Société
Elle participe au Collectif Citoyens Parents de la Ligue des familles d’Ans, qui regroupe plusieurs mères qui réfléchissent à leur place dans la société. Elle travaille comme éducatrice de rue auprès de jeunes, mais également de leur famille. Elle est aussi maman solo d’une fille de 9 ans. Charlotte Haufman est au carrefour de plusieurs vécus parentaux.
C’est une jeune femme masquée, mais qui me sourit avec les yeux qui m’accueille dans les locaux de l’AMO (aide en milieu ouvert) La Boussole, un service du CPAS d’Ans, dans la périphérie liégeoise. Une jeune femme que l’on sent dynamique et dont le T-shirt floqué du mot FREEDOM m’inspire d’emblée une question à laquelle elle ne s’attendait pas : l’importance pour elle de ce mot.
« C’est marrant, rit-elle. J’aimais bien l’aigle ! Mais la liberté, c’est important, surtout en cette période de confinement. Les libertés ne sont pas pareilles pour tout le monde. Pour moi, c’est quand je rentre à la maison, que je suis libre de vivre avec ma fille, d’aller me promener dans la campagne avec mon chien. »
Objectif : l’avenir des jeunes
Assistante sociale de formation, Charlotte Haufman découvre le secteur de l’aide à la jeunesse avec l’asbl Vent debout, qui emmène des jeunes en difficulté randonner à l’étranger. Avec eux, elle ira en Corse, à Saint-Jacques de Compostelle, ce qui répondait à sa passion pour les voyages. Une vie professionnelle difficilement conciliable avec une vie de famille. Cela se confirmera plus tard, suite à sa séparation.
Maman solo comme on dit, Charlotte entame des démarches et est engagée à La Boussole où elle travaille depuis 2011. L’aide en milieu ouvert : une approche qu’elle a découverte avec l’expérience : « Il a fallu du temps pour mettre du sens dans mon travail. C’est à nous à être les plus pertinents car il y a encore de l’avenir pour ces jeunes. C’est plus compliqué pour leurs parents car ils vivent de nombreux soucis depuis longtemps ».
Des jeunes que l’on a vu grandir
Au cœur de l’action des équipes AMO, se trouve l’implication des éducateurs et éducatrices de rue dans le milieu de vie de leurs publics, en se rendant régulièrement sur le terrain. « Chaque semaine, nous organisons des ‘zonages’ à Ans-Awans, dans les cités, les parcs ou encore les places communales. Nous partons en binôme, à vélo électrique quand il fait beau, dans le milieu de vie du jeune pour nous en imprégner, entendre ses préoccupations, faciliter les rencontres… Le vélo aide grandement. Quand il fait moche, on va directement toquer aux portes des familles, pour demander des nouvelles. Nous organisons aussi des soirées pour entrer en contact avec ceux et celles que nous ne voyons pas en journée. Nous avons vu grandir la plupart de ces jeunes. On est hyper connu maintenant. Les gens n’hésitent plus à nous interpeller. Ils demandent notre avis sur un éventuel changement d’école, une aide pour rédiger un CV pour un job d’étudiant·e, des pistes pour des activités extrascolaires, etc. ».
Les mères au front de l’éducation
Leurs missions se réalisent aussi au travers de nombreux partenariats, dont celui avec le Collectif Citoyens Parents de la Ligue des familles d’Ans. « Je connaissais la Ligue en tant que maman. Quand Évelyne de Locht, chargée du projet pour la Ligue des familles, m’en a parlé, cela a fait sens pour moi, car la parentalité est au cœur de notre travail. Avec plusieurs mamans, nous avons réfléchi au métier de parent et créé le jeu D’rôle de parents. Nous avons ensuite voulu continuer nos échanges et avons abordé la thématique du harcèlement chez les tout-petits afin de développer de la bienveillance dans les relations, à partir des émotions ». Le résultat de cette démarche est visible sous forme de capsules vidéo sur la page Facebook Citoyensparentsdeans. Leur intitulé : Destination famille coopér’active !
Depuis l’an dernier, le collectif repris par Ingrid Desramault a décidé de se pencher sur le thème : Être mère, est-ce un travail ou pas ? « On voulait valoriser le travail de la maman, même s’il n’est pas lié à un salaire, précise Charlotte Haufman. Suite au confinement, nous essayons de maintenir le contact entre nous par des visioconférences. Ce collectif m’apporte beaucoup professionnellement et personnellement car, seule avec ma fille, je partage les préoccupations abordées par les mères présentes ».
« Après dix ans, j'ai compris que je n'étais pas une superwoman »
Dans un premier temps, elles ont réalisé une lecture partagée du livre Histoire des mères et de la maternité en Occident d’Yvonne Knibiehler. Dans un second temps, elles ont participé il y a quelques jours à un atelier d’écriture, Mamans en résistance. Au sein de l’AMO, existe également un groupe de soutien à la parentalité basé sur l’aide mutuelle. « Depuis des années, il rassemble des mères souffrant d’isolement pour la plupart et rencontrant des difficultés multiples. Elles échangent sur leurs réalités de vie, se soutiennent… Un réel réseau d’entraide s’est créé ».
L’AMO a noué un autre partenariat avec l’ONE pour constituer un groupe Parents-Enfants. Même si l’AMO s’adresse à des jeunes de 0 à 22 ans, le travail réalisé avec eux est difficilement imaginable sans tenir compte de leurs parents. « On prend le jeune dans sa globalité, explique Charlotte Haufman. L’enfant n’ira pas bien si le parent ne va pas bien ».
Maintenir les contacts
Pendant le confinement, les suivis individuels et de groupe se sont poursuivis par téléphone ou vidéoconférence. Le partage des informations et les conseils aux familles se sont concrétisés via les réseaux sociaux. « Nous avons continué nos zonages pour entretenir les contacts tout en veillant à nous protéger les un·es les autres, ajoute Charlotte. Comme les parents nous font confiance, ils laissent les enfants descendre de leurs appartements pour nous rejoindre. L’équipe a réalisé des kits d’animation pour les jeunes qui marchent hyper bien. Nous avons aussi mis en place des fardes d’animation, avec des activités de bricolage, de coloriage et des recettes de cuisine, en ciblant une quarantaine de familles demandeuses. Comme beaucoup n’ont pas les moyens pour acquérir le matériel nécessaire, nous avons demandé un budget au CPAS qui nous soutient. Nous avons organisé des ateliers itinérants de réparation de vélos car ceux de nos gamins étaient vraiment pourris. Nous les réparons avec eux pour qu’après, ils puissent se débrouiller ou montrer comment faire à des copains. Durant le congé de Pâques, nous en prévoyons un rien que pour des filles, car la majorité des participants sont actuellement des garçons ». La démarche correspond aussi au souhait, en particulier de leur coordinatrice-directrice, Bernadette Groesmans, de prôner la mobilité douce.
L’asbl La Boussole veille également à défendre l’accès à la culture. « Toujours en collaboration avec le CPAS, complète Charlotte, cela passe par l’octroi d’entrées fournies via l’Article 27, par exemple pour des expositions au Musée de la Boverie ou des séances au cinéma La Sauvenière des Grignoux, alors que ces jeunes ne connaissent bien souvent que Kinépolis à Rocourt. Ingrid Desramault m’a également parlé de la possibilité d’acquérir quatre, cinq abonnements suspendus au Ligueur (ndlr : une personne paie deux affiliations pour que la Ligue puisse en offrir une à quelqu’un d’autre) pour lesquels j’ai trouvé sans difficultés des familles intéressées ».
Cette année particulière a également renforcé la nécessité du soutien scolaire. En collaboration avec le PCS (plan de cohésion sociale communal) et Lire & Écrire, La Boussole a initié au mois de septembre un espace à la fois traditionnel et numérique d’aides scolaires avec des bénévoles. Durant les congés scolaires, des partenariats avec le club de natation Le Neptune, le centre culturel et le centre de jeunesse de Liège ont permis la mise sur pied d’un programme d’activités diverses. En été, l’action collective a été adaptée et proposée aux jeunes répartis en petits groupes : ateliers de jardinage, de cuisine, d’écriture, randonnées à vélo, nuitées sous tentes, etc.
Pas une superwoman
Au final, quel bilan personnel Charlotte Haufman tire-t-elle de tout cela ? « Quand je vois la société évoluer vers plus d’individualisme, je ne suis pas optimiste, mais j’essaie d’apporter à ces familles des petits moments de bonheur et de répit, de les rendre actrices face à leurs problèmes, sans que cela ne gomme pour autant leurs grandes difficultés. Après dix ans, j’ai compris que je n’étais pas une superwoman. Nous faisons de la prévention, nous ne sommes pas un service d’urgence. On a chacun un rôle à jouer, à des degrés différents. On ne peut pas tout changer seul ».
En quittant les locaux de l’AMO, une phrase sur une feuille A4 fixée au-dessus de la photocopieuse attire mon attention : « Si tu as parfois envie de jeter ton enfant par la fenêtre, c’est normal. Si tu le fais, ce n’est pas normal ». Une phrase qui me poursuit encore plusieurs jours après cette rencontre…
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