Vie pratique

Avec la grand-parentalité, arrivent les soucis liés à l’âge. Physiques bien sûr, mais aussi mentaux. Oublis divers, démence précoce et aussi cette maladie baptisée d’un nom étrange, Alzheimer, qui intrigue les petits-enfants. Une réalité aux manifestations déstabilisantes pour l’entourage et, en particulier, les plus jeunes.
C’est à l’adolescence qu’Aurore, 34 ans aujourd’hui, a appris que son grand-père était atteint d’Alzheimer. « 14 ans, peut-être... Je me souviens plutôt d’un épisode en particulier : la conduite de mon grand-père était devenue dangereuse, il n'avait plus le droit de conduire. Cela avait suscité chez lui de la colère et de l'incompréhension... ».
L’arrivée de la maladie a changé le regard que l’adolescente portait sur son grand-père : « Je me souviens de la perte progressive de dignité : l’infantilisation, la dépendance croissante… et puis ce corps qui ne répond plus, qui échappe à la volonté, ce qui peut devenir profondément avilissant. C’est d’autant plus troublant lorsqu’on est encore une adolescente et que cela arrive à son grand-père, une figure de respect, de le voir peu à peu diminué, transformé, jusqu’à ne plus retrouver en lui celui qu’il était pour nous ».
Axel, 33 ans aujourd’hui, et 12 lorsque la maladie est apparue, en a pris conscience progressivement. « Je me rappelle certains comportements particuliers, la conduite dangereuse, une certaine lenteur dans la prise de décision, dans les jeux de société ou autres, qui se sont accentués avec le temps. Mais c'est à la suite des tests que je l'ai appris officiellement. Après, quelques phases de la maladie m'ont marqué davantage : la perte de motricité (je me souviens encore d'une des dernières fois où il a pu courir), quand il ne m'a plus reconnu, ni ma grand-mère, quand il a fallu l'entraver pour son bien… ».
De Papidou à Papifou
Mais comment annoncer la maladie neurodégénérative d’un·e aïeul·e à ses enfants ? Damien, père de trois enfants de 9 à 15 ans, a pu compter sur son propre père : « Quand la maladie a été diagnostiquée, il a réuni ses huit petits-enfants de 7 à 18 ans et leur a dit qu’il avait une maladie de la tête. Son surnom, c’est Papidou. Il leur a expliqué qu’il ne fallait pas qu’ils s’inquiètent s’il devenait parfois Papifou. Tous lui ont fait un vrai câlin. C’était génial, un moment hyper émouvant et drôle parce qu’à l’époque il avait encore de l’humour et du second degré ».
La personne malade n’est pas toujours disposée ou en état de parler elle-même de ce qui lui arrive. Nos témoins ont mis en avant l’importance de ne pas rester dans le tabou, pour le bien du malade et de l’entourage. Anouk Dufour, ergothérapeute et psychomotricienne à l'association Alzheimer Belgique, chargée de projets notamment auprès de familles, complète : « Pour les parents qui ont des enfants confrontés à cette maladie, c'est important de pouvoir l’expliquer pour la déstigmatiser, pour qu'ils puissent comprendre les comportements de leur grand-parent, ses sautes d’humeur, sa désorientation, en s'adaptant à l'âge des enfants, même si ce n'est pas toujours évident. Répondre au fur et à mesure à leurs questions et imager les informations permet d’accompagner les enfants de la manière la plus juste par rapport à ce qu’ils peuvent comprendre. Il est aussi important de rassurer les enfants et de montrer comment garder le lien… en proposant par exemple de faire un dessin, de raconter ou d’écouter une histoire, ensemble, avec le parent malade. Des livres adaptés aux enfants peuvent aider les parents (lire Pour aller + loin). Il y a aussi un site pour enfants et adolescents : alzjunior.org ».
Deuil blanc
Pour Lucas, dont la grand-mère a été diagnostiquée alors qu’il avait 15 ans, ce sont les changements relationnels qu’il retient. « Je dirais que les rôles se sont un peu inversés : avec mes cousins et cousines, on a commencé à jouer aux ‘petits chevaux’ avec elle, pour lui faire plaisir, alors que ça n'était plus un jeu de notre âge. Je vivais aussi la maladie de bonne-maman à travers les yeux de papy. Finalement, c'est surtout pour lui que j'étais triste car, en plus de perdre ‘son seul et unique amour’ comme il disait, il voulait prendre en charge tout ce qui va de pair avec la maladie. Il a dû faire preuve de beaucoup d'abnégation, surtout à la fin, quand bonne-maman était en permanence alitée... Au fur et à mesure que la maladie d'Alzheimer progressait, il a dû, en quelque sorte, faire le deuil de celle qui avait toujours été à ses côtés. Et pourtant, elle était encore là, physiquement présente, mais comme à distance, enveloppée d’un brouillard qui l’éloignait un peu plus chaque jour ».
Damien a vécu une réalité similaire avec son père : « La maladie a évolué rapidement. La cadette a voulu aller le voir récemment et ça a été un moment assez chouette même s’il ne l’a pas reconnue. Les deux aînés, eux, ne veulent pas aller le voir. L’un est dans le déni, l’autre veut garder l’image du grand-père qu’il a connu avant. Je ne les force pas, je les laisse maturer. C’est probablement plus perturbant pour moi que pour eux, car j’ai plus de quarante ans de souvenirs partagés avec mon père. Moi, je vois un père qui n’est plus un père, avec qui je ne peux pas avoir de conversation. C’est ce que l’on appelle le deuil blanc. Le deuil d’une personne de son vivant ».
Des conseils ?
Damien ne se résigne pas pour autant face à ce deuil blanc. Il encourage à trouver des moyens de se remémorer régulièrement qui a été la personne, afin qu’elle ne se réduise pas à ce que la maladie fait d’elle. « Pour qu'elle puisse conserver sa dignité, portée par les souvenirs que nous gardons d’elle et par la manière dont nous continuons à la regarder, à travers des souvenirs partagés, des photos, des vidéos, etc. ».
Pour Axel, l’important a été de vivre l'évolution de la maladie au quotidien en découvrant ses différentes phases avec sa famille et son entourage. Cela lui a permis de découvrir la maladie petit à petit, au même rythme que les autres et de ne pas rester seul face à la situation. Il a essayé aussi de garder le sourire : « Malgré la tristesse de la situation, je me souviens de certaines scènes qui m'ont fait rire, comme les fois où il discutait avec lui-même dans le miroir, pensant parler à quelqu'un d'autre. Je pense qu'il faut essayer de rire de certaines situations, cela aide à les accepter ».
POUR ALLER + LOIN
- Grand-père Lion oublie tout, Julia Jarman, Susan Varley (Gallimard Jeunesse).
- Mon Petit Papa, Davide Cali, Jean Jullien (Sarbacane).
- L'Alzheimer raconté aux enfants, Priska Poirier (édition de Mortagne), un conte illustré qui aborde la maladie d'Alzheimer d’une façon simple et imagée, suivi de Trucs et astuces adaptés aux différents enfants…
- Les embrouillaminis des histoires de papi, Gianni Rodari, Beatrice Alemagna (Versant Sud Jeunesse).
- La planète de grand-père, Coralie Saudo et Marie Lafrance (D’eux).
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