Vie pratique

Lieux de rencontre enfants et parents : une échappée belle du huis clos familial

À L'antre du jeu, à Marcinelle, parents, grands-parents, enfants et accueillantes jouent ensemble

Nés dans les années 80, dans la mouvance des maisons vertes créées par Françoise Dolto en France, les lieux de rencontre enfants et parents ont essaimé partout à Bruxelles et en Wallonie. Aujourd’hui, l’ONE en recense près de deux cents.

Qu’est-ce qui caractérise les 191 lieux de rencontre enfants et parents disséminés à Bruxelles et en Wallonie ? En quoi sont-ils importants dans l’offre de services en soutien à la parentalité ? Voilà un bon point de départ pour bien comprendre leur action au quotidien.
« Un accueil au Parle-Jeu, c’est une page blanche, quelque chose qui va s’écrire. On part du principe que dans l’informel, dans l’accueil de l’ici et maintenant, sans jugement, des choses émergent ». En quelques phrases, Claire Delforge a résumé l’essence du Parle-Jeu, lieu de rencontre enfants et parents qu’elle coordonne à Ottignies.
« Certains se revendiquent encore ‘maisons vertes’ et pratiquent un accueil davantage tourné vers le psychanalytique, d’autres ont créé des dispositifs différents en fonction de la formation des accueillantes, du lieu où ils sont implantés ou encore des besoins de leur public », explique Antoine Borighem, gestionnaire de projets à la cellule de Soutien à la parentalité de l’ONE. Si les réalités diffèrent d’un lieu à l’autre, tous partagent l’accueil à trois niveaux : l’accueil de l’enfant, du parent et de la relation enfant-parent.
Pour aller plus loin sur la question de la place et de la spécificité de ces lieux de rencontre enfants et parents, on se tourne vers celles qui font vivre ces espaces si importants : leurs accueillantes.

Un service de prévention précoce

Nathalie Walraet, directrice du Winnie Kot, implanté à Saint-Josse, pose les bases de la réflexion avec pertinence. « Où un parent isolé, dont l’enfant ne fréquente pas de crèche, peut-il se rendre pour questionner sa parentalité ? On vit dans une société de plus en plus individualiste, les parents sont éjectés de l’hôpital après quarante-huit heures, certaines familles se retrouvent complètement repliées sur elles-mêmes ».
Après l’accouchement, les parents peuvent se retrouver très seuls. Et particulièrement les mamans, isolées entre leurs quatre murs, noyées sous les mannes de linge, prises par les contraintes du quotidien, coincées entre les siestes et les repas du bébé. En quelques traits, ce tableau parlera à plus d’une.
« On est avant tout un lieu de prévention où parents et enfants peuvent se rencontrer », amorce Muriel Simonon, accueillante aux Marmotins, du côté de Schaerbeek. « Pour moi, on est un service de prévention très important qui permet à chacun d’être soutenu dans sa parentalité », ajoute Teresa Zidda, accueillante à l’Antre du jeu de Marcinelle.
Dans ces lieux, nul besoin de montrer patte blanche, l’accueil y est inconditionnel. Que le parent dispose de papiers ou non, qu’il soit affilié à une mutuelle ou pas, il est le bienvenu.
« Ça fait tomber les barrières et les clivages. Notre lieu, c’est un lieu d’ouverture, une maison à taille humaine où les enfants peuvent jouer en sécurité sous le regard de leur parent. Ici, on peut prendre le temps avec son enfant, c’est un lieu d’attache », explique Teresa Zidda. « Les lieux de rencontre enfants et parents visent à soutenir la relation enfant-parent, permettre au parent de venir souffler et oser dire ‘J’en peux plus’ », explique Antoine Borighem.
Un lieu pour se poser. Pour souffler. Pour se raconter. Pour tendre l’oreille. Pour échanger. Pour rencontrer. Une échappée belle du huis clos de certaines familles. Pour que la rencontre se produise, les accueillantes sont là. Gardiennes du contact, tisseuses de liens, facilitatrices de vie.
« L’accueil, c’est un peu comme une danse. Parfois, on est tout proche quand on sent que le parent a besoin d’échanger, d’être écouté. D’autrefois, on ressent un besoin d’intimité et de bulle et on recule de quelques pas. On s’ajuste en permanence. »

Jouer, rencontrer, parler

Pour les enfants qui ne fréquentent pas de crèche, les lieux de rencontre font aussi office de lieu de sociabilisation. « Progressivement, l’enfant prend son autonomie par rapport au regard parental. Il explore, apprend à se séparer psychiquement avant de revenir à sa base de sécurité », explique Claire Delforge.

Teresa - Accueillante
« Certains pourraient penser qu’on est juste là, à ne rien faire. Alors que par petites touches, on observe, on est présent, on soutient »
Teresa

Accueillante

Un lieu de rencontre enfants et parents, c’est un espace extérieur à la maison équipé de jeux de toutes sortes. Le côté ludique est au cœur du dispositif d’accueil, comme l’explique Nathalie Walraet. « Dans les années 90, le fonds Houtman a financé une recherche qui a mis en évidence que les parents ne jouaient pas ou peu avec leurs enfants. C’est encore plus vrai aujourd’hui que les écrans prennent beaucoup de place ».
Le langage est un autre élément phare dans ces structures. « Verbaliser ce qui se passe, s’adresser à l’enfant, nommer les choses, c’est autant de manières de soutenir l’enfant dans l’acquisition du langage », précise-t-on au Parle-jeu (Ottignies).

Un accueil gratuit, anonyme et non jugeant

Pour Estelle Dobremetz, accueillante à l’Antre du jeu (Marcinelle), la gratuité est un point essentiel du dispositif. « Le fait que ce soit gratuit rend le lieu accessible à toutes les familles. C’est rare des espaces avec des publics aussi mélangés ». Un petit miracle dont s’émerveille aussi Valérie Beghain, fondatrice du Babibar à Liège. « En ville, telle femme n’aurait jamais échangé avec telle autre. Au Babibar, les barrières tombent ».
Autre spécificité de l’accueil : l’anonymat. Seul le prénom de l’enfant est demandé à l’arrivée. Pas d’inscription préalable, ni de programme préétabli. Un dispositif léger qui favorise la participation libre et spontanée. « Notre principe, c’est la qualité. Le parent et l’enfant sont là l’un pour l’autre dans un moment de partage, complète Muriel Simonon. Ici, on est dans l’être, pas dans le faire ».
Le non jugement est une autre caractéristique de ces lieux d’accueil. « Les parents apprécient beaucoup de se retrouver dans un endroit où ils ne sont pas jugés par des professionnel·les, les échanges en sont plus spontanés et vrais », confie Marie-Dominique Marinx qui coordonne les bébés-rencontre de Godinne depuis plus de trente ans.
Un point confirmé par Claire Delforge. Elle complète le propos par une remarque pleine de justesse : « C’est une démarche très différente que celle de consulter. Ici, on se situe en amont, sans stigmatisation du parent ».
On passe de la théorie à la pratique avec un papa venu avec son petit garçon de 2 ans et 4 mois. Lors de la première visite, le papa semble peu à l’aise, persuadé que son fils a des problèmes de compréhension. La semaine suivante, il réitère pourtant l’expérience. Ce jour-là, une maman joue dans la cour avec son enfant…
« L’enfant a d’abord observé, explique Estelle Dobremetz, puis il s’est mis à mimer une scène de repas aux côtés du duo. J’ai vraiment vu ce père reprendre confiance dans les capacités de son enfant, se rassurer sur le fait qu’il était capable de jouer avec d’autres alors qu’une semaine plus tôt, il le pensait inadapté à l’école. »

POUR ALLER + LOIN

Être ou devenir père, ça se soutient

Les entretiens réalisés avec les accueillantes ont mis en avant le fait que les pères étaient peu présents dans les lieux de rencontre enfants-parents. L’ONE Academy a mené une recherche à ce sujet en collaboration avec des chercheurs et chercheuses issu·es de plusieurs universités et des professionnel·les de l’accueil.
« Dans un premier temps, nous avons entrepris un travail d’objectivation qui a permis de nuancer le constat. Il a été mis en avant que les pères étaient plus présents qu’on ne le pensait, mais que leur présence était invisibilisée ou sous-estimée », explique Christophe Genette, membre de l’équipe de recherche à l’ULiège. « Le père était davantage perçu comme un accompagnateur, complète Antoine Borighem de l’ONE. La réflexion sur les pratiques a également mis en avant le fait que l’accueil était très centré sur la mère et l’enfant ».
Deux pistes d’amélioration ont été identifiées. D’une part, le fait de communiquer de manière plus inclusive. Que ce soit dans le choix des photos, le nom des lieux ou la manière de diffuser l’information, les pères doivent sentir que les messages s’adressent aussi à eux. Ensuite, le fait d’avoir des hommes dans les équipes d’accueil pourrait aussi faciliter la participation des pères.
À lire, le bilan partagé de la recherche Être et devenir un père, ça se soutient... Quelles implications pour les acteurs de première ligne ? » de l’ONE Academy.

EN SAVOIR +

Trouver un lieu de rencontre près de chez vous : cartographie.yapaka.be