Développement de l'enfant

Le sens critique, ça se partage !

Clap ! On tourne ! On ne va pas en faire tout un film, mais la critique cinématographique peut sérieusement aider les enfants à développer leur esprit critique. Les jeunes citoyens se forment en salles obscures. Et vous pouvez les accompagner.

« Les enfants qui font partie de ce jury m’étonnent toujours. Ils sont parfois plus précis que les adultes. Ils vont chercher des éléments auxquels on ne s’attend pas ». Cela fait plus de vingt ans que Sophie Verhoest est impliquée dans le FIFF (le Festival international du film francophone de Namur). Elle coordonne les activités qui touchent le jeune public et notamment le jury junior. « Ce qui me frappe chez les enfants qui composent ce jury, c’est leur curiosité, leur appétence pour la découverte. C’est encourageant pour l’avenir ».

Ce jury est important. En fin de festival, en octobre, il décernera un prix qui figure dans le palmarès. Il a donc une valeur. Une portée. La sélection des jeunes juré·e·s est en cours. Les candidatures sont en train d’être envoyées par les élèves de 1re secondaire qui veulent faire partie de l’aventure. Une première présélection se déroule à la fin du mois de mars. Une deuxième en avril. Au final, ce sont sept jeunes qui seront retenuꞏeꞏs.

Changement de vision

Mais quelles sont les qualités recherchées ? « Le processus de sélection se déroule en plusieurs étapes, explique Sophie Verhoest. Dans un premier temps, on confronte les candidat·e·s à un film. Ils reçoivent ensuite un questionnaire où ils doivent s’interroger sur le jeu des acteurs, des actrices, le rôle de la musique, le sens du film, les particularités techniques ».

Il s’agit donc de structurer ses impressions, ses observations. D’argumenter aussi. Mais ce n’est pas tout. « Faire partie d’un jury, c’est aussi être ouvert·e à la discussion, entendre les arguments des autres, intégrer une dynamique de groupe. Cela va plutôt se révéler lors des entretiens qui suivent la présélection ».

Les jeunes qui participent à ce jury vivent une expérience forte, pleine de sens. Il y a la proximité avec le monde du cinéma qui fait toujours rêver. Mais ce n’est pas le plus important. « Ils sortent de leur zone de confort. La programmation du FIFF est particulière. Dans le cadre du festival, on est confronté à des films qu’on n’a pas l’habitude de voir. Des films d’auteur·e·s. Des films francophones moins exposés, comme ceux des pays africains notamment. Les jeunes doivent se trouver de nouveaux repères. Ce qui est sûr, c’est que celles et ceux qui participent à cette expérience voient les choses très différemment après ». Sophie Verhoest peut partager son expérience à double titre, puisqu’un de ses enfants a été juré et qu’elle peut, dès lors, évaluer la chose en tant que maman. 

Répliquer la chose chez soi

Ce type de jury est une expérience unique, un peu exceptionnelle. Mais au quotidien, en tant que parents, comment utiliser le cinéma comme moyen pour faire réfléchir ses enfants sur le monde qui les entoure, sur le discours médiatique, sur ce qui se cache derrière les images ? Nous sommes allés frapper à la porte de Michel Condé, responsable du fameux Écran large sur tableau noirqui aide les enseignants à profiter du 7e art dans leurs cours. Il explicite un processus qui est à la portée des parents.

« Tout commence par la verbalisation, affirme Michel Condé, mettre des mots sur ce qu’on a vu et surtout ce qu’on a éprouvé. C’est un des éléments essentiels de l’approche. Les émotions, c’est une porte d’entrée facile et très intéressante. On exprime ce que l’on a ressenti et en faisant cela, on se donne des outils pour maîtriser ses émotions. »

C’est un apport, et non des moindres, de l’exploitation « pédagogique » du cinéma : l’expression et la maîtrise des émotions. Parfois cela peut même aller plus loin. « Un film peut, par exemple, apprendre à faire son deuil ».

Entrer par les émotions. Le bon plan. Mais il faut dépasser ce stade. « Dans un deuxième temps, il faut s’interroger sur la façon dont ont été générées ces émotions. Jeu des personnages. Manière de filmer. Il faut tenter de disséquer le langage utilisé par le réalisateur ou la réalisatrice. En allant au-delà de la simple image, en décryptant, par exemple, le rôle du son qui est souvent primordial au cinéma, mais qui ne saute pas tout de suite aux oreilles ». Ce travail est nourrissant, comme le soulignait Sophie Verhoest, les enfants peuvent venir, eux aussi, avec des détails qui ont échappé aux adultes.

L’acquisition d’une compétence générale

Si le cinéma est un médium passionnant à exploiter avec les enfants, c’est parce qu’il a de nombreux avantages. « Un film, c’est riche, cohérent, d’un bloc, construit sur une durée qui permet de poser les choses. On peut donc exercer la mémoire des enfants ». Bref, se rembobiner le film pour se rappeler des scènes clés, retrouver le fil du scénario, remettre des détails dans un déroulé plus général. « Et déboucher sur une réflexion personnelle, sur une interprétation ».

Le stade ultime, c’est de replacer le film dans un contexte plus large. « Il est bon de s’interroger sur l’auteur, l’autrice, sur ses intentions, sur ce qu’il ou elle a fait avant ce film. On s’interroge sur quelque chose qui n’est pas visible, mais qui a toute son importance. Qui a fait ce long métrage ? Pourquoi ? Se questionner au-delà du visible, c’est essentiel. Tout comme il sera enrichissant d’établir le rapport entre le cinéma et la réalité, d’identifier les rapprochements, les décalages avec la vie ordinaire ».

Au bout du compte, parler d’un film avec son enfant, c’est développer une compétence particulière. Celle qui décrypte le discours médiatique, qui fait prendre du recul, qui va au-delà des simples apparences. « C’est une compétence qui, au quotidien, peut forcément s’appliquer à d’autres situations », confirme Michel Condé. Le cinéma, vecteur de citoyenneté ? Voilà une évidence qu’il est bon de rappeler, les propos qui précèdent en témoignent.

 


Thierry Dupièreux

 

 

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Confronter les avis

« Leur avis est aussi important que le vôtre ». Lorsqu’on demande à Damien Raud de donner un conseil aux parents lorsqu’ils discutent d’un film avec leurs enfants. La réponse fuse. C’est que Damien sait de quoi il parle. Depuis dix ans, il accompagne les membres du jury junior du Festival international du film francophone. Des discussions autour des films, il en a tenu avec les critiques en herbe.

« Il faut avant tout respecter les enfants dans leurs jugements. Leur faire comprendre que ce qu’ils vont dire sera juste, intéressant. Que ce sera leur point de vue. Mais qu’ils devront accepter qu’il y ait d’autres façons de voir les choses. Et qu’il faut pouvoir en débattre. »
C’est un point important. Avoir un avis sur un film, c’est bien. Pouvoir le confronter à celui des autres, c’est mieux. Cela demande de l’argumentation, mais aussi, et peut-être surtout, du respect, de l’écoute, de la bienveillance. « Il est essentiel de leur expliquer que penser différemment n’est pas un souci. Que cela participe à la richesse du débat ».

Pour montrer que l’avis des enfants peut être puissant, Damien prend un exemple. « Ils ont, ainsi, infléchi mon propre point de vue sur un film. C’était un long métrage roumain que je ne trouvais pas du tout intéressant, avec un manque de liens, des éléments parasites. Certains membres du jury junior avaient un avis différent, à partir de leurs propres références, ils ont établi des liens que je n’avais pas perçus, pas captés ». Bref, rester extrêmement ouvert·e aux avis des enfants peut faire accéder à d’autres dimensions.

Si Damien Raud a un conseil à donner aux parents, c’est aussi, dans un premier temps, de laisser les enfants s’exprimer, même sur l’axe basique du « j’aime / j’aime pas ». Cela renforce l’enfant dans son impression de respect. On peut garder au passage quelques éléments à chaud pour y revenir plus tard, en approfondissant, en recontextualisant. C’est ce que fait déjà Damien avec sa fille Héléna, âgée de 10 ans. Digne héritière de son père, elle a déjà participé à un jury côté flamand. La valeur d’un jugement n’attend décidément pas le nombre des années.

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