-vous vécu ?
R. V. :
« Je leur en ai voulu à tous les deux, ce n’était pas très drôle. Dans le livre, j’ai un peu menti : je me dessine à l’âge de 9 ans, mais j’ai appris ça vers 15/16 ans. Mais je trouvais le rapport enfant-maman plus intéressant. Car je suis parti faire mes études à Tournai et je ne revenais que le week-end. Je me suis rendu compte que cela s’aggravait quand ma sœur a montré les bouteilles. C’était un choc : tout le monde le savait, sauf moi ! »

Qu’est-ce qui vous a manqué enfant ?
R. V. :
« J’avais une vie de famille assez rêvée. Et cela s’est détruit. Ma mère était prof en école maternelle, elle nous racontait des comptines, des histoires, nous faisait des câlins. Elle cuisinait aussi très bien. Le fait que cela ne dure pas m’a manqué. »

Votre père a posé la question à un médecin : « Pourquoi elle boit ? ». Finalement, le saviez-vous ?
R. V. :
« Je n’en sais rien, et je ne saurais jamais pourquoi elle buvait. Mais j’ai ma petite idée. Je pense qu’elle gérait seule le foyer, que c’était un peu compliqué. Elle n’avait pas beaucoup d’amies, ne sortait pas… »

Comment Mal de mère a été accueillie dans votre famille ?
R. V. : « Avant d’écrire l’histoire, j’ai envoyé le découpage complet à mon frère et ma sœur, pour savoir s’ils étaient d’accord : ce sont les seules personnes encore vivantes dans le livre. Mon frère, comme il ne parle pas beaucoup, il a dit : 'Ouais ça va', tandis que ma sœur m’a rapporté d’autres anecdotes que j’ai pu intégrer. Comme la scène à la fin du livre, où je mentionne que mon père aurait pu arrêter de lui donner de l’argent, et où elle me rétorque qu’il l’avait fait, mais que notre mère avait piqué l’argent dans la caisse de l’école pour s’acheter de l’alcool. Alors il a remboursé l’école, puis il lui a refilé de l’argent.
Quant à mon oncle et ma tante maternel·les, ils avaient réagi de manière un peu maladroite à l’époque, parce qu’ils ne connaissaient pas ce genre de problème. J’ai repris contact avec eux beaucoup plus tard. Lorsque la bande dessinée est sortie, il y a dix ans, je suis passé sur France Culture, en interview. Ma tante l’a écoutée, puis a acheté le livre et l’a donné à mon oncle pour qu’il le lise. Au début, il ne voulait pas. Mais elle lui a dit : 'S’il l’a écrit, tu peux le lire'. Aujourd’hui, on est en très bon termes. »

Cover bd alcoolisme maternel Mal de mère

Est-ce un sujet politique selon vous ?
R. V. :
« J’ai mis dix ans à écrire cette bande dessinée. J’ai attendu que certaines personnes ne soient plus là pour ne pas les brusquer inutilement, puis il y a eu un élément déclencheur : le fait que je devienne papa. Avant, j’étais dans la colère, je ne comprenais pas pourquoi ma mère nous faisait ça. Et quand je suis devenu papa, j’ai réalisé qu’on n’est pas QUE papa, on a aussi des copains, une personnalité dans le travail, plein de choses qui sont liées. C’est là où j’ai trouvé le biais pour raconter l’histoire, je ne voyais plus ma mère comme ma mère.
Avant je ne voyais que ça, j’étais un peu moralisateur et cela me gênait. Je me demandais pourquoi elle me faisait ça, mais elle se faisait ça à elle-même d’abord. Alors je me suis dit : je raconte juste ce qu’il s’est passé. J’ai construit le bouquin en 22 scènes : la première est parfaite et chacune des suivantes, j’enlève quelque chose à cette famille parfaite. Pour souligner qu’on ne se rend pas compte : on fait des efforts pour maintenir cet équilibre alors que ça fait longtemps qu’il a disparu. »

Que diriez-vous à un enfant dans cette situation ?
R. V. :
« Beaucoup de gens que j’ai vu en dédicace m’ont dit qu’ils sont seuls par rapport à l’alcoolisme d’un proche. Le fait que tout le monde pense qu’il n’y a qu’à eux que ça arrive. Parce que personne n’en parle. Moi, je n’en parlais pas à mes copains. Je n’en avais pas envie. J’avais envie de tout sauf de parler de ça. Je ne voulais pas ramener le problème encore ailleurs. Quand j’ai sorti le bouquin, tous mes potes m’ont dit : 'Pourquoi t’en as jamais en parlé ?'. Alors je dirais à un enfant : 'Tu n’es pas tout seul. De nombreuses personnes vivent le même problème. Tu peux trouver des gens pour en parler'. »

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