Société

Quand nous rencontrons Sarah Pierson, Namuroise de 31 ans, celle-ci sort d’un tsunami d’émotions multiples, après une année 2020 confinée qui l’a privée de son trentième anniversaire. Pourtant, sa vie a connu ces derniers mois une sorte d’alignement des astres, en lien avec ses origines guatémaltèques.
Sarah Pierson nous reçoit dans son appartement situé dans une des rues historiques de Namur. La fenêtre de sa cuisine donne sur la Sambre, ses quais et les pieds de la Citadelle.
Sur la table, deux bouquets de fleurs, offerts pour ses 31 ans qu’elle a eus la veille de notre passage. Elle est tout sourire à l’évocation de la fête organisée le week-end précédent et qui n’avait pu avoir lieu l’an passé. Parmi les nombreux invités, des amis et amies rencontré·e·s lors d’un séjour Erasmus en commerce international réalisé il y a dix ans à La Haye.
« Ils sont venus du Mexique, d’Espagne, d’Allemagne… Nous sommes comme une famille. Nous nous sommes revus plusieurs fois pour la nouvelle année ». Au centre de la table, un petit plateau où trônent quatre pralines, fruits d’une formation en chocolaterie qu’elle vient d’entamer au CEFOR (centre de formation) .
Notre rencontre commence donc par une savoureuse dégustation de chocolat ! Un double héritage pour la jeune femme. Celui d’un produit-phare de son pays natal, le Guatemala ; celui de son ancrage belge : « Mon père est boulanger-pâtissier-chocolatier-confiseur. À Noël, je préparais des manons avec lui. J’espère ouvrir un jour ma propre chocolaterie ! ».
J’étais Pocahontas
Sarah Pierson a été adoptée peu après sa naissance à Guatemala City. Ses parents belges avaient déjà adopté un garçon guatémaltèque, Romain, avec qui elle va vivre une belle enfance. « Je me souviens de mes jeux avec lui, dans notre première maison à Sorinne-la-Longue. J’ai toujours dit que je retournerais vivre dans ce joli village. C’est mon premier cocon ».
Son visage basané resplendissant et sa chevelure noire de jais sont une signature de ses origines centraméricaines. Pourtant, précise Sarah, « Je suis de culture belge. Je n’avais aucun souvenir du Guatemala avant d’y retourner. Mes pensées sont occidentales ». Elle ajoute avec un petit sourire entendu : « Les retards, mon caractère chaleureux, un besoin de contacts physiques, peut-être que ce sont des traces de mon côté latino, de mes gènes… ».
Bref, Sarah Pierson vit une enfance comme beaucoup de petites filles malgré sa différence. « Je ne me suis jamais sentie rejetée. J’ai eu la chance d’être entourée d’enfants respectueux à l’école, d’être bien intégrée dans ma famille. Quand j’avais 6 ans, affirme Sarah, je me sentais, non… j’étais Pocahontas, avec le même amour de la nature et de la liberté ». Un regret peut-être, lié au métier de ses parents, des indépendants qui tenaient une boulangerie-pâtisserie.
« Le week-end, c’était travail, travail, travail, se souvient-elle. Papa aux fourneaux, maman au comptoir et aux comptes. Nous ne les voyions pas beaucoup. Mon frère et moi étions confiés à des baby-sitters ou à notre grand-mère. Mes parents m’ont légué cette culture du travail, d’être toujours à faire quelque chose. Nous avions un rythme complètement différent de celui de nos copains et copines, même si, dès qu’on pouvait, je partais à cheval dans la nature avec mon papa. Malgré tout, j’ai ressenti le manque d’une présence, je me disais que je ne les connaissais pas vraiment. J’ai eu de la peine quand j’ai fini par réaliser combien ils étaient épuisés par le travail, combien ils avaient renoncé à une vie sociale normale. Aujourd’hui qu’ils sont retraités, nous pouvons enfin apprendre à partager des moments ensemble, pleinement. »
Enthousiaste, curieuse, active dès son jeune âge, la jeune Sarah multiplie les activités, surtout artistiques : peinture, danse, chant, dont elle suit aujourd’hui des cours, gymnastique et aussi l’équitation. « J’ai commencé à en faire à 5 ans, se souvient-elle. J’ai eu la chance que mes parents m’aient toujours soutenue sans jamais me pousser. Ils nous ont expliqué très tôt l’adoption, il n’y a jamais eu de secrets, la communication a toujours été importante. Quand ils m’ont annoncé qu’ils m’avaient adoptée, j’ai vu des palmiers dans ma tête ! ».
Le temps des questions
Comme pour beaucoup de jeunes, l’adolescence a été plus compliquée. « Je me posais beaucoup, beaucoup de questions sans entamer de recherches pour autant sur mes origines. J’écrivais des chansons, des textes où revenait la question de l’abandon, du rejet… ». De plus, Sarah va avoir 19 ans quand un drame touche la famille. Son frère aîné, Romain, décède des suites d’une hypertrophie cardiaque qui l’a accompagné toute sa vie.
Ses études terminées, Sarah ressent le besoin de découvrir sa culture biologique. À 23 ans, elle part pour un périple de six mois qui l’amène du Mexique au Guatemala. Elle a contracté définitivement le goût du voyage. Les années suivantes, sac au dos, généralement seule, elle parcourt la Norvège, le Panama, le Costa Rica, Cuba et l’Amazonie péruvienne. « J’y ai été amenée à me dépasser physiquement et psychologiquement. Quand vous remontez le fleuve à la rame, en barque, seule avec votre guide, pendant six heures sous un déluge, vous apprenez à découvrir vos limites. C’est une rencontre avec soi ».
« Tout à coup, je me suis demandé si j’avais également été victime d’un trafic, si ma mère me cherchait depuis des années »
La photographie a toujours été une passion pour Sarah et plus encore depuis sa visite, il y a cinq ans, du Festival international nature de Namur. « J’y ai rencontré des photographes qui m'ont bluffée par leurs clichés incroyables de singes, cerfs, renards, bœufs musqués... J'ai alors décidé de suivre la formation photo nature de Natagora et de me lancer dans l'aventure, de connaître ces sensations d'être face aux animaux sauvages, sans les déranger, en se rendant invisible, en me connectant avec la terre et les éléments. Cela fait partie de ce que j'aime au quotidien : m'immerger en pleine nature et laisser mon esprit aller dans l'écoute de l'environnement ».
L'an dernier, un mois avant le début de la pandémie, elle effectue un voyage au Congo et au Rwanda. « D'une part pour participer au festival de musique Amani à Goma comme bénévole dans l'équipe communication et, d'autre part, pour me donner la chance de réaliser l'un de mes rêves : rencontrer les gorilles des montagnes dans le parc national des Virunga ! ». Un rêve réalisé et la photographie est devenue une de ses activités professionnelles.
Racines retrouvées
Peut-être Sarah Pierson n’aurait-elle jamais investigué sur sa famille d’origine si, il y a deux ans, elle n’avait pas entendu une interview de Carmen Maria Vega, chanteuse et actrice française, née également au Guatemala. Elle y explique qu’elle a été victime d’un trafic d’enfants lié à l’adoption, ce qu’elle détaille dans son livre Le Chant du bouc (Flammarion). Elle y évoque la même association belge que celle qui a servi d’intermédiaire pour Sarah.
« Tout à coup, je me suis demandé si j’avais également été victime d’un trafic, se souvient la jeune femme, si ma mère me cherchait depuis des années ». Ni une, ni deux, elle envoie un message à la chanteuse sur Facebook qui lui répond dans les vingt-quatre heures en lui renseignant la fondation belge Racines Perdues - Raìces Perdidas.
Fondée par Mariela SR Coline Fanon (qui vient de publier son autobiographie, Maman, je ne suis pas morte, chez Kennes), cette association propose aux personnes adoptées au Guatemala un accompagnement, totalement gratuit, dans la recherche de leur famille de naissance. Car ce sont plusieurs milliers d’enfants guatémaltèques, mais aussi de familles d’origine et adoptives trompées, qui ont été victimes de ce trafic qui s’est constitué durant la guerre civile (1960-1996) et poursuivi après.
« La fondation Racines Perdues fait un travail incroyable. En quelques mois, explique Sarah Pierson, on a retrouvé ma famille. La veille de mes 30 ans, j’ai appris que j’étais la cadette d’une fratrie de huit enfants, que ma mère était âgée de 73 ans, d’une santé fragile. J’ai eu des contacts via les réseaux sociaux avec Jairo, mon frère. Tout s’est enchaîné, je ne voulais plus attendre. J’ai fait un test ADN qui a confirmé ma filiation. Covid ou pas covid, je voulais partir. »
Et elle ne partira pas seule ! Lors de ses rencontres à Racines Perdues, elle a fait la connaissance de son compagnon, Francisco, garçon lui aussi adopté et qui a également retrouvé sa famille. « Nous sommes partis au printemps. Avec, malgré tout, un sentiment d’appréhension, raconte Sarah. J’avais peur d’être submergée. Heureusement, sur place, ma famille a respecté mon besoin d’y aller tout doux. Nous alternions des rencontres avec nos familles respectives pour découvrir leur vie, cuisiner ensemble, aller au marché et des temps de pause à deux ».
Revenue dans le Namurois, Sarah déborde de projets, dont un supplémentaire : « Je remercie l’univers de m’avoir amené en Belgique, conclut-elle, et permis de vivre tout ce que je vis. Je regrette seulement que mes nièces rencontrées au Guatemala aient des envies identiques et ne puissent les réaliser. Mon rêve serait de pouvoir les accueillir ici et apporter à d’autres ce que j’ai reçu ».
EN SAVOIR +
Le droit de connaître ses origines
La Convention internationale des droits de l’enfant reconnaît à tout·e mineur·e d’âge le droit de connaître ses origines. Suite à son expérience, Sarah Pierson suggère deux mesures intéressantes : mettre en place un soutien ne fût-ce que psychologique pour les enfants qui entament des recherches, dans un cadre légal, et faciliter l’accès aux test ADN, car les démarches sont assez fastidieuses.
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