Vie pratique

Il y a des fois où l’on met tout en place pour pouvoir flotter dans sa petite bulle de bonheur, mais elle éclate… et nous avec. Des émotions désagréables pourtant tout à fait utiles.
« Ça a été les vacances ? ». La question est toute simple, presque automatique à la rentrée. Mais pour Célestine*, la réponse a été non. « Le cœur n’y était pas. Je m’entends encore dire aux enfants : ce ne sont pas de bonnes vacances, cette année ».
Tout avait pourtant bien commencé. La famille avait la chance de pouvoir partir en vacances. « Nous avions réservé une ferme près des gorges du Verdon, en France. J’avoue que j’avais un peu romancé la chose ». Un lieu loin de la cohue et de la routine parentale, des animaux dont les enfants de 6 et 8 ans pourraient prendre soin, du pain à faire soi-même pour l’apprenti boulanger qu’est le papa… Sur papier, l’endroit vend du rêve.
Mais, arrivée à destination, la famille nivelloise déchante. « Sur place, on découvre un chemin non carrossable, notre voiture en prend un coup. On s’installe. La piscine ‘écologique’ est en fait un vrai nid à guêpes, avec une drôle d’odeur de goudron… impossible de s’y baigner. Dommage, car c’est la canicule. Un souci de santé apparaît chez ma fille. On est à trente minutes du premier hôpital et pas de pharmacie de garde ».
Les vacances s’annoncent donc moins idylliques que prévu. « La première nuit, je cogite avant de m’endormir, puis j’entends un bruit à la cuisine juste à côté de notre chambre. Et là, l’horreur ! Je vois une souris ». Si ce n’est pas la fin du monde, ça n’en reste pas moins la phobie de Célestine qui n’en ferme pas l’œil de la nuit. Elle restera en état de vigilance jusqu’à voir l’animal pris dans un piège.
À son retour en Belgique, la maman n’a pas caché les vacances ratées à son entourage. « J’en rigole. Je partage cette expérience un peu en mode petit spectacle de nos déboires à la ferme pour évacuer le trop-plein et ça me fait un bien fou ». Célestine a aussi remarqué qu’en partageant son vécu « négatif », les autres se livraient davantage sur leurs propres expériences. Négatif ? Parlons plutôt de ressenti désagréable.
Tout un monde de nuances
« La nuance est cruciale, réagit Moïra Mikolajczak, professeure de psychologie à l’UCLouvain et spécialiste en étude des émotions. Une émotion agréable peut être tout à fait négative. Par exemple, un enthousiasme qui m’amène à acheter quelque chose qui est au-delà de mon budget est en fait une émotion négative, alors qu’elle est agréable à ressentir. À l’inverse, une saine colère qui m’amène à mettre mes limites peut tout à fait être une émotion positive même si elle est désagréable à ressentir. »
Même si l’émotion désagréable n’amène pas de positif a priori, la psy insiste : chaque émotion remplit certaines fonctions. « Si on part du principe que l’émotion est appropriée à la situation et que son intensité l’est aussi, elle peut, par exemple, nous dire que quelque chose ne nous convient pas ».
Se permettre de ressentir et d’exprimer des émotions désagréables peut donc amener du positif. Bon à savoir face aux crises qui se profilent. Car ce n’est pas « juste » des vacances ratées, un épisode passager, que le monde est en train de traverser, mais bien un basculement sur le long terme. Dont on nous parle avec des mots comme « guerre », « hiver froid », « inflation ».
La politique de l’autruche
Valentine, maman de Juliette, 2 ans, a, elle, décidé de se protéger de ce marasme ambiant : elle s’éloigne des réseaux sociaux, n’a pas la télévision, s’informe uniquement via la radio.
« Et franchement, ça m’oppresse déjà énormément ! J’ai l’impression d’être canardée d’infos déprimantes. C’est la réalité, certes, mais j’ai la sensation d’être victime d’une ‘politique de l’angoisse’. Que les infos stressantes intéressent la majorité et qu’on nous bombarde. »
La maman condruzienne n’hésite donc pas à mettre la FM sur OFF de temps en temps. « Il y a deux ‘mais ‘, nuance-t-elle. D’une part, je vis à la campagne et, clairement, je pense que c’est une chance, on perçoit beaucoup moins le stress ambiant. D’autre part, je culpabilise parfois en me disant que je suis dans une politique de l’autruche. Mais vu l’actualité et l’ampleur des problèmes qui nous attendent, je ressens le besoin de nous protéger dans une bulle. Quand je dis ‘nous’, c’est Juliette aussi. J’essaye vraiment de la préserver, loin des écrans, de la foule, des violences qu’on voit partout. Je sais que la claque arrivera plus tard, mais j’espère qu’elle sera progressive et que j’aurais réussi à lui donner les armes pour se protéger ».
Nous sommes nombreux et nombreuses à nous poser cette même question : faut-il préserver nos enfants de ce qu’il se passe et des sentiments qui nous traversent ? Les émotions désagréables doivent être vécues, répond Moïra Mikolajczak. « À court terme, oui, on peut se dire que c’est une très bonne chose de ne pas assommer l’enfant avec nos propres émotions. C’est vrai que dans une certaine mesure, on ne va pas l’envahir avec ce que l’on ressent. Il y a un certain effort de régulation à faire parce que l’enfant, avant 6 ans, a peu de capacité à réguler seul ses émotions. Il peut donc être vite envahi par le ressenti de ses parents ».
« En revanche, préserver l’enfant de toute forme d’émotions désagréables et culpabiliser quand on est trop stressé·e ou qu’on se fâche trop fort, ça ne va pas aider le petite ou la petite, continue la psy. Car c’est au sein de sa famille que l’enfant va apprendre à gérer ses propres émotions, mais aussi celles des autres. Parce que, pendant toute sa vie, il va être confronté à des collègues, des chef·fes, des conjoint·es qui vont avoir des émotions négatives. S’il n’a pas appris à y faire face au sein de sa famille, alors il ne saura pas quoi en faire et va être beaucoup plus touché. Les expériences désagréables doivent donc être vécues, car c’est à travers elles qu’on construit ses propres capacités de régulation, qu’on construit sa propre sensibilité et sa résilience. »
*prénom modifié
POUR ALLER + LOIN
S’emparer du négatif… et en rire
L’humour peut être un régulateur à condition « que tous les membres du système soient partie prenante, précise Moïra Mikolajczak. Il vaut mieux aussi être dans l’autodérision que de rire du comportement de l’autre si on ne veut pas être blessant ».
Vous nous avez soufflé quelques ressources pour une bonne tranche de rire autour des vécus parentaux. Petit florilège...
Certaines humoristes décomplexent bien les parents, je trouve. Je pense par exemple à Véronique Gallo.
Marie, maman de deux enfantsCet été, la mère a expérimenté un nouveau concept permettant rapidement à sa descendance d’acquérir autonomie, patience et bons réflexes. Principaux mots clés : ‘Démerdez-vous’, ‘Je m’en fous’ et ‘On verra après l’apéro’. Salvateur. Évidemment, malgré les nouvelles règles énoncées clairement, les mômes ont mis quelques jours à comprendre le principe et c’est quand la petite a attendu près de trois heures un bol de Chocapic qui n’est jamais venu que le ‘Démerdez-vous’ a été totalement acquis.
@quatre_enfants sur InstagramRien de tel que de mettre son téléphone de côté et de se tourner vers ses ami·es. Je pense que le contact social est indispensable, que tu te sentes mal ou non, que parler de ce qui t’envahit et dialoguer avec une personne de confiance est la meilleure des solutions.
Valentine, maman de Juliette
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