Développement de l'enfant

Les livres, le théâtre, l’art, c’est bon pour les petits ! On en est convaincu. Comme le sont les parents et les pros qui s’expriment dans ces pages. Éveiller les petits à la culture, c’est prendre en compte leur curiosité naturelle, c’est réveiller tous leurs sens, susciter chez eux des émotions en écho à ce qu’ils vivent, nourrir leur imaginaire. C’est du plaisir partagé.
Peut-être qu’assister à un spectacle ou visiter un musée avec votre grand bébé constituent pour vous des défis, bien plus que plonger avec lui dans un livre… Alors, pourquoi et comment les relever ? Voici des pistes, de passionnés toujours, pour vous, même si, comme adultes, vous n’êtes pas des dévoreurs de livres, des mordus de théâtre ou des familiers des musées. Et d’une discipline à l’autre, souvent, ces pistes se valent.
L’histoire du soir : incontournable
Votre loulou adore les livres ? Et vous, vous adorez ces instants complices où il vous réclame une histoire ? Sûr qu’il fait bien la différence entre la langue factuelle, qui accompagne vos faits et gestes du quotidien (« On mange », « Tu vas prendre ton bain »…), et la langue du récit, celle des livres, des comptines, des chansons. « Une langue qui coule comme du miel, une langue pour construire du sens par rapport à ce qu’on vit, pour nourrir son imaginaire », dit Michèle Lateur, ancienne responsable de la sélection du Prix Bernard Versele à la Ligue des familles. Laquelle aime à rappeler les maîtres atouts de la littérature jeunesse : « Quand l’enfant nomme ce qui a disparu, ce qui est absent – "A pu" (il n’y a plus), "Pati papa" (parti papa) –, c’est quelque part pour les faire exister. La littérature fait exactement la même chose. Et, par là, elle sécurise. » D’une lecture à l’autre du même livre, votre petit retrouve en effet les mêmes mots, les mêmes images : il est sécurisé par cette permanence. « L’enfant vit toutes sortes d’angoisses et les livres l’aident à les apprivoiser, poursuit Michèle Lateur. En lui lisant un livre, l’adulte bienveillant lui reconnaît qu’il vit des expériences difficiles et il lui dit en même temps : "Tu n’es pas seul à les vivre, c’est normal de les vivre." Si l’enfant se sent ainsi reconnu, s’il peut se dire : "Le petit héros que j’aime bien vit la même chose que moi", il va pouvoir prendre un peu de hauteur par rapport à son vécu et cela va le rassurer. » D’où l’importance du tendre rituel de l’histoire avant le coucher. « Parce que, là, l’enfant doit gérer la séparation, seul dans le noir. Si le parent lui raconte une histoire qu’il aime et connaît, il est capable, avec sa mémoire phénoménale, de la reproduire à volonté dans sa tête, une fois l’adulte parti. » Mais il n’y a pas que les histoires au bord du lit, bien sûr ! « Il faudrait que les livres soient tout le temps accessibles au petit enfant, à portée de main. »
N’attendez pas que votre petit rencontre des situations particulières (comme l’arrivée d’un bébé) pour lui proposer des livres qui en parlent : les lui proposer d’emblée lui permettra d’y revenir quand il en aura besoin. Par petit héros interposé, il peut par ailleurs vivre dans son imaginaire tous ses désirs, même ceux impossibles à réaliser dans la vraie vie (comme jeter son petit frère ou sa petite sœur dans une poubelle !). Et puis, les auteurs et illustrateurs de ses livres lui donnent leurs représentations du monde, et ça, ça l’aide à construire sa propre vision du monde, ça enrichit son imaginaire.
Bon à savoir : les petits de 2 ans et plus aiment tout particulièrement les albums avec des rabats à soulever, grâce auxquels ils jouent à faire apparaître et disparaître des éléments. Ils aiment les récits construits sous la forme d’une randonnée au cours de laquelle un personnage fait des rencontres, les récits misant sur l’accumulation de choses au fil des pages et les récits en boucle qui peuvent ne jamais s’arrêter. Ils aiment les livres avec de l’humour. Les livres mettant en scène un même héros : c’est sécurisant. Et, bien sûr, les livres de qualité.
Au théâtre avec votre petit : une expérience totale !
Aller au théâtre avec votre petit, c’est vous offrir, à lui et à vous, une expérience particulière, unique, vous diront les parents qui l’ont tentée. Et celle-ci débute dès l’entrée dans le théâtre, soulignent Cali Kroonen et Julie Gits, respectivement directrice et responsable « petite enfance » de La montagne magique, maison bruxelloise dédiée aux spectacles pour le jeune public. Dès l’entrée, les bambins, pris entre curiosité et peur, sont en mode « découverte ». « Le théâtre est le lieu du langage symbolique », dit encore Cali Kroonen. Les artistes sur scène font-ils autre chose que les enfants dans leurs jeux symboliques ? Le spectacle (court) ne raconte pas une histoire, avec un début, un développement et une fin. « On est plus dans des fragments, et plus encore dans l’instant », explique Cali Kroonen. En jeu : des sons, de la musique, des lumières, des matières, des mouvements… « Les petits vivent le spectacle avec tout leur corps. Et chacun, à travers les sensations qu’il ressent, va éprouver des émotions qui lui sont propres. Chacun va faire son chemin à sa façon. » Les enfants sont sur les genoux d’un parent (ou grand-parent) ou collés à lui. Ça rit, ça sursaute, ça flippe… « Le spectacle permet à l’adulte et à l’enfant de partager quelque chose dans un corps-à-corps, confirme Julie Gits. L’enfant vit le spectacle non seulement à travers son corps qui perçoit des choses, mais aussi à travers le corps de l’adulte qui lui transmet une part de ce que lui perçoit. » La connivence est totale.
Il n’est pas rare qu’avant une première expérience théâtrale, les parents se mettent la pression. Ils ont peur que leur enfant ne perturbe le spectacle. Julie Gits : « Les émotions d’un enfant ne sont pas contrôlables, et parfois, cela ne se passe pas bien. Ce n’est pas grave : il est important qu’il puisse l’exprimer et sortir de la salle si nécessaire, et que le parent ne se sente pas coupable et ne se dise pas : "Mon enfant ne sait pas se tenir !" » « Qu’il se dise plutôt : "Je vais vivre un moment unique avec mon enfant, tout est mis en place pour qu’on puisse le vivre de la façon la plus détendue possible, et j’en profite." Ce moment compte autant pour lui que pour l’enfant », insiste Cali Kroonen. Souvent, les parents sont émerveillés de voir leur enfant émerveillé. Ils le découvrent sous un nouveau jour. Souvent, les enfants découvrent leur parent autrement.
Les petits enfants constituent un public exigeant. « Il est capital de leur proposer des spectacles qui ont une dimension artistique et esthétique forte, et pas de la sous-qualité, dit Julie Gits. Parce qu’ils vont s’en imbiber et développer leur sens artistique. » « Le plaisir esthétique peut naître dès le plus jeune âge », conclut Cali Kroonen. En Belgique, le théâtre jeune public est très dynamique, avec une offre de grande qualité (adaptée selon les âges). Ce serait dommage de s’en priver…

Une promenade… au musée
Un pas plus loin… Avez-vous déjà franchi la porte d’un musée d’art avec votre « toujours » bébé ? Et si oui, en imaginant que cela puisse l’intéresser ? L’idée vous paraît saugrenue ? Quand on vous sonde, vous privilégiez plutôt une sortie au Muséum des Sciences naturelles (Bruxelles), par exemple. C’est que ses dinosaures légendaires ont peuplé l’enfance de tant de jeunes parents…
Et pourtant, une visite dans un musée d’art avec un petit bout, c’est comme une promenade dans la nature. Pour le plaisir. Tout simplement… « On est réceptif aux œuvres, on se laisse surprendre, on se laisse toucher, on questionne, explicite Isabelle Chavepeyer, psychologue clinicienne et formatrice au FRAJE (Formation et Recherche - Accueil du Jeune Enfant). On peut rester longtemps à un même endroit ou foncer d’un bout à l’autre d’une salle. Un peu comme dans une promenade dans les bois ! » Les petits aiment découvrir le monde qui les entoure et le reconnaître. « Le défi est plus du côté de l’adulte que de l’enfant ! L’enfant va regarder avec la même curiosité la petite coccinelle qui est sur une feuille d’arbre et le point de peinture rouge sur un tableau. Il ne fait pas encore de catégories : ce lieu-ci est pour moi, ce lieu-là ne l’est pas. L’adulte se ferme vite des portes ! »
Comment concevoir une sortie au musée avec votre bambin ? Il n’y a pas de mode d’emploi. Quelques évidences, seulement. Respectez le rythme de votre enfant, et donc évitez une visite quand il est fatigué. Ne lui demandez pas l’impossible – qu’il ne bouge pas et se taise. Ne le sur-stimulez pas en voulant à tout prix tout lui montrer d’un coup, vous reviendrez. Acceptez que son attention ne soit pas la même que la vôtre. Et laissez-vous guider par lui. Mettez-le à hauteur d’œuvre. Ayez confiance en sa capacité de découverte, de perception. Ne vous limitez pas aux œuvres figuratives, réalistes, ou montrant des enfants : « L’enfant n’a pas de tabou. Ce n’est pas parce qu’il est petit qu’il faut réduire la richesse de ce qu’on lui propose. Par contre, si quelque chose est trop étrange pour lui (un masque figé, le bruit d’une soufflerie), cela peut amener de l’insécurité. » Enfin, n’oubliez pas son doudou s’il en a besoin : il sera au musée comme il est dans la vie !
D’une balade à l’autre, dans les villes comme dans les champs, vous aurez l’occasion de croiser – peut-être par hasard – des artistes de rue (musiciens, conteurs…) qui enchanteront toute votre famille. La culture, c’est ça aussi. Profitez-en !
L’AVIS DE L’EXPERTE
La culture, une question de transmission
Isabelle Chavepeyer, psychologue clinicienne et formatrice au FRAJE*
La culture, c’est d’abord une question de transmission et de partage. Il est rare qu’on y accède tout seul. Au départ, quelqu’un nous y amène.
Pourquoi proposer des livres, des spectacles ou des visites au musée à un tout jeune enfant ? Pas pour en faire un petit savant, gavé de connaissances ! Il s’agit de le rencontrer là où il est, en respectant son rythme et en sachant qu’il est d’abord un être de relation – c’est dans la relation avec ses parents (ou ses personnes de confiance) qu’il se construit. Le petit enfant est naturellement curieux et il s’ouvre au monde quand il se sent en sécurité affective. Et là, les adultes autour de lui peuvent aménager ce qu’ils ont envie de lui transmettre, de partager avec lui.
On va au musée avec un petit enfant pour vivre une expérience avec lui, pour partager du plaisir, des émotions, pour se relier : chacun se relie à l’œuvre, on se relie l’un à l’autre, et chacun à l’intérieur de soi se relie à ses émotions. Cela se passe ainsi chaque fois qu’on est en contact avec une œuvre qui nous touche, qu’elle soit plastique, littéraire, théâtrale ou musicale.
Quand un parent voit à quel point son enfant peut être intéressé par une œuvre, souvent, cela change le regard qu’il porte sur lui. Et cela vient renforcer leur attachement.
* Formation et Recherche - Accueil du Jeune Enfant.
LES PARENTS EN PARLENT…
Des découvertes… toutes naturelles
« Théo commence à bien connaître ses livres. Quand il va en chercher un, ce n’est plus par hasard : il sait que l’histoire va l’intéresser. Il est aussi plus actif dans la lecture : il reconnaît le petit héros, pose des questions… Et puis, maintenant, il y a l’histoire du soir, bien installée. Un moment apaisant, le moment ultime de la journée : il choisit une histoire et on la lui raconte. Depuis toujours, Théo a accès à des livres, ce sont des objets familiers pour lui. Sara, sa petite sœur, est dans le même processus. Pour nous, les amener à la culture, c’est naturel. Théo va à un atelier d’éveil musical. Et il a déjà été quatre fois au théâtre ! La première fois, c’était une idée de sa grand-mère, il n’avait pas 1 an. Je n’y croyais pas, j’avoue. On était curieux de voir comment cela allait se passer. Le spectacle était très attractif, Théo était sur mes genoux, complètement fasciné. Les fois suivantes, il en a bien profité aussi. On avait dans la tête l’image d’enfants forcés de rester sagement assis, mais ce n’est pas du tout ça en vrai : ce n’est pas grave s’ils font du bruit, pleurent ou veulent sortir. Théo est dans sa période "trains". On l’a emmené en voir au musée de Mariembourg : il a adoré. Mais comme il a besoin de pouvoir interagir avec les choses, les musées avec des peintures, ce n’est pas pour tout de suite ! »
Mélanie, maman de Théo, 2 ans et demi, et de Sara, 11 mois
Un visage qui en dit long…
« Aller au théâtre avec Sam, c’est une expérience ! Tout est à prendre : l’atmosphère soignée, les lumières et les sons, les effets produits avec les objets… Tout est beau. On passe dans un autre monde, et Sam le goûte à fond. On vit quelque chose dans la proximité. Sam est sur mes genoux, il se lève, s’approche de la scène, revient vers moi… On se chuchote des choses à l’oreille. C’est très émouvant de le voir avec cette espèce d’avidité sur le visage pour ne pas en perdre une miette. Il en profite. Et moi aussi. »
Blaise, papa de Sam, 28 mois
EN PRATIQUE
Côté livres
- Question choix, n’hésitez pas à demander conseil auprès des libraires et des bibliothécaires spécialisés. De bons titres sur www.liguedesfamilles.be/prix-bernard-versele (la sélection pour les tout-petits dans la bibliothèque idéale du Versele).
- Profitez des heures du conte dans les bibliothèques publiques. Les bébés-rencontres de la Ligue des familles en proposent parfois aussi.
Côté spectacles
Entre autres événements à suivre : le festival « L’art et les tout-petits » de La montagne magique (Bruxelles) en mai-juin ; le festival « Pépites » proposé par le Théâtre de la Guimbarde à Charleroi en mai ; le festival « Turbulences » du Théâtre et du Centre culturel de Namur en automne ; le festival « Babillage » du du Centre culturel de Liège - Les Chiroux en automne. Réservez à temps, les spectacles affichent souvent vite complet !
Côté musées
- Pour rêver une visite au musée avec votre petit, un précieux petit ouvrage : le manifeste Musées d’art. Amis des tout-petits d’Isabelle Chavepeyer et Charlotte Fallon (FRAJE).
- Certains musées et institutions accueillent tout particulièrement les petits en famille. Exemples : le WIELS à Bruxelles avec ses expos d’art contemporain ; le MAC's (Musée des Arts Contemporains) au Grand-Hornu.
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