Développement de l'enfant

Le pouvoir de ne pas savoir

« Je ne sais pas ». Prononcés par vos ados, ces mots sont peut-être une ritournelle entendue un peu trop souvent. Que ce soit à propos du repas, du travail scolaire ou de tout autre question de votre part. Maintenant, retournons la chaussette et mettons cette simple phrase dans votre bouche, chers parents. Facile ? Pas tant que ça à vous écouter.

« Je crois que c’est une phrase que je n’ai jamais dite à mes enfants, entame François, papa de deux enfants de 9 et 13 ans. Je n’ai pas vraiment réfléchi à la question, mais j’imagine qu’en tant que parent, je me dis qu’on doit un peu avoir réponse à tout. Quitte à de temps en temps noyer le poisson. Je ne parle pas de mensonges, juste de réponses un peu évasives, histoire de donner le change. »
Donner le changer, l’expression est aussi employée par Isabelle, maman d’une fille de 12 ans. « Je me sentirais un parent défaillant si je laissais Alice sans réponse à ses questions. Lui dire ‘Je ne sais pas’, pour moi, ce serait comme avouer que je ne vais pas être capable de l’aider, de la faire grandir. Je veux donner le change pour qu’on garde l’équilibre de notre relation, dans le sens où je pense que c’est à moi de donner et à elle de recevoir ».
Si ces deux témoignages ne sont pas exemplatifs de tous les parents, ils sont néanmoins interpellants, notamment aux yeux de la psychologue Alexia Levesque. Pour elle, ces parents qui n’envisagent pas le « Je ne sais pas » dans leur relation avec leurs enfants se conforment dans une éducation un peu vieille école et se privent surtout d’un vrai outil.

S’éloigner de sa position de sachant

« Je pense que tout parent doit être capable de dire ‘Je ne sais pas’ quand il ne sait pas, explique la psychologue. Nul ne peut prétendre être omniscient et ça n’est pas utile de vouloir prétendre le contraire face à son enfant. Dire qu’on ne sait pas, c’est à la fois reconnaître qu’on est un humain comme les autres et, surtout, bien plus important, c’est enlever à son enfant cette grande pression de la performance que la société actuelle s’évertue à mettre en avant. Il faut répéter encore et encore que c’est tout à fait normal de ne pas savoir plein de choses quand on est un enfant ou un jeune ado, qu’il y a le temps encore pour apprendre. Pour les parents, c’est un autre travail à faire sur soi pour sortir de ce schéma de l’adulte ‘sachant’ face à l’enfant ‘apprenant’. »
Ce pas en avant, Hafsia a su le faire. Pour cette maman de quatre enfants, le déclic est même venu d’un de ses enfants. « Marouane, le deuxième de mes enfants, est du genre à tout le temps poser mille questions sur tout et sur rien. Longtemps, j’ai essayé de répondre coûte que coûte, quitte à dire un peu n’importe quoi. Jusqu’au jour où Marouane a répété à son enseignant en classe un truc complètement faux que je lui avais dit. Mon fils a fait un scandale quand l’enseignant lui a dit que ce n’était pas exact, mais il a bien dû se rendre à l’évidence quand il a vu les preuves. Il m’en a terriblement voulu pendant plusieurs jours et moi, je m’en suis voulu d’avoir été à l’origine de ça. J’ai pris conscience que ce qu’il attendait de moi, ce n’était pas de tout savoir, mais de simplement l’accompagner dans ses questionnements. Depuis cette période, je peux vous assurer que j’en ai dit des ‘Je ne sais pas’. Et ça n’a pas changé Marouane, il pose toujours autant de questions ! ».

Un outil pour la confiance en soi et l’humilité

À la lecture du témoignage d’Hafsia, Alexia Levesque rebondit sur une notion importante apportée par le « Je ne sais pas », celle de l’apprentissage de l’humilité. « Quand on parle d’éducation des enfants, il est souvent dit qu’il est important de leur donner de la confiance en soi. C’est évidemment une très bonne chose, puisqu’elle permet souvent d’oser faire, d’oser tester, d’oser choisir. Je trouve cependant qu’on ne parle pas assez de l’humilité. Contrairement à ce qu’on peut penser, quand un parent dit ‘Je ne sais pas’, on n’est pas dans le registre de l’acte de faiblesse, c’est plutôt quelque chose de très humble. ‘Je ne sais pas’, ça veut juste dire que je n’ai pas réponse à cette question parce qu’elle concerne un domaine qui n’est pas de mes compétences. Et ça, un enfant peut parfaitement le comprendre. Non seulement, ça lui apprend que ce n’est pas grave de ne pas tout savoir et qu’on peut le dire sans que ça ne fasse de nous le dernier des idiots ».

« Passé l’étonnement d’avoir une prof qui dit qu’elle ne sait pas, on voit tout de suite que, pour beaucoup d’élèves, ça déclenche quelque chose » Margaux, enseignante en secondaire

La psychologue va même un peu plus loin. Elle recommande aux parents d’utiliser la fameuse petite phrase comme un outil d’ouverture et d’en jouer alors que la réponse est connue. Comment ? Simplement en ajoutant à la fin du « Je ne sais pas » un complément du genre « Et toi, tu en penses quoi ? » ou « Tu as une idée de ce que ça pourrait être ? ».
« C’est une manière de mettre en avant le travail intellectuel, de faire aller vers une pensée plus construite, précise Alexia Levesque. Dans cette tranche d’âge des 12-15 ans, les ados sont tout à fait prêts à ça. Il faut parfois juste les aiguiller un petit peu pour les mettre sur la voie et ensuite les encourager à poursuivre leur réflexion chaque fois un peu plus loin. »

Aussi à l’école

Margaux, maman de deux jeunes ados et enseignante en français en 1re et 2e secondaire, a depuis longtemps adopté cette méthode, que ce soit en classe ou avec ses enfants. « Je trouve que c’est intéressant d’aller chercher ces jeunes en pleine construction intellectuelle, particulièrement à l’école. Passé l’étonnement d’avoir une prof qui dit qu’elle ne sait pas, on voit tout de suite que, pour beaucoup, ça déclenche quelque chose. Il y a comme un petit challenge à essayer de trouver la bonne réponse, l’idée que personne n’attend. Dès que tout ça est enclenché, mon job est alors d’orienter le débat, de préciser, de corriger, je reprends alors la position de celle qui apporte un savoir, mais les élèves ont le sentiment d’avoir fait une grande part du boulot. Je procède comme ça aussi avec mes propres enfants, aujourd’hui ados, depuis toujours. Je ne suis pas sûre d’être très objective (rires), mais je crois que ça a alimenté leur curiosité, leur confiance dans la prise de parole et pour émettre des idées aussi ».
Pour boucler la boucle, allons faire un tour du côté des ados. Leur avis sur des parents qui s’autorisent à dire qu’ils ne savent pas ? Alice, 13 ans et déjà pleine d’une certaine sagesse, aime bien l’idée « que les parents arrêtent de se la jouer modèle parfait ‘Je sais tout, je fais tout bien’. Si on sait pas, on le dit et voilà, ça va pas empêcher le monde de tourner ». Le mot de la fin est pour Stan, 14 ans. À la question de départ, il répond plein d’hésitation : « Ouais… Enfin, peut-être que… ». Puis un silence, avant sa réponse finale. « Vous savez quoi, en fait, je crois que j’sais pas. J’ai pas réfléchi au truc, alors c’est comme votre article, j’sais pas, c’est tout. Ça va comme réponse ? ».

ET AUSSI…

« Je ne sais pas » version 2.0

C’est Thomas, papa d’un tout récent ado de 13 ans et d’une grande ado de 17 ans, qui a abordé le sujet en version internet, réseaux sociaux, smartphone et tout ce qui est connecté. Pour lui, un peu à l’image de Margaux, notre « Je ne sais pas » est avant tout un moyen de faire de l’éducation aux médias.
« Quand mes enfants viennent me poser une question en rapport avec ça, c’est ma première réponse. Mais c’est aussi moi qui peux venir les voir et leur dire ‘C’est quoi ça, je ne comprends rien ?’ quand ils sont en train de faire tel ou tel truc sur un ordinateur ou sur une console de jeux. Je trouve que c’est un bon moyen pour remonter un peu dans le temps, voir comment ils en sont arrivés là, avec quels outils. Ce qui est intéressant, c’est de ne pas être sur quelque chose de théorique, on explore ensemble, j’explique tout comme je me fais expliquer. Franchement, j’ai l’impression que c’est hyper efficace comme façon de faire et, en plus, ça facilite la communication. »

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