Loisirs et culture

Ma fille adore la boxe

Elles sont de plus en plus nombreuses à vouloir monter sur le ring. Pour le meilleur, car la boxe est un sport de contact complet qui fait travailler tout le corps et développe réflexes, capacités mentales et émotionnelles. Stratégies, postures, défenses : Yasmina, 16 ans, a été mordue dès le premier essai. Elle raconte comment la boxe thaï est devenue une passion.

Serrés dans la grande salle du Queensberry à Schaerbeek (Bruxelles), ils se font face. Deux par deux, ils appliquent minutieusement les consignes et les exercices rythmés par la danse des pieds nus s’enchaînent sur les tapis. Une majorité de garçons, quelques filles. Les plus jeunes ont environ 10 ans. Soudain, tous se figent, jambes fléchies, le temps d’enregistrer la voix du coach qui fuse, qui répète : « Droite, uppercut du gauche ! ». Et ils s’élancent. Toujours en mouvement, hyper concentrés. Émulation dans la salle : totalement synchrones, ils semblent heureux, ont l’air de bouger sans effort, sans doute le fameux flow…

Rester en mouvement

Cheveux longs relevés en chignon, impeccable en jeans, sac en bandoulière à l’épaule, Yasmina Benali sort de l’école comme n’importe quelle ado de son âge. Impossible de deviner qu’elle pratique la boxe de manière intensive, à part, peut-être, à y bien observer la tranquillité et l’assurance qui se dégagent du haut de son mètre soixante-cinq.
Il faut dire qu’à la maison, tout le monde bouge. « Je faisais du foot. Et puis, il y a un an, ma grande sœur m’a fait découvrir le ring : j’ai accroché dès le premier cours ». Elle se lance à fond dans la boxe thaï. Elle aime transpirer, évoluer, se dépasser. Aujourd’hui, Yasmina est sur le point de participer à son deuxième combat, « Un honneur pour moi, je suis très heureuse de la confiance que m’accorde le coach en me sélectionnant ».
Yasmina parcourt un long trajet pour s’entraîner dans la salle créée à Schaerbeek par Raymond Lutje-Spelberg il y a un quart de siècle, « pour que les jeunes aient un lieu accessible et abordable où pratiquer ». Un club convivial, ouvert à tous, qui entraîne beaucoup de champions, comme Mohamed Kassi, mondialement connu pour son rôle dans le film Kickboxer avec Jean-Claude Van Damme. Il y en a pour tous les goûts : boxe anglaise, kick-boxing, boxe éducative, boxe thaï, sans oublier les adeptes du fitness qui viennent y soulever de la fonte.
« Progressivement, les entraînements sont devenus mixtes et nous avons aussi ouvert un cours uniquement pour les filles », souligne le propriétaire. Yasmina n’a aucun problème à s’entraîner avec les garçons, au contraire, elle dit avoir beaucoup évolué en travaillant avec eux : « Il n’y a pas de prise de tête, on bosse, c’est tout. Au début, j’étais un peu gênée, mais maintenant c’est tranquille, je rigole avec eux, tout se passe bien. J’aime beaucoup l’ambiance du club, le respect, l’ouverture. J’apprécie l’esprit d’équipe, l’entraide. Le coach passe chez chacun, corrige tout le monde, c’est très sérieux. C’est comme une famille ».

Et l’école dans tout ça ?

À l’école, les camarades savent qu’elle pratique la boxe. « Parfois, il y a un peu de stéréotypes, certains pensent qu’on est automatiquement bagarreuse, pourraient se méfier de mes réactions », dit-elle avec un petit haussement d’épaules, car elle n’a pas de temps à consacrer à ce genre de considérations. C’est que pour atteindre ses objectifs, Yasmina s’entraîne presque tous les jours.
Et les cours dans tout ça ? « Il suffit d’appliquer la même persévérance et le même sérieux pour combiner les entraînements et le travail scolaire, c’est tout, assure la jeune fille en surveillant discrètement l’heure, car elle a encore des devoirs à terminer avant de se rendre à la salle. L’année dernière, j’ai très bien réussi, j’ai de bons résultats scolaires ». En fin de compte, l’exigence sur le ring est un adjuvant pour l’école. Les matins où c’est un peu dur, quand l’envie fait défaut, le fait de savoir qu’après, il y a entraînement, ça la rend heureuse, et elle gère : « Je suis fière de mes progrès. Je serai bientôt en compétition, je dois perdre un peu de poids, me préparer, aller m’entraîner, aller à l’école : ça joue ! »
Nordine Hamry, coach au Queensberry, est intransigeant : « L’école passe avant tout. La discipline est primordiale dans ce sport, ainsi que le respect des autres, de soi-même. C’est notre rôle aussi de nous assurer que tout va bien en classe, nous gardons un contact très étroit avec les parents, leur implication est essentielle à la réussite. L’enfant est ainsi mieux encadré : si les parents viennent me parler de difficultés scolaires, de démotivation, je peux agir, car pour venir s’entraîner, il faut bien travailler à l’école. Nous sommes là pour écouter, encourager et accompagner ».

Première mise de gants

Difficile d’objectiver combien la pratique de la boxe féminine augmente en Belgique, par manque de données. À l’ULB, le politologue et sociologue du sport Jean-Michel de Waele atteste de l’intérêt croissant des filles : « C’est ce que l’on constate quand on croise les observations des spécialistes, des coachs, des fournisseurs de matériel, qu’il faut éclairer à la lumière des évolutions sociétales. On observe une sorte de saturation de l’appétence pour certains arts martiaux dont la pratique s’accompagne de côtés ésotériques ou philosophiques, ou demandent une réflexion qui ne convient peut-être pas à tous les publics ».
Autre lecture possible, la dépense physique très importante, idéale pour les jeunes filles qui ont envie de « taper dans le tas », de sortir beaucoup d’énergie. Enfin, boxer, c’est s’imposer sur un terrain considéré jusqu’ici comme masculin par essence : « Pratiquer un sport d’homme, c’est aussi gagner en autonomie, faire avancer les droits des femmes. On peut faire le parallèle avec la montée du football féminin, propose Jean-Michel De Waele. Aujourd’hui, le sport féminin connaît une croissance spectaculaire au niveau mondial, accompagnée d’une plus grande médiatisation ». Pour le sociologue, il est encore trop tôt pour affirmer que c’est l’aspect compétitif qui attire les adolescentes vers ce sport, même si pour certaines, comme Yasmina, le combat fait partie de la pratique.
Mais comment savoir ? Votre ado est plus réservée et préférerait tester le sport avec d’autres filles d’abord ? C’est une bonne idée. Maïté Czupper est médecin et coach. Il y a quinze ans, quand elle a découvert la discipline, il y avait très peu de filles dans les salles, ce n’était pas évident de prendre sa place. Sa première mise de gants a bouleversé sa vie et l’expérience l’a amenée à ouvrir MC Boxing.
« C’est un endroit où je peux transmettre, car ce sport a fait de moi une meilleure personne, une meilleure maman, un meilleur médecin. J’avais envie d’offrir aux femmes la possibilité d’oser, de tester dans un environnement plus sécurisant pour elles. La boxe travaille au niveau cognitif, visuel, exacerbe la rapidité d’esprit, il faut être capable de prendre des décisions rapides. Elle réveille des réactions archaïques et, pour y avoir accès, il faut se sentir à l’aise. Ici, le cadre est beau et confortable, mais nous ne sommes pas un ‘club de gonzesses’ comme certains nous le reprochent. Il est ouvert à tous, il y a aussi des hommes qui s’entraînent. La boxe permet de relier les humains dans le dépassement de soi, elle transcende les origines, les sexes, les milieux ».
MC Boxing accueille de plus en plus de femmes, surtout à partir de 13 ans. Elles étaient 85 % d’adolescentes inscrites la saison dernière, alors que chez les 8-12 ans, elles ne représentaient que 20 %.

Apprendre à se défendre

La pratique de la boxe permet aux jeunes filles de se centrer, d’augmenter leur confiance en soi. C’est une manière de les aider à trouver leur puissance, poursuit Maïté Czupper : « Quand on leur apprend à mettre un jab, on ne fait pas qu’un geste technique. Elles apprennent aussi à dire non, à croire en elles. D’un seul coup, elles peuvent protéger leur intégrité physique, définir des limites. C’est un sport qui bouleverse, qui réveille des émotions. Culturellement, les femmes ont toujours eu du mal à se défendre. Au début, vous verrez, les filles s’excusent quand elles frappent : elles disent pardon quand elles touchent quelqu’un ! ».
Des émotions que Yasmina n’a pas peur d’éprouver, au contraire. Pugnace, elle se définit comme têtue. Un de ses buts ? Devenir pro. « On ne connaît pas le futur, mais j’aimerais représenter la boxe pour mon pays. Au début, je voulais juste m’amuser, me défouler. C’est mon coach qui m’a beaucoup fait évoluer. Je suis heureuse de montrer l’exemple ». Sur son compte Instagram, beaucoup lui demandent conseil, confient leurs doutes, comme la peur d’aller au combat. « Si tu as la hargne, personne ne pourra t’en empêcher ». Yasmina avoue avoir ressenti un grand stress pour son premier combat, mais elle est fière de cette expérience, même si c’est dur d’accepter la défaite. « Attention : on monte seule sur le ring, c’est vrai, mais le soutien est important. Je remercie toujours mes parents, c’est grâce à eux si je pratique autant. Ils m’ont toujours soutenue et encouragée : repas équilibrés, matériel, motivation. Il n’y a qu’une chose que ma maman ne fera jamais, c’est d’assister aux combats ! ».

 


A. K.

 

 

En pratique

3 conseils aux parents

  • Bien choisir son club : « Boxer, c’est mettre des coups. Évitez les clubs dans lesquels tout tourne un peu trop autour de la mise de gants, que ce soit pour les filles ou les garçons ». Maïté Czupper (mcboxing.be)
  • S’assurer que votre enfant aime ce sport. « Je préconise un test. Je sais tout de suite si l’enfant a vraiment envie ou si ce sont les parents qui insistent. Il ne faut jamais forcer, on doit respecter les limites des enfants, surtout pour les ados. Il faut soigner le côté psychologique : ne pas les envoyer au casse-pipe s’ils ne sont pas prêts à combattre. Y aller petit à petit, c’est un sport de contact, certes, mais aussi un sport d’habileté, de technique. J’invite les lectrices et les lecteurs du Ligueur à venir assister à une compétition ! ». Nordine Hamri (queensberry.com)
  • Planifier le travail scolaire : « Parfois, c’est dur, surtout quand il y a beaucoup de travaux à remettre. Mais il y a une règle d’or, c’est l’organisation. Il faut faire des plannings ». Yasmina Benali

Votre fille se lance ?

C’est super. Le muay-thaï est un véritable sport national en Thaïlande, où les enfants sont initiés très jeunes. Poings, pieds, coudes et genoux, tout le corps est engagé et la concentration est de mise. Un sport complet qui augmente la maîtrise de soi. Pour les frérots aussi, bien entendu !

  • À partir de quel âge ? Dès 10 ans pour les petits mordus, les entraînements sont évolutifs.
  • Avec quel matériel ? Se pratique toujours sur tapis, donc pieds nus. Des bandes pour protéger les poignets et les articulations, des gants et des protège-tibias.
  • Que regarder ? Préparez le pop-corn, la soirée télé va être longue. On commence par Million Dollar Baby, de Clint Eastwood, avec une Hilary Swank qui colle des droites comme personne. On poursuit avec un docu édifiant : Mohammed Ali, le plus grand, de William Klein, un regard sur la boxe et le combat pour les droits civiques des Noirs aux États-Unis. Enfin, pour se détendre tout à fait, un petit Kickboxer, un classique avec Jean-Claude Van Damme dans le rôle principal. Vous avez encore du temps ? Alors, direction le théâtre avec vos grands ados et le très bon Je suis un poids plume avec Stéphanie Blanchoud. En fait, libérez tout votre week-end !

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