Développement de l'enfant

Mes parents m’ont fait un enfant dans le dos

L’arrivée d’un bébé peut chambouler totalement la vie familiale, notamment du côté de la fratrie

L’arrivée d’un bébé peut être vécue de manière différente par les parents et la fratrie. Les relations fraternelles sont ambivalentes, faites de joie et de jalousie. Et le parent doit pouvoir l’accepter.

« J’avais 7 ans, ma cadette trois de moins et nous venions de devenir grandes sœurs. Assise dans le salon de mes grands-parents, le téléphone en main, j’accuse le coup. Pour moi, ce n’est pas une bonne nouvelle. Mes parents m’ont trahi. Ils m’ont fait un enfant dans le dos. Enfin, pas vraiment, mais quand même. Pourquoi leur faut-il un autre enfant ? J’ai le sentiment de ne pas suffire à leur bonheur. Ma mère nous invite à rencontrer notre petite sœur. Je sens la colère monter en moi. Je n’ai aucune envie de leur rendre visite et réponds : ’Non, je ne viendrai pas. Tu as ce que tu veux maintenant, tu n’as plus besoin de moi’. »
Depuis, l’eau a coulé sous les ponts, mais le témoignage de Thérèse évoque combien la naissance d’un enfant peut être vécue de manière différente par les parents et la fratrie.

La naissance rebat les cartes

Si la naissance d’un enfant est généralement une magnifique nouvelle côté parent, il n’en va pas nécessairement de même pour la fratrie. L’arrivée d’un nouvel enfant vient bousculer l’équilibre familial. « D’un point de vue systémique, lorsqu’un équilibre est chamboulé, le système, ici la famille, entre en crise », explique Pauline Delannoy, psychologue et doctorante à l’UMONS.
« Une crise dans le sens où la fratrie va expérimenter un changement de places qui va susciter des sentiments. Ces sentiments peuvent être très différents d’un enfant à l’autre. Certains seront ravis, d’autres indifférents, d’autres en souffrance ou plus agressifs », complète Nathalie Ferrard, psychologue spécialisée en périnatalité.
Bien sûr, certains enfants rayonnent en devenant grand frère ou grande sœur, comme Noa, 5 ans. « Elle était super contente et s’est directement montrée très attentionnée et affectueuse envers Lou », se souvient Nathalie, la maman. Maé, 2 ans, cadet de Noa, a réagi différemment. À quelques mois de grossesse, Nathalie le trouve plus éteint, comme s’il avait perdu un peu de sa joie de vivre. Les puéricultrices de la crèche font le même constat. Avec Greg, son mari, ils décident de consulter.

L’arrivée d’un enfant chamboule le système familial, chacun doit alors se faire une nouvelle place, parfois difficilement

« On s’est rendu compte qu’il avait peur de perdre sa place et qu’on l’aime moins. On a été très attentifs ensuite à lui consacrer des moments exclusifs et à lui expliquer que si sa place changeait, il devenait le grand garçon de la famille. Et puis, surtout, que l’amour ne se divise pas, mais se multiplie. » 
Y a-t-il un âge où l’arrivée d’un·e puîné·e serait vécue plus facilement ? Non, répond sans ambages Nathalie Ferrard : « Pour moi, la réaction des aîné·e·s tient plus à la dynamique familiale qu’à leur âge ». Pauline Delannoy ajoute que « plus l’enfant est petit (moins de 2 ans), plus la jalousie ressentie aura un effet structurant en facilitant la différenciation moi-autrui. Au-delà de cet âge, lorsque l’enfant est en train de se définir en tant qu’individu, la jalousie risque d’induire une confusion moi-autrui, entraînant des comportements ambivalents ».

L’ambivalence des relations fraternelles

Un mot est ressorti de tous les entretiens : ambivalence. La naissance d’un bébé pour la fratrie est à la fois source de joie et de peine. Côté pile, la fierté de se hisser au statut de grand·e, d’être l’aîné·e. Côté face, celle de devoir partager l’attention et la disponibilité parentale et, pour l’enfant seul, de perdre son statut d’unique. Amour, jalousie, rivalité, ces émotions sont au cœur des relations fraternelles marquées ainsi par leur caractère ambivalent. Ces émotions sont saines et tout à fait normales.
« Être deux, c’est être différent et sortir de la fusion mère-bébé du début de la vie, explique Nathalie Ferrard. La différence peut faire vivre des désaccords, mais le conflictuel fait partie de la vie. Je vois trop souvent en consultation des adultes en difficulté par rapport au fait d’être dans le conflit. Le parent doit pouvoir admettre qu’une relation est complexe et que l’ambivalence en fait partie. Vouloir que tout soit bon et positif est un leurre. Je me souviens d’une maman qui se cachait de son aîné pour allaiter son cadet pour lui éviter d’avoir de la peine. Ce n’est pas lui rendre service. La socialisation en famille prépare l’enfant à se confronter pour s’affirmer. Dans cet exemple, la maman peut, au contraire, lui proposer de venir près d’elle et expliquer qu’elle l’allaitait aussi quand il était petit. »

Je suis jaloux donc je régresse

En expérimentant la jalousie, l’enfant peut manifester des comportements de régression. « C’est souvent sur le terrain où l’enfant est le plus fragile qu’elle se manifeste », constate Nathalie Ferrard. Quelle qu’en soit la nature ou l’intensité, les régressions signalent que l’enfant est perturbé.
Hélène, maman de Victor et Samuel, 5 et 7 ans, vient d’accoucher de Bastien il y trois mois. « On était tout content que Victor soit propre de jour comme de nuit cet été, mais l’arrivée de Bastien nous a remis dans le bain des cacas intempestifs ». Ce retour en arrière n’est ni conscient, ni volontaire. Bonne nouvelle : les régressions sont transitoires et ne durent généralement qu’un temps ... Si cet état dure et que le parent sent que les choses ne s’arrangent pas avec le temps, il peut être intéressant de consulter.
Certains enfants ne régressent pas et gardent le cap de leurs acquisitions. Mais la naissance d’un nouvel enfant met l’équilibre et les habitudes familiales à l’épreuve et plonge la famille dans un bain d’émotions. Entre joie et excitation de la naissance, carence de sommeil, hormones qui jouent au yoyo, jalousie, le cocktail peut être détonnant !
« Les premiers jours, Victor ne voulait plus aller à l’école. C’était difficile pour lui de nous quitter en sachant que je restais à la maison avec Bastien. Ce qui nous a aidés, ce sont les photos. Nous sommes retombés sur un album de lui bébé et le fait de voir que lui aussi avait été porté en écharpe, allaité, câliné, ça l’a vraiment rassuré. Nous avons aussi expliqué à Victor et à son grand frère pourquoi, en tant que membres de familles nombreuses, nous avions eu envie d’agrandir la famille pour qu’eux aussi puissent profiter de cette richesse des liens fraternels. »

EN PRATIQUE

Les conseils des expertes

  • Éviter les projections : l’arrivée d’un enfant réveille notre propre histoire et la manière dont nous avons vécu notre changement de place. En avoir conscience permet de se dégager de son vécu pour ne pas en être trop imprégné·e. De même, c’est important de ne pas projeter trop d’attentes quant aux émotions et réactions de la fratrie.
  • Accueillir, accepter et accompagner : le plus important, c’est vraiment d’accueillir et de se montrer curieux de la manière dont chaque enfant va aborder cette nouvelle expérience. De lui donner du temps aussi pour s’adapter. Les parents voudraient que tout se passe au mieux, mais l’enfant a le droit d’être jaloux. Le rôle du parent est vraiment de pouvoir accompagner les moments joyeux comme les moments difficiles et de les contenir pour éviter les débordements.
  • Préserver des moments d’exclusivité avec les aîné·e·s : le fait d’avoir un moment exclusif avec chaque enfant lui signale qu’il compte, qu’on lui accorde aussi du temps rien qu’à lui. Ce moment de qualité va remplir son bol affectif et l’aider à se sentir en sécurité.
  • Faciliter l’expression de l’enfant : les livres (voir ci-dessous), la plasticine, le dessin peuvent constituer de bons supports pour permettre à l’enfant d’exprimer ses craintes ou son ressenti.
  • Faire comme on peut et oser demander du relais : le célèbre pédiatre Winnicott parle d’une mère suffisamment bonne. Le parent parfait n’existe pas. En Afrique, un proverbe dit qu’il faut un village pour élever un enfant. Surtout autorisez-vous à demander du relais, même si le Covid limite les possibilités, des aides sont possibles : un·e voisin·e peut assurer une navette vers l’école, un·e ami·e préparer un repas, un grand-parent faire une promenade avec les aîné·e·s…

À LIRE

Des livres pour en parler avec vos enfants…

  • Est-ce que tu m’aimeras encore, Catherine Leblanc et Ève Tharlet (Mijade)
  • Il a tout et moi j’ai rien, Eliette Abécassis et Delphine Garcia (Thomas jeunesse)
  • Vous êtes tous mes préférés, Sam Mc Bratney et Anita Jeram (école des loisirs – Pastel)

ET POUR VOUS

  • Frères et sœurs sans rivalité, Adèle Faber et Elaine Mazlich (Phare)
  • Frères et sœurs, une maladie d’amour, Marcel Rufo (Fayard)
  • Bien comprendre les besoins de votre enfant, Aletha Solter (Jouvence)

ET AUSSI...

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Jalousie, disputes, rivalités, mais aussi soutien, protection, accélérateur d'apprentissages... Les frères et sœurs, c'est tout cela et bien plus encore à découvrir dans notre dossier.. 

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