Développement de l'enfant

Le cadre de référence familial peut être mis à rude épreuve lorsqu’il n’est pas partagé par les grands-parents, oncles, tantes et consorts. Comment un enfant peut-il gérer ces sons de cloche dissonants ? Et quel terrain d’entente trouver ?
Entrons directement dans le vif du sujet. Cadre, limites, règles, pourquoi est-ce important dans la construction de l’enfant ? « L’autorité s’exerce au quotidien par la mise en place d’un cadre qui sert de repère à votre enfant. Offrir un cadre sécurisant, c’est donner à l’enfant des repères qui l’aident à grandir en toute sécurité ». Voilà ce qu’on peut lire dans une brochure consacrée à l’autorité parentale éditée par les professionnel·le·s du service d’aide à la jeunesse.
Les règles et limites peuvent être de nature différente. Certaines, impérieuses, relatives à la sécurité de l’enfant et à la satisfaction de ses besoins vitaux. D’autres ont trait aux règles de vie en société, comme la politesse et le respect de l’autre, d’autres encore sont propres à chaque famille.
Les grands-parents aussi ont un rôle éducatif
Pour Cindy Mottrie, psychologue et enseignante à l’ULB, « les règles permettent de vivre avec les autres. C’est dans les relations qu’il a avec les personnes qui prennent soin de lui que l’enfant apprend à intégrer ces règles ». Interrogée sur les personnes habilitées à poser ce cadre, Cindy Mottrie répond : « Tous les adultes qui sont en contact avec l’enfant participent à poser les règles, que ce soit à la maison, à l’école, à la crèche... ».
Notre experte confirme donc le rôle éducatif qui revient également aux grands-parents en tant que personnes pivot dans la vie des enfants. Pour certains, cela ne va pas de soi, comme l’atteste le témoignage de Marie-Rose : « Les grands-parents ne sont pas là pour faire l’éducation de leurs petits-enfants, mais pour passer de bons moments avec eux. Le jour où nous ne serons plus là, ils garderont ainsi de bons souvenirs ». Mais passer de bons moments avec ses petits-enfants signifie-t-il de s’extraire de toute fonction éducative ?
Quand les sons de cloche dissonent
Vous avez été nombreuses et nombreux à répondre à notre appel à témoignages au sujet des cadres éducatifs dissonants. Parmi vos réponses, celle de Ludivine. Mère d’une famille nombreuse de sept enfants, Ludivine est adepte de « l’éducation positive ». Chez elle, pas de punition, mais le dialogue. Et aussi la mise en place de règles à respecter par chaque membre de la famille.
L’une d’elles a trait au rythme : les heures de sommeil sont sacrées et les couchers se font à heure fixe. Pour son mari et elle, les réunions familiales sont souvent l’occasion de tensions, que ce soit à propos du sommeil de leurs enfants qui en prend un coup lorsque les repas s’éternisent ou du manque d’autorité dont ils font preuve avec leurs enfants selon leurs propres parents.
Les enfants savent très souvent faire la part des choses entre les règles de la maison et celles en dehors et s’adaptent en conséquence
Qualifié de bobo utopiste, le couple est aussi jugé dans ses choix de consommation (bio, zéro déchet) ou de mobilité. Les grands-parents estimant que le vélo n’est pas un moyen adapté et sécurisé à leur tribu XXL.
« Certains conflits autour de l’éducation des enfants peuvent révéler parfois un conflit entre parents et grands-parents dans lequel les enfants risquent d’être pris en otage. Dans le cas de Ludivine, on peut se questionner sur la place de chacun·e et le fait que chacun·e soit bien à sa place. Est-ce que les grands-parents permettent à leurs enfants d’être parents ? Les grands-parents doivent autoriser leurs enfants à jouer leur rôle de parents. Il y a parfois une difficulté dans les familles à ce que chacun·e puisse prendre sa place de manière différenciée. Dans un monde idéal, le dialogue pourrait faire évoluer les désaccords et amener chacun à revoir sa position », analyse Cindy Mottrie.
Dans le cas d’Éléna, c’est la question des écrans qui fait débat. Pas d’écran avant 3 ans. Ce principe, Éléna en a fait son cheval de bataille. Et même si c’est compliqué, elle s’y tient. Et pourtant, papy et mamy refusent d’y souscrire. Chaque fois que ces derniers gardent leurs petits-enfants, Éléna les retrouve devant la télé.
La maman se sent alors tiraillée entre l’envie de demander en quoi c’est si compliqué de ne pas mettre les enfants devant la télé et l’envie de remercier les grands-parents d’accueillir leurs petits-enfants. Faut-il relativiser ou tenter de comprendre ce qui guide ce recours systématique à la télé (fatigue, facilité, envie de satisfaire les petits-enfants, principe éducatif non partagé) ?
Pour la psychologue Élisabeth Bergé, « les grands-parents ne vont pas forcément transmettre les mêmes choses aux enfants, que ce soit au niveau du cadre ou au niveau culturel. Dans certains cas, ils peuvent ouvrir des portes, réaliser d’autres activités. Du fait de leur disponibilité, ils sont aussi moins stressés. Les grands-parents chouchoutent, cajolent, font plaisir. Ce qui est plus compliqué, c’est quand il y a un conflit de valeurs. De petites entorses à certaines règles sont acceptables. Par contre, certaines valeurs sont fondamentales aux yeux des parents et impossibles à négocier ».
Un cadre, oui, mais des règles souples
Les deux expertes consultées parlent d’une seule voix : oui, les règles sont nécessaires. Mais elles doivent aussi pouvoir être souples et susceptibles d’être remis en cause lorsque les circonstances s’y prêtent. Certains parents assouplissent le cadre pendant les vacances avec des heures de coucher plus tardives, une glace quotidienne... La rigidité est un extrême, l’absence de règles en est un autre. Entre les deux, il y a une palette de possibles à explorer selon l’âge de l’enfant et le contexte.
Et l’enfant dans tout ça ?
Comment l’enfant s’adapte-t-il à des règles différentes ? Ophélie répond de manière philosophe : « Cela fait partie du jeu, les papous et mamies qui laissent regarder la télévision, les tatis qui gavent nos enfants de sucre... Faisons confiance à nos enfants, ils savent ce qu'ils peuvent faire ou pas selon l'endroit où ils se trouvent. C’est notre lot quotidien à tous de nous adapter à différentes règles ».
Élisabeth Bergé le confirme : « L’enfant sait faire la part des choses. Le fait de recevoir des règles de vie assez différentes se rencontre aussi beaucoup chez les enfants de couples séparés. La transition passe parfois par une étape un peu compliquée où l’enfant est ronchon, car il doit s’adapter à un nouveau cadre et gérer la séparation affective. Mais cela peut aussi être riche parce que ça lui donne aussi plusieurs visions du monde qu’il peut intérioriser. Il construit alors son identité, ses goûts, aspirations en puisant dans un réservoir plus varié ».
Cindy Mottrie complète : « Sur le plan du développement affectif, l’enfant apprend d’abord à intégrer les règles et les normes sociales principales. À partir de 5 ans, il est capable de les respecter seul et parvient alors à mieux s’adapter aux différences. Avant cela, c’est plus compliqué pour lui de gérer tout cet afflux d’envies et de désirs. Il a besoin des adultes pour fixer des limites, car il n’est pas capable de s’autoréguler. La discordance n’est pas négative en soi, mais si l’écart est trop grand, cela peut devenir source d’anxiété pour l’enfant ».
Clémentine Rasquin
En pratique
Ménager la chèvre et le chou
Haut les cœurs, il y a de la place pour tout le monde dans ce cadre éducatif pour autant que chaque partie prenante fasse preuve de souplesse. C’est à cette condition que les cadres dissonants pourront se rencontrer sans s’entrechoquer.
Par exemple, si l’armoire à bonbons de mamy fait de l’œil, les parents peuvent accorder un bonbon après le repas. Mais mamy doit aussi pouvoir maîtriser l’offre pour qu’elle coïncide avec ce qui est acceptable pour les parents.
Deuxième piste, distinguer l’essentiel de l’accessoire, pour cerner là où il peut y avoir une entorse à la règle et là où ce n’est pas négociable. En ce qui concerne le non négociable, « le plus important est d’amorcer un dialogue, d’expliquer en quoi le cadre ou la règle est importante pour vous et voir si un arrangement est possible », explique Élisabeth Bergé.