Crèche et école

Mal-être ou ne pas être, telle est la question estudiantine

Cinq ans après la crise covid, qu’en est-il de la santé mentale de nos jeunes apprenant·es ?

2020, l’année de toutes les crises, a eu au moins ça de bon : mettre en lumière auprès du grand public le mal-être de nos grands enfants, dont celui des étudiant·es. Cinq ans plus tard, qu’en est-il de la santé mentale de nos jeunes apprenant·es ?

Pendant des semaines entières, nous avons essayé de contacter, en vain, divers services d’aide de santé mentale à la jeunesse. Numéros saturés. « Ce n’est pas la bonne période pour joindre du monde », déplore l’accueil téléphonique du Centre de consultations universitaire et pluridisciplinaire (CCUP). On s’enquiert alors du moral de notre chère jeunesse. Silence de notre interlocuteur. « Je dirais que ça ne va pas fort ».

Des étudiant·es de plus en plus pauvres

Dorian est en 1re année de médecine. Nous le rencontrons par hasard dans un colloque. L’étudiant sort du lot, ses interventions sont brillantes, même s’il ne semble pas avoir dormi depuis des semaines. « Je suis au bout de ma life. Je n’ai pas réussi à décrocher de bourses. Je dois bosser pour payer mon kot et bouffer. Chaque heure compte. Je ne sais même pas si je vais pouvoir tenir l’année comme ça. Tant au niveau de l’endurance qu’au niveau financier. C'est tellement dur que je pense me rabattre sur des études moins longues ».
Dorian s’apprête à rentrer en blocus au moment où on le rencontre. Il ne peut s’empêcher de se comparer à ces koteurs et koteuses qui se font chouchouter chez leurs parents pour réviser au vert, sans n’avoir aucun autre tracas que celui d’étudier. Notre jeune batailleur le sait, l’accès aux études pour les gamin·es issu·es de la précarité ne s’améliore pas. Ils et elles sont de plus en plus nombreux et nombreuses à avoir du mal à joindre les deux bouts. Entre 70 et 80 000 étudiant·es seraient en situation de précarité, soit plus de 35% de la population estudiantine.
On pousse la porte d’Infor Jeunes Namur, puis Mons, qui nous répondent d’une seule voix que « un jeune qui est en kot a besoin de 10 000€ par an pour vivre. Un étudiant navetteur a besoin de 4 000€ ». Pour la Fédération des étudiants francophones (FEF), ce double fardeau, entre travail et études, affecte non seulement le bien-être mental, mais aussi la performance académique, aggravant les risques de décrochage universitaire.
Si pour cette population qui doit sauter deux fois plus d’obstacles, c’est très dur, pour d’autres, on n’est jamais vraiment dans l’insouciance pure non plus. D’ailleurs, Florence Vanderstichelen, directrice du service d’aide aux étudiants de l’UCLouvain, nous confirme que les problèmes de santé mentale touchent toutes les strates sociales, tous les horizons.
En cause ? Majoritairement la question des kots ou les problèmes liés à l’orientation, pour Morgane d’Infor Jeunes à Mons. « Le gros de nos demandes : soit des problèmes avec des bailleurs dont les logements sont insalubres ; soit des étudiant·es qui se sentent perdu·es et n’ont pas conscience de la multitude des options qui peuvent les mener à tel ou tel métier. Ils et elles mènent des études pour faire plaisir à la famille et, très vite, plus rien n’a de sens ».
Le passage entre les études secondaires et le supérieur est une traversée à laquelle nos enfants ne sont pas toujours bien préparés.

Te voilà adulte, mon enfant

Lucie, en dépit d’un visage lumineux, arbore un air marqué par la mélancolie. Comme si l’enfance l’avait quittée pour laisser place à la tristesse. Ses études se passent mal. Après deux premières années de socio-anthropologie ratées, elle repart à zéro dans une haute école en sciences humaines.
« Je suis passée à chaque fois à pas grand-chose des soixante crédits pour valider ma 1re année. Ce n’est pas la matière, c’est le fonctionnement universitaire qui ne me parle pas. Dès le début, j’ai l’impression que tout le monde en comprend les rouages, la façon d’y circuler, le jargon, les fêtes, les rumeurs… Je suis arrivée sans ami·es, sans connaître la ville, ni les lieux où rencontrer du monde. Je débarquais sur une nouvelle planète. J’ai passé les premiers mois à réviser et à regarder des séries dans ma chambre minuscule, je ne me suis jamais sentie aussi seule de ma vie. »

Lucie - Étudiante
« J’ai passé les premiers mois à réviser et à regarder des séries dans ma chambre minuscule, je ne me suis jamais sentie aussi seule de ma vie »
Lucie

Étudiante

Dylan Dewez d’Infor Jeunes à Namur ne connaît que trop bien ce type de vécu. « Dans le supérieur, les jeunes se retrouvent plongé·es dans des pratiques d’enseignement très différentes de ce qu’ils ou elles ont connu, explique-t-il. Des amphis avec deux cents personnes, pas ou peu d’interaction avec les profs, différents niveaux de méthodes… c’est très dur ».
Les étudiant·es n’ont pas arrêté de nous le répéter : la première année, on se prend un mur. Réussite, intégration sociale, financement, logement, les freins à la bonne santé mentale sont nombreux. Tout ça dans un contexte mondial minant, déplorent Dorian et Lucie. « Une des rares fêtes à laquelle j’ai assisté, c’était dans un squat habité en partie par des familles soudanaises. Une radio organisait une soirée pour soutenir ces exilé·es politiques. Nous étions en plein hiver, c’était indécent de voir ces étudiant·es, privilégié·es pour la plupart, traiter avec autant de condescendance cette communauté qui fuyait un génocide dont peu de personnes se préoccupent. Difficile de se projeter dans ce monde de plus en plus injuste ».
Dylan Dewez déplore que les jeunes soient si peu soutenu·es. « Il n’existe aucune aide structurelle qui permet de les soutenir psychologiquement. C’est comme si on leur disait : ‘Tu es majeur·e, donc on considère que tu dois t’en tirer comme un adulte’ ».
Bien heureusement, fort du signal d’alarme lancé en 2020, la question de la santé mentale est sous le feu des projecteurs. En découle un lot d’initiatives, qu’on vous présente.

L’après 2020

On retrouve Florence Vanderstichelen, rassurée que la question de la santé mentale ait infusé dans toutes les strates de la population, y compris chez les étudiant·es, bien plus alertes qu’il y a cinq ans. « Ils et elles consultent beaucoup plus, c’est rentré dans les habitudes ». Sur les campus de l’UCLouvain, par exemple, on ne compte pas loin d’une centaine de consultations psy par an.
Il faut dire que sur ses différents sites, l’université a eu la bonne idée de proposer des points psys. Tous les jours, une permanence est ouverte, sans rendez-vous. En cas de trop forte affluence, l’étudiant·e sera accueilli·e dès le lendemain en priorité. « Ce ne sont pas des séances de consultation, précise la directrice, mais l’occasion de faire le point sur sa propre situation et de mesurer l’ampleur de la problématique. Puis, pour nous, de diriger les jeunes vers des réseaux de partenaires conventionnés psy 107, donc gratuits ». Objectif, faciliter l’accès aux soins de santé.
Autre initiative, celle des Sentinelles, depuis 2021. Aujourd’hui rebaptisé social buddies, le principe reste le même, centré sur la question de la santé mentale et de l’intégration sociale. L’idée consiste à mettre en place un principe de parrainage psychologique. La mission de ces social buddies repose sur une écoute bienveillante et, le cas échéant, d’orienter vers des professionnel·les. Les jeunes bénéficient d’une formation afin de pouvoir offrir une guidance de qualité.
Autre faculté, autre idée. À l’UNamur, des travaux pratiques (TP) sont consacrés à la question de la santé mentale. Conscient·es du mal-être accru qui s’est intensifié avec la coronacrise, les enseignant·es ont suggéré de mettre en place une activité de quinze heures portant sur le bien-être. On y vise une démarche préventive et on y refile des outils pour entretenir le bien-être mental, social et physique des jeunes.

ZOOM

La faute aux parents ?

Les parents ne prépareraient pas assez les enfants à la grande compétition et à la dureté estudiantines, nous a-t-on dit. Ils seraient synonymes de pression et pousseraient l’enfant à faire des études qui ne font pas toujours sens pour lui. S’il va mal, rappelons aussi l’importance de se faire aider. Le rôle, ici, est de parler le plus possible, d’écouter sans prescrire. Le parent n’est pas un professionnel de santé mental. Et ce n’est pas à lui non plus d’entreprendre les démarches pour que son enfant se fasse aider, comme certains campus le voient parfois. Ne pas hésiter à l’orienter vers aides-etudes.cfwb.be, inforjeunes.be ou les AMO (aidealajeunesse.cfwb.be). En trois mots : juste distance, écoute et infos.

BON À SAVOIR

Travailler moins pour étudier plus

Du bon et du moins bon pour les jobistes. À partir du 1er janvier 2025, un·e étudiant·e ne peut plus travailler que 475 heures par an contre 600 heures auparavant. Ils et elles perdent donc la possibilité de gagner plus d’argent. Peut-être que les campus vont s’inspirer de l’UCLouvain Saint-Louis Bruxelles qui propose une nouvelle aide financière inédite : l’allocation job, qui permet aux étudiant·es jobistes de faire une pause dans leur boulot pour se consacrer à leur blocus.