Vie pratique

Les vacances, un espace-temps où la famille se découvre autrement

Quelle utilité pour les vacances familiales ?

En 2020 et 2021, elles ont été empêchées, puis conditionnées. Cette année, elles reprennent des couleurs. Ce sont les vacances, bien sûr. À la veille du congé estival, nous nous sommes intéressés à son utilité pour la famille.

Elles sont là chaque année. Fidèles au rendez-vous. Mais à quoi servent-elles, ces vacances d’été ? Nous avons posé la question à Bertrand Réau, professeur au Conservatoire des arts et métiers, à Paris, qui a fait des vacances son terrain de recherche de prédilection.
« Les vacances servent à relâcher la pression du quotidien. Ce relâchement est d’autant plus nécessaire aujourd’hui que nous sortons de deux années où les contrôles et contraintes ont été supérieurs à la normale. Dans nos sociétés marquées par un haut taux d’autocontrôle, ce relâchement est précieux, il sert de soupape. Pour la famille, les vacances d’été représentent un temps libre de plus longue durée. C’est l’occasion d’organiser différemment le temps et l’espace, mais aussi de redéfinir les places et rôles de chacun. »

Les mêmes et pourtant si différents…

À la maison, vous l’appelez « la petite ». Parce qu’effectivement, elle est la petite dernière. Et puis, l’été dernier, à la faveur d’une activité accrobranche, celle que vous croyez connaître vous désarçonne et se dévoile sous un jour nouveau.
Méthodique, assertive, entreprenante même, Jeanne* enchaîne les parcours avec une facilité déconcertante. Habile, elle clipse et déclipse les mousquetons sur la ligne de vie du parcours comme si elle l’avait toujours fait. En contre-bas, vous assistez à la scène, médusé·e. Sous vos yeux, c’est bien votre enfant, le même que vous traînez presque de force tous les mercredis à la piscine. Vous essayez de comprendre, comment tout est si différent ?
Non, votre fille ne s’est pas métamorphosée du jour au lendemain. C’est plutôt le cadre qui a changé et vous donne à voir une nouvelle facette de sa personnalité, comme l’explique Bérengère Nobels, docteur en sociologie de l’UCLouvain.
« Nous nous définissons en fonction des activités que nous réalisons, des espaces dans lesquels nous évoluons et des personnes autour de nous. Chacun de nous mêle et jongle avec plusieurs facettes de sa personnalité, ce qui forme une identité à la fois multiple et unique. Le fait de changer de décor permet donc de découvrir d’autres facettes de la personnalité de nos proches. »

Olivier Luminet - Professeur de psychologie de la santé
« Être présent ou être disponible, ce n’est pas la même chose »
Olivier Luminet

Professeur de psychologie de la santé

Olivier Luminet, professeur de psychologie de la santé à l’UCLouvain, explique : « Les enfants aussi découvrent leurs parents sous un autre jour. Ils peuvent retrouver leur âme d’enfant, être plus ouverts à des activités qu’ils n’auraient pas faites pendant l’année, cela va créer une plus grande complicité ».
Ça fait des mois que Sam*, 8 ans, tanne ses parents avec les vacances. Quand ses parents essayent de comprendre pourquoi c’est si important pour lui, il répond tout de go : « Vous n’êtes pas pareils en vacances, vous êtes beaucoup plus cools et plus disponibles ».
Oriane* est d’accord avec son fiston. « On ne fait rien d’extraordinaire, mais tout prend une autre tournure. On va chercher la baguette à notre aise parce qu’il n’y a pas d’horaire à respecter. Même les petites corvées comme la vaisselle ou le linge deviennent sources de jeux ou de confidences alors qu’à la maison, on n’a pas la tête à ça ».
François*, le papa, complète. « Moi, c’est vraiment l’eau qui me met dans un mode récréatif. Dès qu’on est à la piscine, c’est la fête. On fait des concours de plongeons, des chronos d’apnée, on mime une musique sous l’eau que l’autre doit reconnaître, on s’éclabousse, on se fait tomber des matelas ».
Le témoignage d’Oriane et François en inspire un autre à Stéphanie*, 40 ans. « Mon père était instituteur. Il était souvent présent à la maison, mais toujours à vaquer à ses occupations. Pendant les vacances, il était à la fois présent et là, avec nous. Pendant deux ou trois semaines, nous ne le partagions plus avec le jardin, les partenaires de tennis et ses élèves. Nous l’avions pour nous. Ce père devenait tout à coup disponible pour faire de grands trous dans le sable, pour jouer aux raquettes, pour nous apprendre à rouler à vélo, pour nous raconter ses souvenirs de jeunesse. Je pense que sans les vacances, j’aurais moins bien connu mon père ».

Ensemble, c’est tout

Olivier Luminet abonde dans ce sens. « Être présent ou être disponible, ce n’est pas la même chose ». On peut être très proches physiquement sans être disponibles pour autant. Empêtrés par les impératifs du boulot, captivés par un livre, envoutés par la dernière série. Les exemples ne manquent pas.
« Les vacances représentent une des rares occasions de coupure avec les activités habituelles et le rythme soutenu du quotidien. C’est une bulle privilégiée où on peut sortir de nos habitudes et où notre esprit n’est pas occupé par les choses qui l’encombre pendant l’année. Il y a vraiment un espace qui se libère. C’est important de pouvoir en profiter. »
Cette notion de bulle parle à Florence*, 35 ans, qui se souvient des heures de route dans la Honda Civic familiale à écouter les cassettes de Brassens et Jean Ferrat en boucle. « Nous étions trois encaqués à l’arrière de l’habitacle. Cette promiscuité physique devenait aussi relationnelle. On se faisait des coiffures, on se dessinait des lettres sur les avant-bras. Tout était bon à prendre pour passer le temps ». Bérengère Nobels confirme, « la proximité spatiale favorise la proximité relationnelle ».
Attention toutefois, la proximité ne convient pas à tout le monde. On peut aussi la subir et ne pas en tirer parti. « Chaque personne expérimente l’espace de manière personnelle. Pour certain·es, la proximité spatiale imposée pendant les trajets en voiture ou dans des espaces confinés, comme la tente ou la caravane, peut être compliquée à gérer. C’est ce qui explique que certain·es ont besoin de se recréer une bulle à eux, en écoutant de la musique, en lisant un livre, en se créant un petit espace rien qu’à soi », conclut Bérengère Nobels.

* prénoms modifiés

LES CONSEILS DE L'EXPERT

Olivier Luminet, professeur de psychologie de la santé à l’UCLouvain

Pour profiter pleinement de vacances en famille :

  • Partir, pas nécessairement loin, mais hors de la maison. « Il y a une différence entre un moment de vacances à la maison et un moment de vacances passé ailleurs. On se rend compte à quel point le fait de partir est profitable au bien-être et à l’équilibre d’une famille. Le fait de rester chez soi libère de l’espace et du temps pour faire autre chose, mais ne garantit pas que la cellule familiale se retrouve vraiment. Alors que le fait de partir permet vraiment une déconnexion. Pas besoin d’aller loin pour autant, le covid nous a prouvé qu’on peut passer des vacances très chouettes tout près de chez soi. »
  • Profiter des vacances pour passer du présent au disponible. « Être simplement présent n’est pas suffisant. Être au bord de la piscine à lire son roman, ce n’est pas être ensemble. Assurer une disponibilité, c’est quelque chose de très important. Combiner le changement de lieu et la disponibilité, c’est vraiment ça qui fait la richesse des vacances. »
  • Le combo vacances : plus précieux dans le cœur, plus prégnant dans la tête. « Si vous questionnez votre enfant sur les grands moments de l’année, il y a neuf chances sur dix qu’il ressorte les vacances. Même si elles représentent une période limitée dans le temps, le fait de changer de routine, de lieu, d’activité est quelque chose d’extrêmement précieux. Ces moments sont souvent chargés en émotions fortes parce qu’ils combinent plusieurs plaisirs sensoriels comme le celui d’être ensemble, de se retrouver dans un chouette lieu, de manger d’autres choses. C’est ce qui explique qu’ils sont plus présents dans nos souvenirs personnels. »
  • Pas d’impasse sur les vacances en famille. « Certains parents seraient peut-être tentés de se dire que leurs enfants sont heureux de partir uniquement en camp d’été ou en stage. C’est vrai, mais prévoir aussi des moments en famille est important. Ça ne doit pas nécessairement être long et ça ne veut pas dire que les parents ne doivent pas avoir du temps pour récupérer eux aussi. Mais passer ne serait-ce qu’une semaine ensemble en famille à des effets positifs sur le moment même et aussi à long terme. »