Société

Mehdi Kassou : optimiste à long terme

Le directeur de la Plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés est également papa et papa d’accueil, en garde alternée, d’un ancien mineur étranger non accompagné.

Été 2015. Des centaines de personnes poussées sur les routes de l’exil campent dans le quartier Nord de Bruxelles en attente d’un accueil, et un élan de solidarité s’organise autour d’elles. Parmi celles et ceux qui répondent à l’appel figure Mehdi Kassou, un jeune trentenaire accompagné de son fils de 3 ans qui arrive les bras chargés de tentes et de matériel de puériculture à donner.
Neuf ans plus tard, il nous reçoit dans les bureaux de la Plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés, dont il est devenu le directeur. Et raconte, après nous avoir servi un café : « Je suis issu d’un milieu ouvrier. Mon enfance a été marquée par la fermeture des forges de Clabecq. Étant belgo-marocain, ayant grandi dans une cité, je pensais que l’injustice sociale s’arrêtait à ce que j’avais connu ».
Mais ce qu’il a découvert au « camp Maximilien » l’a convaincu du contraire. « Le premier jour, je me suis effondré face à une violence qu’on imagine impossible en Belgique. Puis, je me suis rendu compte que c’était un problème systémique et qu’on était un paquet, dans mon entourage, mes collègues, partout où j’en parlais, à s’indigner et à se demander ce qu’on pouvait bien faire ». C’est ainsi que, petit à petit, la Plateforme s’est structurée. Et que l’engagement de Mehdi Kassou est devenu son métier.

Frangins d’accueil

Lorsqu’en 2016, la Plateforme citoyenne s’est mise à coordonner l’hébergement de personnes migrantes dans des milliers de familles solidaires*, Mehdi Kassou était en première ligne tous les soirs. Et lui aussi a ouvert sa porte. « Comme je suis séparé de la maman de mon fils, explique-t-il, je proposais aux invités d’occuper la chambre du petit quand il n’était pas là ». Jusqu’au jour où…
« Au cours d’une de nos maraudes, fin 2016, il devait y avoir 200 ou 300 personnes qui dormaient dans les couloirs et aux alentours de la gare du Nord. Dans cette masse d’adultes, j’ai repéré un gamin de 13 ans. Un jeune Érythréen, seul. Je l’ai tout de suite sorti de là, en lui disant qu’on allait essayer de lui trouver une solution, et il a passé le week-end avec mon fils et moi. »
Le dimanche, avant que le petit reparte avec sa mère, la famille a pour tradition de partager un repas ensemble. Et ce soir-là, les parents ont eu une idée inédite : « On s’est proposé d’accueillir cet enfant sur le même modèle qu’on avait avec notre fils. On a donc fait les démarches pour être famille d’accueil de mineur étranger non accompagné (MENA). C’était inédit parce qu’a priori, les familles d’accueil sont plutôt des familles traditionnelles ».

« On peut être hospitalier, quelles que soient les configurations familiales »

Malgré quelques obstacles, ils finissent par obtenir le droit d’accueillir l’ado en suivant leur rythme de garde alternée : « Là, il entame ses études supérieures. Mais il a passé ces dernières années avec nous. Avec mon fils, ils sont frangins ». Cette démarche, rendue possible parce que la mère de son fils et lui « partagent toute une série de valeurs », prouve selon lui « qu’on peut être hospitalier, quelles que soient les configurations familiales ».

La métaphore des jeux vidéo

« Je ne fais jamais ça, tenir les murs, plaisante Mehdi Kassou en prenant la pose à notre demande, pour la photo ci-contre. Mon père appelle ça le ‘hitisme’, parce que ‘hit’ veut dire ‘mur’ en arabe ». C'est qu'il n’est pas du genre à rester sans rien faire. La Plateforme citoyenne, devenue l’asbl BelRefugees, emploie aujourd’hui 220 salariéꞏes, en plus des bénévoles, et dispose de 1 300 lits dans des petites et grosses structures d’hébergement collectif, à Bruxelles et en Wallonie. Chaque jour, 150 à 200 personnes sont hébergées chez des citoyen·nes, ajoute-t-il. L’association propose également un service d’information sociale, administrative et juridique, un service d’aide matérielle et une école de langues. Sans oublier le travail politique et de sensibilisation…
Comment parle-t-il avec son fils, qui a aujourd’hui 12 ans, de cet engagement très prenant ? « Quand il me voit fatigué, qu’il faut lutter, passer à la télé, manifester… ça peut lui sembler beaucoup. À son âge, il y a des dimanches où il préfèrerait être au parc qu’en manif. Pour qu’il puisse comprendre que par moments – à l’approche des élections, par exemple – mon travail s’intensifie, j’emploie des métaphores, comme celle des jeux vidéo : plus on est proche du but, plus les obstacles sont grands et les opposants difficiles ».
Mais à la fin, « a priori, c’est le bien qui triomphe », précise-t-il. Car le papa ne se décourage pas et pense avoir transmis à son fils, fort sensible à l’injustice, « une forme de pessimisme à court terme, mais d’optimisme à long terme ».

*Au total, depuis la création de la Plateforme citoyenne, près de 10 000 foyers ont ouvert leurs portes.

EN PRATIQUE

Comment s’impliquer ?

Son expérience personnelle, tout comme les nombreuses rencontres auxquelles il a assisté dans le cadre de la Plateforme citoyenne, ont convaincu Mehdi Kassou qu’au-delà du défi logistique, l’hébergement citoyen était souvent « ultra bénéfique » pour les familles.
« En tant que parent, il est parfois difficile de verbaliser nos convictions, nos valeurs. Alors on essaye de les incarner. Et des petites actions comme celle-là peuvent apporter des bienfaits sur le très long terme ».
Pour en savoir plus sur les multiples manières de s’impliquer bénévolement au sein de la Plateforme – l’hébergement n’est pas la seule –, des sessions d’information sont organisées chaque mois. Infos sur belrefugees.be ou sur la page Facebook BelRefugees.

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