Développement de l'enfant

« Maman, il me faut une paire d’AdidaNike© »

On fait le bilan de la garde-robe de nos ados après un premier trimestre en secondaire. Transformation totale. Adieu, joli pull en laine rose tricoté par tante Mireille, place à l’uniforme imposé par la cour de récré et son univers impitoyable. Est-ce que tout cela fait partie du processus de construction identitaire ? On pose la question à Alexandra Balikdjian, psychologue de la consommation à l’ULB.

Uniforme. Il n’y a pas d’autres mots. Pour qui s’est rendu dans un établissement de secondaire, le constat s'est imposé : incroyable de voir le mimétisme vestimentaire dont nos ados font preuve. Sweat avec logo d’une université américaine, jean flare (de la famille du patte d’éph’, oui, il revient…) et baskets avec une grosse virgule dessus. Ou la version sweat kangourou zipette, pantalon cargo ou baggy. Peu importe la composition, vous l’aurez compris, l’idée consiste à montrer son appartenance à un groupe. Se fondre. Faire grappe. Le sport préféré de nos ados. Que fait le parent dans tout ça ? Il aide à peaufiner ?

La garde-robe et l’adolescence, quelle affaire. Pouvez-vous nous aider à décrypter ce qu’il se passe dans la tête de nos ados ?
Alexandra Balikdjian :
« L’adolescence est un moment de vie tout à fait particulier. Un temps de transition, de passage. En secondaire, on rentre dans l’adolescence de façon forcée, quelque part. On fonce dedans. Les copains, les copines, toutes et tous sont différent·es de tout ce que l’on avait connu en primaire. On y fait de nouvelles rencontres. Fini, la période facile de l’enfance. Un développement de l’identité propre opère. Le parent là-dedans ? Il patauge complètement, à juste titre, puisqu’il faut suivre la cadence. Jusqu’ici, il pouvait faire porter un peu n’importe quoi à son enfant. Mais d’un coup, le petit chemisier rose, essayer de le faire enfiler à son enfant, il ou elle risque de vous mordre. Et on le comprend, c’est hyper important. C’est ce que l’on montre à voir. L’impression que l’on donne. »

Les lecteurs et lectrices qui nous lisent connaissent ce concept que vous nous avez fait découvrir, celui de l’adhésion à la norme. Comment ça s’opère ?
A. B. :
« En effet, je tape toujours sur le même clou ! Chez l’ado, il y a quelque chose de propre à l’identité de soi. On va voir ce que le groupe de référence porte et on va se l’approprier. Sacs, smartphones, baskets, marques… autant d’attributs qui aident à appartenir à un groupe. Tout cela les fascine. Mais, paradoxalement, en tant qu’ado, on essaie toujours de se différencier. On cherche malgré tout une petite singularité dans la norme. ‘J’ai très envie d’appartenir au camp des fashionistas. Je vais prendre un peu de leurs attributs, essayer. Puis, à un moment, je vais voir ailleurs’. C’est comme ça qu’on a un gamin ou une gamine qui passe du gothique au rose bonbon dans la journée. »

Et qu’on se retrouve avec des parents qui ne comprennent plus rien…
A. B. :
« Absolument. Mais il faut leur dire aux parents que tout cela, c’est sain. L’enfant expérimente. Il vous rejette. Parfois en bloc. Vous ne comprenez rien. Mais quoi qu’il en soit, il entend tout de même vos remarques. Il est dans un balancier qui oscille entre sa quête de singularité et son socle éducatif, vous, ses parents. Le mieux, c’est d’accompagner tout cela. Si ça permet d’appartenir à un groupe, de se sentir bien, pourquoi pas ? L’idée, c’est de toujours questionner. Permettre à l’enfant de trier ce qui est de l’ordre de l’être ou de l’avoir. C’est toujours important à rappeler. Expliquer qu’on vit dans une société ou ‘avoir’ a beaucoup de sens. Mais que ça a ses limites. Et que le plus important, c’est d’oser devenir qui ils sont. »

Le règne des images à penser

On a le sentiment que les marques ont aujourd’hui moins d’importance que le style, vous confirmez ?
A. B. :
« C’est en effet une des conséquences liées à l’imprégnation des réseaux sociaux. Beaucoup d’Insta, de Pinterest et compagnie. Aller en friperie, aujourd’hui, c’est cool, alors que c’était ringard il y a dix ans. C’est la conséquence de beaucoup de ces ‘images à penser’ qui ont aujourd’hui un impact plus important qu’un slogan venu direct de la marque. On le doit beaucoup aux influenceurs et influenceuses. Le message adressé aux ados passe par d’autres filtres, mais ça reste un code dicté à des fins commerciales. Il passe par le prisme des réseaux sociaux.
Les ados se sentent proches de tel youtubeur ou telle youtubeuse qui présente, par exemple, un gloss rose bonbon. Eh bien, on va y être plus sensible que si c’était une grande marque de luxe qui le présentait dans une pub. C’est un vrai mécanisme d’identification ou de rejet à un univers virtuel. Le problème, c’est que tout cela contribue à des achats compulsifs pour combler des émotions pas toujours remplies. L’insatisfaction, quelle qu’elle soit, se rééquilibre par une accumulation des achats. Le registre émotionnel pour le vendre est très impactant, très pernicieux. Et là on ne parle que de fringues ou d’accessoires. Quand la même mécanique opère sur le physique avec moult filtres qui font une peau de biche ou une taille de guêpe, là, l’identification me semble plus grave. »

« L’idée, c’est d’accompagner son jeune dans son raisonnement. De le faire cheminer par lui-même »
Alexandra Balikdjian

Psychologue de la consommation à l’ULB

Comment le parent intervient ?
A. B. :
« Ça me semble pas mal d’essayer de déconstruire. Jouer avec les filtres. ‘Regarde, moi aussi, je suis une super biche avec ce filtre’. Éclairer le discours en remettant les procédés en question. ‘Nos photos de vacances ne sont pas super instagramables, pas vrai. Regarde, si j’y ajoute cette lumière, ce filtre, on s’en approche‘. L’idée, c’est d’accompagner son jeune dans son raisonnement. De le faire cheminer par lui-même. Comprendre par quoi passe la réification de son statut (ndlr : Transformation effective d'un rapport social, d'une relation humaine en ‘chose’, c'est-à-dire en système apparemment indépendant de ceux pour lesquels ce processus s'est effectué, selon la définition du Larousse). Éventuellement lui permettre d’accéder à cela, sans asséner, mais en guidant. C’est ça, le métier de parent. Être sans cesse à côté. Accompagner, éduquer et toujours comprendre ce qu’il y a derrière ».

Ce que traversent nos ados avec cette omniprésence d’hameçonnage sous différentes formes via les réseaux sociaux, est-ce comparable avec ce que les parents ont connu dans les années 80/90 au moment de leur propre adolescence ?
A. B. :
« On a toutes et tous traversé ça, oui. Ce n’est pas pire ou moins bien aujourd’hui. Seulement, la différence notable, c’est que le monde dans lequel les ados grandissent aujourd’hui se fait avec des images de plus en plus habiles. Ils et elles sont immergé·es là-dedans et les frontières sont ténues. L’objectif vers lequel il faut les orienter, c’est de déjouer les codes. Garder ceux qui nous correspondent, apprendre à rejeter les autres. C’est ça qui à un moment finit par forger l’identité ».

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