Développement de l'enfant

Ils sont grands. Souvent majeurs et vaccinés. Mais, en cette période de confinement, ils sont revenus vivre à la maison. Comment ça se passe ? Réponse en quelques tranches de vie.
« Je lui ai dit : ‘Tu sors seulement de ton kot pour faire tes courses. Mais le reste du temps, tu restes chez toi’. C’est normal, on s’inquiète quoi ! ». Discussion entendue à la caisse de la boulangerie. Les clients respectent les distances imposées. La maman est face à la vendeuse. Elles sont séparées par un plastique translucide monté sur deux bouts de bois. Le coronavirus est là. Dans les conversations. Modifiant aussi l’apparence même des commerces.
Les propos de cette maman inquiète résument bien le sentiment des parents dont l’enfant kote pour les besoins de ses études. L’éloignement est là. Et il peut amplifier un certain sentiment d’angoisse. Il faut faire confiance. Se persuader que son « grand » ou sa « grande » agira en mode responsable, pour lui, pour elle, pour les autres. On trouvera les mots pour ça. Et des moyens numériques pour conserver le contact.
Certain•e•s ont préféré jouer la carte du confinement en famille. Pour de nombreux étudiants et de nombreuses étudiantes, c’est le retour chez papa et maman qui s’est imposé.
Chez Catherine
« Mes deux grands sont tous les deux en informatique, en dernière année, nous explique Catherine. Maxime a 24 ans, Guillaume, 21. Tous les deux sont en stage pour l’instant. Guillaume doit rentrer à la maison sous peu. Reste une question. On habite à la campagne et je ne suis pas sûre que la connexion internet supportera toute la charge ».
Maxime, lui, est déjà rentré au bercail. Il kotait depuis février dernier à Arlon. Il est en stage dans une société d’informatique luxembourgeoise. Là, depuis qu’il est revenu à la maison, il télétravaille. Catherine détaille : « Son stage est de longue durée et rentre dans le cadre d’un projet d’entreprise qui devient pour lui son travail de fin d’études. Il est donc à la maison, mais poursuit le boulot pour lequel il est payé. Il a, par exemple, des réunions virtuelles tous les jours ».
Secret professionnel, même pour papa
Si Catherine a des craintes pour le réseau internet, c’est que celui-ci est aussi sollicité par Fabrice, le papa. « Il travaille à l’UCM et lui aussi s’est placé en mode confinement. Comme il est informaticien, ça discute ferme sur la table de la salle à manger qui s’est transformée en espace de co-working ».
De cette situation, Catherine tire un aspect positif : « Ce qui est chouette, c’est de voir Maxime et son papa collaborer. Lorsque mon fils coince sur quelque chose, Fabrice lui donne un coup de main, le conseille. Il y a une entraide qui s’est mise en place ».
Maxime confirme, mais il y a des limites dans le coup de pouce familial. « Il y a des choses dont je ne peux pas lui parler, parce que c’est interne à l’entreprise. Parce que c’est confidentiel ». Eh oui, on ne peut pas tout dire, même à son père.
Maxime se retrouve aussi confronté à certaines réalités. Ce qui le préoccupe, c’est le loyer du kot. « Son stage est rémunéré, détaille Catherine. Le deal, c’est qu’il paye le logement avec une partie de son salaire. Nous, on lui paye la nourriture. Le fait de devoir payer son kot sans l’occuper, ça le chagrine ». Confrontation forcée à la réalité par temps de crise sanitaire. Pour les jeunes et les grands ados, le coronavirus accélère l’apprentissage de la vie.
« Au niveau du boulot, si je devais trouver quelque chose de positif, explique Maxime, ce serait l’apprentissage du télétravail. Dans les boîtes, c’est de plus en plus organisé. Au moins, cela me fera une expérience dans ce créneau-là. Cela me permet de voir comment ça se passe. »
Chez Gaëtane
« D’un coup, je retrouve des parents ». C’est la phrase que lâche Juliette, 21 ans, au terme de notre entretien. Elle est revenue dans des circonstances assez particulières. Avec, bien sûr, le coronavirus en toile de fond. À double titre. C’est que Juliette est revenue de Bologne où elle était en Erasmus. « J’y étais depuis septembre. Avant ça, je kotais à Mons où je suivais des études de traduction et d’interprétariat ».
Bref, cela fait trois ans que Juliette vivait sans trop d’obligations familiales. « Surtout en Italie. Là, j’étais super libre, j’avais beaucoup de temps pour moi, pour visiter le pays. Lorsque la crise du coronavirus est devenue inquiétante, l’université a fermé et mes parents m’ont fait revenir. J’ai pris le train, tous les avions étaient complets ».
De retour au pays, Juliette retrouve sa vie belge. Un peu comme lorsqu’elle revenait chez ses parents durant les vacances. Deux jours chez maman, trois jours chez des copains, séjour chez papa. Mais le coronavirus rebat une nouvelle fois les cartes.
« Au fur et à mesure, la situation est devenue inquiétante, comme pour l’Italie que je venais de quitter. Là, pour l’instant, je vis confinée chez maman ». Gaëtane, la maman, est plus tranquille : « Je sais qu’elle est en sécurité ici ».
Retour vers l‘enfance
Juliette, si elle regrette sa liberté italienne, s’est pliée aux règles du confinement. « Elle ne bouge plus », dit sa maman, rassurée. Enfin, presque plus. Parce que Juliette retrouve les joies de l’alternance, une semaine chez papa, une semaine chez maman, comme lorsqu’elle était enfant. « Cela ne m’a jamais pesé. Aller chez l’un après avoir passé un bout de temps chez l’autre a toujours été une bouffée d’air frais ».
« Ma fille a toujours eu sa manière à elle de gérer son stress, constate Gaëtane. « Là, elle range, elle suit ses cours à distance, elle communique avec ses amis. Heureusement, qu’il est là, ce téléphone. Même s’il faut pouvoir mettre des limites, cela permet de garder le contact. »
En ce début de confinement, elle se réjouit aussi de voir l’entente qui règne entre Juliette et Raphaël, son frère de 15 ans. « J’ai des enfants faciles », constate-t-elle. Cela dit, chez Gaëtane, les moments vraiment passés ensemble restent peu nombreux. « Là, je suis en télétravail toute la journée. Juliette, elle, est devant ses profs virtuels ou discute avec ses amis sur les réseaux sociaux. On se préserve néanmoins les moments des repas et on partage les tâches ménagères ». « Tout cela s’est fait assez naturellement », confirme Juliette.
Chez Sylvie
La situation chez Sylvie est un peu particulière. C’est que celle-ci se bat contre le cancer depuis dix-huit ans. Là, pour l’instant, elle suit une chimio. C’est dans ce contexte que deux de ses trois fils sont à la maison pour vivre le confinement.
« César, mon aîné de 25 ans, travaille, il est en coloc. Il a préféré rester là-bas parce qu’il partage l’appartement avec des personnes à risques, notamment une infirmière. Il a préféré jouer la sécurité. Pour ne pas m’exposer inutilement. »
Marius, 23 ans, et Virgile, 20 ans, eux, en revanche, sont à la maison. « La situation est évidemment inhabituelle. Ils portent un masque en ma présence, vu mes traitements. C’est bizarre. À la fois rassurant et flippant. Pour Marius, les précautions sont un peu plus fortes. Une des personnes dans l’entreprise où il était en stage a été malade. Par précaution, il ne mange pas avec nous, mais tout seul à la cuisine ». Petite distanciation familiale de circonstance.
Le frigo sollicité
Pour le reste, Marius a de quoi s’occuper. Il télétravaille pour l’entreprise où il était stagiaire et travaille sur son mémoire. « Il a du boulot », constate Sylvie. Et Virgile ? « Il est revenu à la maison quand son kot s’est vidé. Cela me rassure de le savoir ici. Je peux m’assurer qu’il observe les règles de confinement. À côté de ça, il suit ses cours en ligne, mais je crois qu’il s’ennuie beaucoup. Il a retrouvé sa PlayStation. Et pour tuer le temps, fait du vélo, de la course à pied ».
Ce retour s’accompagne aussi d’une espèce de reconnexion. « En fait, je les redécouvre. Ils sont serviables, font les courses pour leur mamy, vont à la pharmacie pour moi. Et puis, jusqu’ici, on se voyait seulement les week-ends, et si on pouvait se faire un repas ensemble le dimanche, c’était bien. Là, on est tout le temps ensemble. Ça change la vie. On s’aperçoit aussi que nous ne sommes plus habitués à remplir le frigo aussi souvent », conclut Sylvie avec malice.
Thierry Dupièreux
Analyse
Une question de territoire
Le retour des (très) grands ados ne se fait pas toujours sans mal dans le cocon familial. C’est surtout une question de liberté qui se rétrécit, mais aussi une question de territoire. « C’est qu’il faut bien constater que l’oisillon est devenu un peu trop grand pour le nid », avance, tout en métaphore, la psychologue Mireille Pauluis.
L’important, c’est de se préserver des espaces, mais aussi des moments à passer en commun « comme les repas ou les jeux ». C’est un équilibre à trouver. On le voit dans les différents témoignages collectés, cela s’est mis généralement assez naturellement en place. Ici, c’est carrément la cohabitation d’adultes avec des jeunes adultes qui doit se chercher.
Ces enfants devenus grands ont développé leurs propres habitudes, leur propre système de valeurs. Il faut composer, discuter, trouver des terrains d’entente, établir un mode de fonctionnement qui convienne à chacun. Mais le côté sécurité que représente la maison familiale facilite parfois le consensus dans le cadre d’une crise déstabilisante comme celle que nous traversons.