Santé et bien-être

Les Marlaires, une école « sang stress » à Gosselies

Pour lutter à la fois contre la précarité et contre le manque d’informations concernant les règles, Wallonie-Bruxelles Enseignement mène un projet-pilote au sein de certains de ses établissements. À l’Athénée royal Les Marlaires, à Gosselies, les élèves ont désormais accès gratuitement à des distributeurs de protections et à un accompagnement. Parce que « les règles, c’est naturel ».

C’était il y a un an. L’Athénée royal Les Marlaires, à Gosselies, invitait l’asbl Toi mon endo à venir parler à ses élèves de la 3e à la 6e secondaire de l’endométriose, une maladie gynécologique qui peut provoquer des douleurs intenses durant les règles. À l’issue de la conférence, un petit groupe de jeunes filles vient trouver les organisatrices.
« On est conscientes qu’on peut avoir des problèmes gynécologiques, leur disent-elles, mais vous savez, on connait des copines de copines qui n’ont même pas de quoi s’acheter des protections hygiéniques ». Les jeunes filles expliquent alors que ces « copines » utilisent du papier absorbant ou des morceaux de tissu découpés en bandelettes en guise de serviette ou enroulés en guise de tampon. À la fin de la journée, elles les nettoient à l’évier avec un peu de savon, les laissent sécher et les réutilisent le lendemain.

« Leur santé était en jeu »

« On s’est dit que c’était catastrophique, se souvient Catherine Van Malsack, professeure de géographie. On s’est bien rendu compte que les copines de copines, c’était elles. Ce qui nous a surpris, ce n’est pas tellement qu’elles n’aient pas accès aux protections, mais plutôt ce qu’elles utilisaient pour palier ce manque. Notre première réaction a été de nous dire que leur santé était en jeu. »
Ce genre de solutions improvisées comporte en effet des risques d’infection, voire de choc toxique lorsqu’il s’agit de tampons. « Nous en avons référé à notre chef d’établissement, qui nous a soutenues ». Quelques semaines plus tard, cinq distributeurs de protections menstruelles gratuites étaient installés dans l’école, qui misait sur la solidarité pour les remplir.
Depuis janvier 2023, le dispositif s’intègre dans un projet plus vaste porté par Wallonie-Bruxelles Enseignement (WBE), le pouvoir organisateur (PO) de l’école. Intitulé Sang stress, il est actuellement en phase test au sein de cinq écoles et de deux internats. Le projet combine la mise à disposition gratuite de serviettes et de tampons 100% biologiques et la mise en place d’un accompagnement à destination des élèves et du personnel, afin de lutter à la fois contre la précarité menstruelle et contre les tabous entourant les règles.
« Cela répondait à un besoin exprimé par de nombreuses écoles, explique Delphine Gérard, coordinatrice du projet au sein de WBE. Des systèmes existaient déjà dans certains établissements, mais c’était à la demande et souvent un peu caché. Les élèves qui avaient besoin de protections menstruelles devaient aller voir l’éducateur, l’éducatrice ou la direction… ».

Retrouvez ici Sang stress, le projet mené par Wallonie-Bruxelles Enseignement

« Ça se met comment, madame ? »

C’est donc équipée d’un badge Sang stress, qui l’identifie désormais comme une des référentes du projet au sein de l’école, que Catherine Van Malsack nous accueille dans sa classe. À gauche de la porte, un boîtier de métal blanc, orné d’un autocollant représentant une petite culotte tâchée de sang, est fixé au mur. On y trouve des tampons avec ou sans applicateur et des serviettes. Chaque école a pu choisir où elle souhaitait installer ses distributeurs. Certaines ont opté pour les toilettes, d’autres pour les couloirs.
Aux Marlaires, ils se trouvent dans les classes. Pourquoi ? « Parce que cela permet d’amorcer le dialogue et de ne pas laisser les élèves seules devant un distributeur, avec des questions qu’elles ne peuvent pas poser chez elles, explique Catherine Van Malsack. Récemment, une jeune fille qui n’a pas de référente féminine à la maison et qui a eu ses règles pour la première fois m’a demandé : ‘Il y a un sens, madame ? Ça se met comment ?’. J’ai pu lui expliquer comment mettre une serviette. »
« Les règles, c’est naturel. Pourquoi les cacher ?, renchérit une collègue de Catherine Van Malsack, également référente du projet. Certaines élèves se servent devant tout le monde, d’autres ont signalé qu’elles préféraient venir pendant l’intercours ou le temps de midi ». C’est le cas d’Emma, 15 ans, qui nous confie : « Des fois, on peut être gênée. J’y vais souvent vers les récréations. Même s’il y a des gens dans la classe, on s’en fout. C’est un élément naturel pour nous, les filles. Avant, les garçons pensaient peut-être : ‘Ah, c’est dégueu…’. Maintenant, j’ai l’impression qu’ils sont plus à l’aise ». Sofia, 17 ans, confirme : « Vu que c’est dans les classes, les garçons voient ce que c’est et se disent que c’est normal. Ils apprennent. Certains en prennent même pour leur sœur ».

« Les serviettes hygiéniques, c’est cher »

« Ce qui est bien, c’est que c’est gratuit, continue Sofia. Parce que les serviettes hygiéniques, c’est cher. Donc si on n’a pas l’occasion d’en acheter ou qu’on les a oubliées à la maison, et bien, on va vite en chercher une ». Ou deux, ou plus.
« On les autorise à prendre ce dont elles ont besoin pour la maison ou pour le week-end. Elles n’ont pas à demander et, jusqu’ici, on ne constate pas d’exagération », assurent Catherine Van Malsack et sa collègue. Qui ajoutent que bien souvent, la précarité menstruelle n’est pas qu’économique. Sofia, par exemple, n’a pas tout de suite osé dire à ses parents qu’elle avait ses règles.
« Il y a des milieux dans lesquels c’est tabou, confirment les référentes. On a également pas mal d’élèves qui sont placés à l’internat par décision de justice ou qui sont dans des familles d’accueil, et pour qui parler des règles n’est pas possible. Ils ont d’autres choses à régler. Se dire qu’à l’école, ce n’est pas un problème, c’est déjà une charge mentale en moins pour elles. »

La précarité menstruelle n’est pas qu’économique, le sujet restant encore tabou dans certaines familles

Coût élevé des protections. Tabous et manque d’information. Charge mentale importante, qui vient accentuer les inégalités. C’est pour ne laisser de côté aucune de ces préoccupations que le projet Sang stress choisit d’allier systématiquement la distribution à la mise en place d’un accompagnement destiné à informer et à sensibiliser les élèves ainsi que les adultes qui les encadrent.
« Le type d’accompagnement mis en place varie en fonction des écoles et se fait en collaboration avec les référent·es au sein de son équipe pédagogique (enseignant·es, éducateurs, éducatrices…). Cette dynamique est vraiment primordiale, explique Delphine Gérard, de WBE. On travaille évidemment avec les centres PMS, qui n’ont pas attendu notre projet pour organiser des animations sur le sujet des menstruations dans le cadre de l’Évras (éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle), mais aussi avec l’asbl BruZelle et ses animations Règles de 3. L’idée est également d’introduire, dès l’année prochaine, cette thématique dans la formation continue de nos enseignant·es. »

Vers une généralisation ?

« J’aimerais bien qu’il y ait des distributeurs partout dans les autres écoles », estime Emma. « Ce serait le top », renchérit Sofia. L’objectif de WBE est en tout cas d’élargir le projet Sang stress à une vingtaine de ses établissements à la rentrée 2023. Et, à l’issue de la période test, de le généraliser à l’ensemble de son réseau. « On espère que ce sera pour la rentrée 2024, explique Delphine Gérard. On se laisse un laps de temps pour évaluer le projet, avant d’en faire un service à part entière qui pourra être sollicité par les écoles sur base volontaire ».
L’évaluation se fera sur base de questionnaires soumis aux élèves, mais aussi sur base de données collectées au sujet des écoles (type d’enseignement, zone géographique, indice socio-économique…), du type d’accompagnement choisi, ou de la consommation constatée. Ces enseignements seront ensuite compilés dans un guide méthodologique.
Mais WBE a beau être le plus grand PO (pouvoir organisateur) de la Fédération Wallonie-Bruxelles, puisqu’il chapeaute 500 établissements de l’enseignement officiel, il n’est pas compétent pour les écoles libres, communales ou encore provinciales. « On a été énormément contacté par des écoles qui avaient vu passer l’information et voulaient avoir des distributeurs ou des brochures, alors qu’elles ne font pas partie de WBE. On ne peut pas les inclure, ce n’est pas possible. Je leur conseille donc de sensibiliser leur PO à la question, et des échanges ne sont pas exclus par la suite ». D’autres PO, comme la Ville de Bruxelles, ont d’ailleurs pris des initiatives similaires dans leurs écoles.

« Le temps du tabou doit se terminer »

Pour Caroline Désir, ministre de l’Enseignement en Fédération Wallonie-Bruxelles, « le temps du tabou doit se terminer. Le sujet de la précarité menstruelle doit pouvoir être abordé sans honte, surtout dans un lieu de socialisation comme l’école ». Même si, précise-t-elle, « le combat est vaste et il n’appartient pas à l’école seule d’y apporter des réponses ».
La ministre salue donc le projet Sang stress, assurant qu’en sa qualité de projet-pilote, « il sera non seulement bénéfique pour l’ensemble des élèves directement concernées, mais devra aussi nous permettre de dégager les conditions de faisabilité minimales à réunir pour envisager sa généralisation, même progressive, dans les autres écoles de la Fédération Wallonie-Bruxelles ». Le cabinet Désir indique participer aux travaux du comité d’accompagnement du projet, mais précise qu’« indépendamment des questions budgétaires, aucun engagement ne saurait être évoqué avant la fin de ces travaux ».

VÉCU

Quand les grand·es deviennent référent·es

À l’Athénée royal Ardennes-Hautes Fagnes, à Malmedy et Stavelot, ce sont les délégué·es de classe de 5e secondaire qui ont exprimé le souhait de proposer des protections menstruelles aux élèves sans devoir passer par les éducateurs/éducatrices, comme c’était le cas jusque-là. C’est ainsi que l’école a rejoint le projet-pilote Sang stress et a équipé ses toilettes de distributeurs. Les élèves – des filles et des garçons – ont également souhaité se former pour devenir référent·es et pouvoir accompagner les plus jeunes. Une collaboration est née : chaque année, le centre PMS formera un petit groupe d’élèves volontaires de 5e secondaire pour qu’ils deviennent référent·es du projet pendant leur rhéto.
« On soutient les bonnes idées des élèves », se réjouit Sonia Layouni, la directrice. Qui précise que le projet permet également d’alléger la charge mentale des familles (« Des parents nous félicitent et se disent très soulagés ») et tient à saluer la contribution active et fière du personnel ouvrier de l’école.

EN PRATIQUE

D’autres initiatives à épingler

  • À Bruxelles, toutes les écoles secondaires de la ville seront bientôt équipées de distributeurs de protections menstruelles gratuites. Depuis le début de l’année scolaire 2022-2023, de tels distributeurs ont été installés dans sept écoles secondaires, francophones et néerlandophones. Un projet-pilote pris en charge par le pouvoir organisateur communal afin de lutter contre la précarité menstruelle constatée dans ses écoles, tout en s’attaquant au tabou des règles grâce à des animations destinées à déconstruire les préjugés et à sensibiliser aux risques associés.
    « C’est entre autres le rôle de l’école de proposer ce service. On vise l’égalité des chances en permettant à toutes d’être dans de bonnes conditions d’apprentissage », souligne Faouzia Hariche, échevine de l’Instruction publique francophone. Qui nous indique que les premiers retours sont très positifs, et que le projet sera étendu à toutes les écoles secondaires de la ville l’année scolaire prochaine.
  • En Communauté germanophone, la ministre de l’Enseignement Lydia Klinkenberg a pris les devants dès l’année scolaire 2021-2022, en équipant les écoles de l’enseignement communautaire de distributeurs de produits menstruels gratuits. La mesure ne concerne pas les écoles libres et communales.
  • En Flandre, l’asbl BruZelle a déjà équipé plusieurs dizaines d’écoles de la région de Louvain de « menstruatie-boxen », de petites armoires placées dans les toilettes et contenant des sachets de dix serviettes ou tampons. La ville d’Aarschot a également installé, dans les écoles secondaires de l’enseignement communal, des distributeurs de protections gratuites estampillés « Aarschot Goed Geregeld ». Soit « Aarschot Bien Réglée » : on vous disait que le sujet se prêtait aux jeux de mots !

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