Vie pratique

Loin de toutes injonctions ou de maximes prémâchées à coller sur son frigo, on l’affirme haut et fort : l’optimisme est un muscle qui se travaille. À ampleur familiale, c’est même une discipline complexe. Voyons, sans être trop sucrés, comment mettre les idées noires au placard et trouver ses propres remèdes à la mélancolie.
Pourquoi ça semble si facile pour les autres ? C’est vrai, quoi. Regardez donc cette belle famille qui déambule dans votre champ de vision, sourire arboré fièrement, propos constructifs, air serein. Ils flottent. Là où vous, vous vous sentez lourd·es. Comme victimes de la pesanteur. Comme encombré·es. Pourquoi les bruits du monde semblent vous toucher plus que les autres ? Pourquoi vous ne parvenez pas à instiller un dynamisme, de l’allant dans votre tribu ?
Valérie Dubost, psychologue, s’amuse de la question : « Je crois que tous les parents sont traversés par ce genre de pensées. En gros, pourquoi est-ce que je suis plus affecté·e et davantage candidat·e au spleen ? C’est finalement une bonne chose. Cela signifie que vous êtes sensibles aux autres et au contexte qui vous entoure. Comment ne pas l’être en ce moment ? Je trouvais incroyable, par exemple, les personnes autour de moi d’un optimisme débordant aux prémices du covid. Heureux de jouir de leur logis, sans avoir de pensées pour toutes les personnes les plus affectées par la crise ».
Bien sûr, tout l’enjeu consiste à ne pas se perdre dans les méandres de la mélancolie. Le tout avec cette grande question de parents : comment en préserver mes enfants ?
Remède à la mélancolie
Comme vous pouvez le voir dans les bulles de témoignages, vous êtes nombreux et nombreuses à vouloir tendre à une certaine forme de positivisme, à ne pas vous laisser gagner par la morosité ambiante, sans vous cacher la tête dans le sable, sans se forcer à avoir une vision trop rose bonbon des choses. Mais, alors, quel est le bon équilibre ? Nous avons posé la question à Julie Driessen, psychothérapeute, pour qui le positivisme se cultive. Cette quête, selon elle, loin de tout simplisme, ne se fait pas n’importe comment à grand coup d’auto-persuasion, bien au contraire.
« Le positivisme, c’est une recherche de soi, en réalité. Cela revient à se connaître et à s’accepter. Cela ne veut pas dire nécessairement qu’il faille chercher à atteindre un bonheur illusoire, mais bien à cultiver un mieux-être. L’enjeu à l’échelle de la famille, c’est de se mettre à table et de tirer au clair ce que l’on accepte ou non. Toutes et tous en équipe. »
Une fois les sentiments désagréables et leurs causes identifiés, le positivisme a vocation à se sortir des ruminations. Julie Driessen explique que les plaintes participent au renforcement négatif. Votre enfant vous dit qu’il a froid et qu’il en a marre de ne pas pouvoir monter la température du chauffage. C’est embêtant, c’est vrai. Il faut aller chercher du bois. Mettre une couverture. Un véritable inconfort. Mais qui fait partie de la vie.
En tant que parent, que faire de l’écœurement et de la frustration de vos enfants ? Alimenter la négativité, c’est aller vers des maux psychosomatiques. Alors, quoi ? Il fait froid. Qu’est-ce qu’on dit ? Eh bien, on va se réchauffer. On va faire d’une catastrophe, une spécificité, comme vous avez pu le lire souvent dans nos pages. « Allez, viens, on va courir. On va se bouger un peu. On va trouver un jeu pour se réchauffer. On va se faire une cape d’invincibilité qui nous protège, nous réchauffe et nous rassemble ». Oui, la chaleur est dans vos cœurs.
« Se répéter que le verre est à moitié plein, analyse Julie Driessen, voilà qui ne sert à rien. Ce qui importe réellement, c’est de tout faire pour aller vers cette idée ». Bien sûr, comme on vous l’explique en pages 20-21 de ce même dossier, le positivisme comme injonction au bonheur a ses limites. Pour l’heure, revenons-en au plus important : comment on combine avec les enfants pour traverser ce pessimisme ambiant ?

Nos enfants ne sont pas en sucre
Une interrogation revient sur toutes les lèvres : jusqu’où on implique les enfants ? Est-ce qu’on les laisse loin des maux du monde pour préserver au maximum leur précieuse innocence ou est-ce qu’on les muscle pour faire face aux temps incertains ? Assurée que nos enfants sentent tout ce qui se passe dans le foyer, Valérie Dubost prône la transparence.
« Un parent est rongé par la somme de tout ce qu’il doit débourser et ne sait pas comment il va s’en sortir ? Vous vous doutez bien que même les plus petit·es membres du clan le ressentent. Plutôt que de les laisser sur le côté, expliquez-leur ce qu’il se passe. À leur hauteur. Et revenez quelques jours plus tard à l’occasion d’un jeu ou d’une balade sur la façon dont ils perçoivent les choses. Le positivisme, c’est parfois juste affronter les choses et ne pas faire l’autruche. Vous ne ruminez plus vos problèmes. Vous les affrontez et redevenez maître de la situation. C’est très bien de l’expliquer aux enfants. »
Julie Driessen abonde. Ça ne va pas ? On explique aux bambins comment on va s’en sortir et si possible quel rôle on attend d’eux. « Ils ont besoin de savoir. Votre rôle consiste à voir que votre enfant perçoit la chose. Montrez que vous êtes une équipe. Et surtout, rassurons le parent : il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises techniques. À vous d’agir en toute liberté émotionnelle. Pour cela, replongez-vous dans votre propre enfance : ‘Comment aurais-je pu vivre cette situation enfant ?’. Après tout, il n’y a pas tant de temps et de réalité qui séparent le parent de l’enfant ».

C’est quand la magie ?
Pour les parents interrogés, la chose la plus positive, celle qui donne le plus d’allant, c’est cette volonté de former un clan. Peu importe de qui ou de quoi il est constitué, mais c’est votre équipe, votre identité. Est-ce qu’en dépit de tout le marasme ambiant, des bruits du monde qui poussent jusqu’au larsen, le plus important ne serait pas cela, la volonté de construire ensemble ?
Valérie Dubost nuance. « C’est vrai. Mais je préciserais quand même : ne pas être ensemble pour être ensemble. Ce qu’il faut viser, c’est le temps de qualité. Je déteste cette expression parce que ça ne se quantifie pas. Mais l’idée est là. Créer, chérir et renforcer le lien. On blague, on joue, on chante, on danse. Je suis d’accord avec vos parents pour qui la simple idée de clan et de vouloir y vivre de façon positive, c’est déjà le début du bonheur ».
Idem pour Julie Driessen : on est plus fort en équipe. « Hélas, on n’est pas toujours en équipe. À chacun·e d’élargir le clan. Je pense qu’une des choses qui écarte du bonheur, c’est le pouvoir dictatorial d’un parent et la volonté d’obéissance d’un enfant. Sortir de ce schéma, repenser le cadre, c’est un si bel objectif. J’insiste sur le fait de se regarder en face, d’être honnête avec soi. Dire à son enfant : ‘Mais, oui, je t’aime’, de façon un peu mécanique, ça montre que la relation à l’enfant, c’est seulement 20% de mots. Le reste, c’est de la tenue, de la posture, de l’expression, de l’exclamation, de l’indicible, de la magie ». Ce ne serait pas tout simplement ça, le positivisme ? S’évertuer à faire vivre autant que possible cette magie.

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