Santé et bien-être

Sous l’appellation « stealthing », on entend retrait du préservatif non consenti. Une pratique désormais pénalisée en Belgique. Très majoritairement pratiquée par des hommes par vengeance, domination, voire pur plaisir de jouir sans capote, la problématique est encore méconnue du grand public et des pros de la santé.
La pratique s’est introduite dans le débat public en Suisse, en 2017, après la condamnation d’un homme ayant retiré le préservatif pendant l’acte sexuel sans le consentement de sa partenaire. Les enquêtes en la matière pleuvent, mais sont souvent le fruit d’une étude sur un nombre réduit de répondant·es.
Un article publié en 2019 dans la National Library of Medicine décrit que 12 % des femmes âgées de 21 à 30 ans ont fait l'expérience du retrait non consensuel du préservatif. La même année, c’est une équipe de chercheurs et chercheuses de l'université Monash, près de Melbourne en Australie, qui constate qu'une femme sur trois et un homme sur cinq ayant des relations sexuelles avec des hommes ont subi du stealthing. Selon le collectif NousToutes.org en 2021, une femme sur trois déclare qu’un partenaire lui a déjà imposé un rapport sexuel non protégé sans son accord.
Le stealthing doit probablement se pratiquer depuis bien plus longtemps, mais ce n’est qu’avec l’essor du web que l’attention a été portée sur le retrait non consensuel du préservatif. Les auteurs de ces actes utilisaient des blogs masculinistes, aujourd’hui volatilisés, pour partager leurs astuces et des conseils sur la façon de commettre cet acte de « plaisir » selon eux.
En 2021, une femme sur trois déclare qu’un partenaire lui a déjà imposé un rapport sexuel non protégé sans son accord
Si nous avons choisi de vous parler de stealthing – dérivé de l’anglais stealth, la discrétion – c’est d’abord parce que le sujet est revenu sur la table il y a peu. En juin 2022, le Code pénal sexuel a été réformé. Le consentement y a obtenu une place centrale, les infractions sexuelles ont été redéfinies, les peines, dans certains cas, alourdies. Et le 21 novembre dernier, c’est le concept de « stealthing » qui y faisait son entrée.
Un volet judiciaire autant que de l’Évras
Retirer un préservatif sans le consentement de son ou sa partenaire pendant l’acte sexuel est désormais criminalisé en Belgique. Cela entre dans le champ d’application de l’infraction de viol, comme la (très) courte liste de pays où c’est déjà le cas (Suisse, Canada, état du Victoria en Australie…). Des changements obtenus notamment grâce au travail de terrain mené par Sarah Schlitz, secrétaire d’État à l’Égalité des genres, à l'Égalité des chances et à la Diversité. Une réforme qui vient dépoussiérer le Code pénal de son héritage patriarcal comme l’exprimait son cabinet.
Si nous souhaitions traiter cette pratique à présent pénalisée, c’est surtout parce qu’elle soulève d’autres enjeux liés à l’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle de nos jeunes, la fameuse Évras. Murielle Coiret, chargée de mission violences conjugales et sexuelles à la Fédération laïque de centres de planning familial (FLCPF), estime que, bien que l’acte soit maintenant considéré comme un viol sous la loi belge, le terme doit d’abord se démocratiser pour permettre une meilleure compréhension par tou·tes. « ‘Stealthing’ est un terme anglophone très peu usité chez nous. On utilise encore moins ses synonymes comme le furtivage. Par contre le sabotage contraceptif ou la coercition reproductive sont des termes plus connus chez les professionnel·les de la santé ».
Interrogés, peu de centres de la FLCPF disent recevoir des cas de stealthing en consultation gynécologique ou de manière informelle au planning. Mais les animateurs et animatrices Évras l’abordent parfois en fin de secondaire, à leur initiative ou sur base des interrogations des ados lorsqu’il est question de consentement ou de loi sur le viol.
Même son de cloche chez O’YES, asbl active dans l’éducation et la promotion de la santé sexuelle. « En animation Évras, on part surtout des questions des jeunes, explique Louise-Marie Drousie, coordinatrice du pôle pédagogique au sein de l’asbl. Concernant le stealthing, elles sont absentes dans le secondaire, mais nous en rencontrons parfois chez les étudiant·es du supérieur. Ils/elles se questionnent beaucoup sur la notion de consentement. Ce que ça englobe ou pas. Si un mec ou une meuf perce le préservatif ou le retire sans que je ne le/la vois, qu’est-ce que je fais ? Les jeunes étudiant·es veulent savoir comment réagir ».
Le rôle des pros dans la prévention et la lutte contre le stealthing
Pour réagir, il faut déjà savoir ce que l’on subit, pouvoir poser des mots. Peu de temps avant notre entretien avec la coordinatrice de chez O’Yes, un groupe d’animatrices et d’animateurs de l’asbl venait de mener un parcours Évras avec de jeunes gens. Une jeune fille ayant subi un retrait de préservatif sans consentement a réalisé pendant l’animation ce qu’elle avait vécu quelques semaines auparavant.
« Elle a eu un rapport protégé avec un garçon qui a eu envie de retirer le préservatif pendant l’acte sans l’avertir, raconte Louise-Marie Drousie. Il n’y est pas parvenu proprement et le préservatif est resté coincé dans le vagin de la jeune qui ne s’en est rendu compte que quelques heures plus tard à cause d’odeurs dérangeantes. C’est son médecin traitant qui a découvert le préservatif. En dehors du diagnostic succinct, ce dernier ne lui a pas donné plus d’explications sur ce qu’elle avait subi. Une forme de viol en l’occurrence. C’est pour cela que maintenant que le stealthing est rentré dans le Code pénal, l’information sur le sujet doit continuer d’être diffusée de manière transversale, vers le grand public, les jeunes, mais aussi les professionnel·les de santé qui ne sont majoritairement pas au courant de cette pratique. »

Un retrait, quelles conséquences ?
À l’intersection des violences conjugales et de la santé reproductive, le stealthing a aussi des conséquences sur la santé physique et mentale. Pour poursuivre les études sur le phénomène menées dans le monde anglophone surtout, le Conseil des femmes francophones de Belgique a planché pendant plus de deux ans sur la problématique. En avril 2022, il en ressortait deux brochures, une destinée au grand public et l’autre, aux pros de la santé.
« Ce qui est parfois moins bien compris que le retrait du préservatif sans consentement, ce sont ses implications très concrètes. Si l’on se réfère aux études américaines, près de 15% des demandes d’avortement sont liées à cette forme de violence, souligne Sylvie Lausberg, présidente du Conseil. Ses effets sur la vie de couple et, surtout, la vie de femme sont multiples et parfois compliqués à cerner. »
Traumatisme psychologique, syndrome de stress post-traumatique, anxiété, isolement social, addictions. Le stealthing a aussi de graves effets d’un point de vue psycho-émotionnel. « Vécu comme une trahison, il peut entraîner une perte de confiance en soi, une difficulté à s’adonner à d’autres relations amoureuses ou intimes, poursuit Sylvie Lausberg. Sans parler des grossesses non désirées ou des éventuelles infections sexuellement transmissibles si la personne qui a retiré le préservatif est porteuse sans le savoir. Il est essentiel de sensibiliser l’ensemble des praticien·nes en médecine générale, en gynécologie, en obstétrique, ainsi que les services d’urgence dans le dépistage des différentes formes de coercition reproductives ».
Et Murielle Coiret de la FLCPF d’appuyer : « Qu’est-ce que cette pratique vient dire de nous, en tant qu’individu, en tant que société, sur la manière dont nous échangeons avant et pendant un rapport sexuel ? L’intégration du consentement dans la loi incite à parler plus ouvertement de nos désirs et de ce qu’on consent à faire ou pas pour que cela reste un acte joyeux.
POUR ALLER + LOIN
Le conseil aux parents
Pour Camille Van Schouwburg, assistante sociale au centre de Planning Familial de Laeken de la FLCPF, il est primordial de créer un cadre de parole bienveillant pour pouvoir en parler avec ses jeunes s’ils en font la demande. « Ça doit toujours être le cas pour parler sexualité avec son enfant de toute manière. Mais le sujet du stealthing permet de pousser la réflexion sur le consentement et les violences conjugales. Est-ce que je suis d’accord avec ce qu’il se passe pendant un rapport, mais aussi en dehors ? Retirer un préservatif n’est pas anodin. Tout comme il/elle doit savoir où se trouve le centre de planning le plus proche, surtout lorsqu’on habite en zone rurale, le/la jeune doit pouvoir s’approprier ces notions essentielles à sa construction. Ouvrir le dialogue aujourd’hui participe à enrayer un silence dans lequel un·e victime pourrait se murer quelques années plus tard. Si on a été habitué·e à prendre la parole sur ces sujets étant jeune, on pourra plus facilement s’exprimer sur d’éventuelles violences sexuelles, se rendre dans un planning pour se faire dépister ».
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