Crèche et école

Les voyages rhéto sont-ils source de discrimination ?

Voyage hors temps scolaire, voyage à la carte ou voyage effacé du programme pédagogique… L’organisation du voyage rhéto diffère fortement selon les établissements. Des divergences qui provoquent le débat.

Durant le covid, tous les voyages rhéto ont été annulés. À la sortie du confinement, certaines écoles ont proposé des voyages exceptionnels. Comme cet établissement namurois et un voyage à New York à près de 2 000 €. Montant qui a défrayé la chronique, obligeant l’établissement à choisir une destination plus « classique » à moindres frais.
« Le voyage ne s’est pas fait, ce qui est bien dommage, soutient la directrice de l’établissement qui a préféré garder l’anonymat. Le choix de la destination est issu d’une discussion entre les élèves et les enseignants. Cela se base sur les envies de ceux qui veulent partir. Car de nombreux élèves ne veulent pas partir, peu importe la destination ». Organisés en Espagne et en Croatie, les deux derniers voyages de l’école ont coûté aux alentours de 500 €. « Comme ce qui se fait dans les autres écoles », selon la direction de l’école.

Taux de participation

Le premier frein mis en place pour éviter dérives et explosion des prix, c’est le respect du taux de participation nécessaire (entre 70 et 90% selon le type d’enseignement et la taille de la classe). « Si le taux n’est pas atteint, cela doit amener l’école à se questionner et à revoir le montant, les modalités et les réalités propres à chaque famille », explique Bernard Hubien, secrétaire général de l’Ufapec (Union des fédérations des associations de parents de l’enseignement catholique).
Cette mesure n’est toutefois pas entièrement efficace, puisque certaines écoles ont trouvé une manière de la contourner. En organisant, par exemple, plusieurs voyages à des prix différents. « En fonction des moyens des parents, l’élève ira à New York, à Strasbourg ou à la côte belge. C’est créer une ségrégation au sein même de l’école », s’insurge Joëlle Lacroix, secrétaire générale de la Fapeo (Fédération des associations de parents de l’enseignement officiel).
D’autres établissements choisissent d’organiser le voyage durant les congés scolaires afin d’échapper au taux de participation. « Notre voyage n’est pas obligatoire puisque organisé durant les vacances scolaires, explique la directrice d’une école namuroise. C’est un choix que nous avons fait pour pouvoir l’organiser entre élèves motivés et ne pas devoir atteindre 90% de taux de participation ».
« Les enfants doivent être traités de la même façon, c’est notre motivation pour diminuer la charge financière des parents qui n’ont pas tous les mêmes moyens, explique la secrétaire de la Fapeo. C’est un traitement plus juste ». L’aspect financier ne peut pas être un motif de non-participation. C’est écrit noir sur blanc sur la circulaire 6289 de 2017 de la Fédération Wallonie-Bruxelles, relative à l’organisation des séjours pédagogiques. L’école est tenue de prendre des mesures de solidarité. Différentes aides existent pour les familles les plus démunies : fonds de solidarité, échelonnement, bourse de l’encadrement différencié, intervention du CPAS… Malgré cela, de nombreux enfants ne peuvent pas participer à ces voyages.

Voyage obligatoire ?

Les deux fédérations de parents relatent des appels réguliers de parents leur demandant si l’école a le droit de demander autant d’argent - une fourchette de prix entre 1 000 et 1 500 € - pour ces voyages. À l’heure actuelle, comme il n’y a pas de plafond fixé, la réponse est oui (à condition donc que le taux de participation soit respecté si le voyage a lieu durant le temps scolaire). Les parents s’interrogent également sur le caractère obligatoire de ces voyages. « La ministre de l’Enseignement a confirmé qu’ils sont toujours facultatifs, affirme Merlin Gevers, chargé d’études à la Ligue des familles. Même si cela ne saurait être une réponse pour les parents qui hésitent pour des raisons financières ».
Beaucoup de parents font ainsi la confusion entre un séjour pédagogique durant l’année et un voyage scolaire pendant les vacances, mais organisé par l’école. « Nous demandons que tout voyage organisé à partir de l’école soit soumis à des règles et un cadre clair et précis qui restreint l’explosion des coûts, explique le secrétaire général de l’Ufapec. Cette distinction n’a pas de sens, le voyage de rhéto a une symbolique, c’est un voyage de l’école, ne soyons pas dupes. Il ne faut pas qu’il soit encore un autre moyen de cloisonnement social ».

41% des parents sont mis en difficulté financière par le coût des voyages scolaires selon le dernier Baromètre des parents de la Ligue des familles

Demander de l’aide financière est aussi parfois compliqué. Voire humiliant. « Ces parents en difficulté doivent une fois de plus expliquer leur situation et demander de l’argent, explique Joëlle Lacroix, nous plaidons pour une automatisation et une simplification des aides ». Bernard Hubien affirme, lui, que « certains parents font des emprunts pour ne pas révéler leur situation précaire à l’école. On sait que le voyage fait partie des expériences éducatives, mais il faut empêcher cette discrimination sociale qui fait que l’écart entre les plus riches et les plus pauvres se creuse ».

Plafonner les coûts 

Selon le dernier Baromètre des parents de la Ligue des familles, le coût des voyages scolaires met 41% des parents en difficulté. Plus la famille est nombreuse, plus elle est confrontée à ces difficultés de paiement des voyages. Concrètement, 10% des élèves en secondaire (environ 38 900 élèves) ne participent pas aux voyages scolaires en raison du coût trop élevé de ceux-ci.
Pour éviter cette discrimination, la Ligue des familles propose une méthode. « Un plafond commun à six ou sept ans, la possibilité d’un échelonnement et sa portabilité d’une école à l’autre en cas de changement, ainsi qu’une contribution maximale des parents fixée qui tient compte de la moyenne qui se pratique sur le terrain, explique Merlin Gevers. Ceci afin de garantir la faisabilité de la majeure partie des voyages tout en interdisant les prix excessifs ».
Les deux fédérations d’associations de parents, comme la Ligue des familles, réclament donc un plafonnement du coût des voyages scolaires… déjà prévu dans le Code de l’enseignement, mais que le gouvernement n’a jamais mis en œuvre.
« La raison principale pour laquelle nous demandons un plafond, c’est pour éviter d’entretenir la concurrence entre les écoles, ce marché scolaire qui ghettoïse, explique Joëlle Lacroix. Ce qui est très choquant, c’est que le prix est annoncé à l’inscription. Certains parents savent qu’ils ne pourront pas débourser de telles sommes pour un voyage. C’est dissuasif. »
Alors qu’elle avait annoncé un plafond pour la rentrée 2024, Caroline Désir, ministre de l’Enseignement, a fait marche arrière dernièrement pour reléguer la tâche au prochain gouvernement. Probablement parce que le sujet est délicat. Personne n’a d’ailleurs osé nous donner le montant à plafonner. « La décision n’est pas encore claire, car nous n’arrivons pas à faire l’unanimité, admet Joëlle Lacroix. C’est difficile de mener un débat, car c’est une question qui divise. Elle est encore en plein chantier ». L’idée principale défendue est de fixer ce plafond en fonction des pratiques et de la moyenne actuelles.

SUR LE TERRAIN

Entre prix démocratique et voyage supprimé

Certaines écoles n’ont pas attendu la législation pour prendre des mesures. C’est le cas du Lycée Émile Max à Schaerbeek. « Le Pouvoir Organisateur a plafonné le voyage rhéto à 600 € pour toute la commune, explique Stéphanie Széchényi, la directrice. Mon école est en encadrement différencié, les élèves sont issus de milieux socio-économiques faibles : on ne proposera jamais un voyage à 600 €. Cette année, les rhétos partent cinq jours à Barcelone pour 320 €. Notre but est que tout le monde parte ».
Étonnamment, dans un collège huppé de la capitale, le voyage rhéto a été supprimé du projet pédagogique. « D’abord, c’était l’argument financier, puis la logique écologique qui ont motivé l’absence de voyage », explique une maman dont la fille a été diplômée l’année dernière. Résultat ? Les élèves sont parti·es camper en Belgique. « Je trouve ça très bien. L’accent a été mis sur ce qui est important : monter un projet que les élèves ont dû porter. À défaut de voyage, ils ont plus insisté sur les cent derniers jours à l’école, le bal de rhéto a pris de l’ampleur et ils ont mis les formes pour la cérémonie de diplôme. L’absence de voyage a été compensée par autre chose qui a du sens ».
Trouver du sens. Investir dans la symbolique. Marquer le coup. Et si, plutôt que de vouloir l’homogénéiser, on réinventait le voyage rhéto ?

3 QUESTIONS À...

Stéphanie Szechenyi, directrice du lycée Émile Max

Le montant des voyages rhéto est déjà plafonné pour votre école, comment l’expliquez-vous ?
« Le Pouvoir Organisateur a plafonné le voyage rhéto à 600 € pour toute la commune. On a également des restrictions écologiques : on ne peut pas voyager en avion. Mon école est en encadrement différencié, les élèves sont issus de milieux socio-économiques faibles : on ne proposera jamais un voyage à 600 €. Cette année, les rhétos partent cinq jours à Barcelone pour 320 €. Notre but est que tout le monde parte. Et adhère ! Car nous sommes plus dans le combat pour que les parents acceptent de laisser partir leur enfant… »

Le problème du manque de participation n’est donc pas uniquement financier ?
« Je n’ai jamais laissé quelqu’un de côté pour l’aspect financier. Ce n’est pas une raison. On s’adapte : l’économe de l’école propose des échelonnements, les CPAS prennent en charge une très grosse partie des frais, il y a aussi l’enveloppe de l’encadrement différencié qui réduit le montant pour que ce ne soit pas un frein. On veille aussi aux dates du ramadan. On fait tout pour favoriser l’autorisation de partir. Mais certains parents refusent de lâcher leurs enfants. Nous faisons face à de la surprotection parentale : comme c’est une fille, elle ne logera pas ailleurs avant ses 18 ans. Nous sommes confrontés à la peur des parents, qu’il se passe des choses là-bas… On reçoit souvent des certifs la veille du départ. Certains élèves sont très casaniers, assez farouches. À cause du covid, on s’est rendu compte que nos 4e n’étaient jamais partis ! Il y a toute une initiation aux voyages à faire : respect des lieux, programmation des activités et leur déroulé… L’année dernière, certains élèves de rhéto ne savaient pas faire de vélo, ni nager. Ces voyages scolaires ont une portée pédagogique. »

Que pensez-vous du plafonnement du montant des voyages scolaires pour toutes les écoles ?
« Je sais que la volonté est d’unir, mais c’est une énième volonté de vouloir tout régenter. On a en ligne de mire les écoles élitistes, mais on ne pense pas aux conséquences sur les autres écoles. Or cette décision va avoir d’autres impacts, sur tout autre chose. Vers quoi allons-nous avec ces décisions ? L’homogénéité ? Toutes les écoles ont leurs particularités où chacun doit pouvoir se retrouver.
Je n’ai pas envie que l’exemple de mon école soit un frein pour les écoles plus élitistes. Mon message est le suivant : faites confiance aux directions d’école. Nous connaissons notre public, nous nous adaptons et prenons des décisions en conséquence. Ce plafonnement, c’est à nouveau vouloir faire une normalisation de tous, comme le Décret inscription. Ce décret a retiré la mixité chez moi ! Avant, des élèves venaient des communes plus lointaines pour notre section art, maintenant, ils n’essayent même pas, car ils savent qu’ils n’obtiendront pas de place ! »

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