Développement de l'enfant

Moi, Inaya, 5 ans, je vais faire cadeau de ma tétine à Monsieur saint Nicolas

Je viens d’avoir 5 ans. Je suis une grande fille. Tout le monde me le répète tout le temps. Dans la maison de ma maman. Dans celle de mon papa. Une grande, ça n’a plus de tutte, il paraît. Alors je vais le faire. Cette année, j’arrête la tétine. Pas n’importe comment. Je vais la donner à Monsieur saint Nicolas.

« Une tétine, c’est génial. Les grandes, ils s’en rappellent plus. Mon grand frère. Mes deux grandes sœurs. Je parle même pas de mes parents puisque les tétines n’existaient pas quand ils étaient enfants. Mais une tétine, c’est vraiment génial. Après une dure journée d’école où il a fait tout gris, où la maîtresse s’est fâchée, où Nora a encore été embêtante.... un petit coup de tétine et, hop, tous les soucis s’envolent. Seulement, depuis quelques jours, je vois bien que chez papa et chez maman, il se passe un truc. Tout le monde se penche vers moi, prend sa voix gentille – comme celle pour m’annoncer que Noisette, le lapin de la classe, était décédé ou celle pour dire que papa allait vivre dans une nouvelle maison avec Céline – et m’explique que la tétine ‘Ça fait un peu trop bébé’.

« T’en vois beaucoup des copains et des copines qui ont encore leurs tuttes ? »

Ça a commencé quelques jours après la rentrée. Ma copine Liv s’est moquée à la sortie de l’école. ‘Eh, regardez, Inaya, elle a encore sa tutte’. Ce jour-là, j’ai compris qu’il fallait la jouer discrète. Papa m’avait bien mis en garde. ‘La tutte, c’est seulement à la maison, maintenant. Tu es trop grande pour l’avoir tout le temps dans le bec’. J’aime bien quand papa il dit : ‘le bec’ à la place de la bouche. ‘T’en vois beaucoup des copains et des copines qui ont encore leurs tuttes ?’.
J’en ai discuté à la récré. Émile, il l’a plus, sa tétine. Il les a toutes données à Monsieur saint Nicolas et à son âne. En échange, il fait des encore plus beaux cadeaux. Maman dit que ce n’est pas vrai. Il offre pas plus de gros trucs, il est juste content. Et que si on a fait des petits caprices, comme ça arrive parfois, ça peut être une manière de les effacer. Papa, lui, il dit qu’en effet, saint Nicolas, il est très, très généreux quand on lui donne toutes ses tuttes, qu’il adore ça, même qu’il en raffole et que les tétines, il s’en sert sûrement pour les recycler et en faire des jouets…
C’est pas tout à fait clair, cette histoire. D’ailleurs, papa et maman qui vivent plus ensemble depuis que j’ai 3 ans et demi, quand ils se croisent, ils font des disputes. Maman elle dit : ‘Saint Nicolas, il ne fait pas de chantage. Il encourage, lui. Il ne menace pas’. Alors papa, il lève les yeux et les bras au ciel. Et il dit, comme s’il parlait à quelqu’un là-haut dans les nuages, ‘Mais j’ai jamais dit que saint Nicolas, il menaçait, j’ai juste dit qu’il était si content qu’il offrait encore plus de trucs. C’est pas grave de dire ça, si ?’. Moi, je trouve que si. Ça me fait un peu le trac. Parce que je me dis que si jamais je n’ai pas le courage de lui donner, j’aurai des moins chouettes cadeaux. Et ça, ça me rend quand même un peu triste.

« C’est vraiment un grand, c’est bon, je peux lui donner les Ninjago »

J’en ai reparlé avec Émile. Il dit que le plus important, c’est de montrer à Monsieur saint Nicolas qu’on est des grands et que ça lui fait dire qu’il a bien choisi les jouets qu’il nous offre. Lui, par exemple, il voulait ab-so-lu-ment des Ninjago. Comme il a donné son bocal de tétines à Monsieur saint Nicolas, il s’est dit ‘C’est vraiment un grand. C’est bon. Je peux lui offrir des Ninjago. Et pas des trucs de bébés où il faut mettre des ronds dans des ronds et des carrés dans des carrés, là’. J’aime bien l’explication d’Émile. Parce que c’est sûr que c’est important de donner de bons indices à saint Nicolas. Il ne peut pas connaître tous les enfants. Et s’il arrive dans le salon et qu’il voit une tutte, il peut peut-être se tromper. C’est donc décidé. Je vais lui donner ma collection de tétines. Le problème, c’est que j’en ai beaucoup. Chez maman, plein, plein. Chez papa, encore plus, parce qu’au début, ça me faisait peur d’aller dans sa nouvelle maison sans maman. C’est vrai que ça aide pas mal une tétine, quand même. Je l’ai déjà dit. Une tétine, c’est génial. Pour faire dodo, par exemple. Un dodo sans tétine ? Je vois pas comment c’est possible. J’en ai parlé à maman. Elle m’a dit que je pouvais téter autre chose. Mais quand je l’ai répété à papa, il a encore levé les bras et les yeux au ciel et il s’est remis à parler fort aux gens dans les nuages et il a dit : ‘Mais c’est pas vrai, pourquoi elle te dit ça, ta mère ? On n’arrête pas la tétine pour sucer son pouce, c’est pas possible ça’. Et là, Ilyes, mon grand frère, il a lâché son smartphone pour nous parler – c’est pas arrivé depuis longtemps – et il m’a dit avec sa drôle de voix bizarre qui fait comme un robot déréglé : ‘Moi, quand j’ai arrêté la tétine, Oma (c’est ma mamie), elle me donnait un verre de lait chaud avant d’aller au lit. Et ça marchait trop bien pour m’aider à m’endormir, sinon, je galérais grave’.

« Ah ouais, alors comment tu vas faire ? »

‘Galérer grave’, comme dit Ilyes, ça, je veux pas. Faire des mauvais rêves non plus. Une fois, j’ai perdu ma tétine et j’ai rêvé qu’un monstre m’attrapait par les pieds pour m’amener dans un volcan. J’ai eu trop peur. Ma copine Nora, qui est un peu méchante parfois, mais c’est quand même ma copine, elle dit que j’arriverai jamais à arrêter la tétine. Et que même quand je serai maman, j’en aurai une. Je lui dis que c’est même pas vrai. Mais elle, elle dit ‘si’. Alors, je lui redis : ‘Même pas vrai, d’abord’. Et elle, elle dit : ‘Ah ouais, alors comment tu vas faire ?’. Et là, j’étais bien embêtée parce que c’est vrai que j’y ai pas réfléchi à comment on fait pour donner ses tuttes.
Maman, elle dit qu’il faut mettre toutes les tétines dans une boîte. Et décorer la boîte. Et bien dessiner une belle tétine dessus pour que Monsieur saint Nicolas, il comprenne. Et même lui écrire une lettre pour tout bien lui expliquer. J’aime bien cette idée. Elle fait toujours les meilleurs bricolages, maman. Même papa, il est d’accord : ‘Tu vas dire au revoir à tes tétines. Tu vas les téter une dernière fois. Comme pour leur faire tes adieux. Tu les retireras toi-même de ton bec. Tu les mettras toutes dedans et tu refermeras la boîte. De ton propre chef. Comme une vraie grande’. ‘De ton propre chef’. J’aime bien, quand papa il dit des trucs qui veulent rien dire.
J’ai donc tout prévu. Je sais exactement comment je vais faire. Je vais bien tout installer mes chaussons. Puis je mettrai ma boîte juste à côté. Puis ma lettre. Et juste pile à côté, je mettrai une assiette avec un ‘pesculos’, un verre de lait et une grosse carotte. Comme ça, je suis sûre qu’il verra tout bien, Monsieur saint Nicolas. Je voulais dessiner des flèches à la craie sur le parquet, mais maman elle dit que c’est bon, que le saint, il est magique, donc faut pas non plus trop le prendre pour un nigaud.
Je pense que ça va marcher. Avec papa, on lit plein de livres qui parlent de ça. Tiens, Tétine Man par exemple. Il est trop cool, mais il ne ressemble pas à un grand. On a lu aussi Béa se sépare de sa tétine, c’est une sacrée petite chipie à ne jamais vouloir arrêter, elle. Dans les dessins animés que mes sœurs me montrent sur Youtube, on parle beaucoup d’arrêter de tétouiller. Caillou, Tchoupi, P’tit loup, les Minousses… tout le monde arrête de téter et tout le monde y arrive. Mais moi, si j’y arrive pas, moi ?

« On va te dessiner une tétine sur la main »

Émile, il a réussi à arrêter du premier coup lui. Pourtant, Émile, il fait toujours des bêtises. Si lui y arrive, je peux le faire. J’ai quand même bien le trac. Si je craque ? Si je me réveille dans la nuit, que j’arrive pas à dormir, que je décide d’aller chercher les tétines dans la boîte pour Monsieur saint Nicolas, que je l’ouvre et qu’à ce moment-là, bing, il arrive avec son âne et que là, j’ai la tutte dans le bec - comme dit papa -, mais que je lui dis ‘Non, non, je vous jure Monsieur, je suis en train d’arrêter’ et qu’il me croit pas et qu’il repart sans la boîte, ça voudra dire qu’il faudra que j’attende encore un an ? Ma copine Nora, même si elle est méchante parfois, ça reste quand même une bonne copine, elle me dit que si ça marche pas là, on peut essayer plein d’autres fois dans l’année. Par exemple, je peux aller voir le dentiste qui est copain avec la petite souris. Il paraît qu’avec les lapins de Pâques, ça marche aussi. Ça me rassure un peu.
Maman, elle a eu une super idée. Oui, encore une. Elle m’a dit qu’on allait dessiner mon modèle préféré de tétine sur ma main pour mon premier soir. Et que, ‘esseptionnellement’, j’aurai le droit de dormir avec tous mes doudous. Ils aiment pas, papa et maman, que je dorme avec tous, ils disent que ça met trop de bazar. Papa, comme il sera pas là, puisqu’il sera dans sa maison avec Céline, il va me donner un grand tissu qu’il aura surchargé de bisous. Avec tout ça, j’aurai plein de force. Plein de courage.
Saint-Nicolas, c’est dans quelques dodos. Je suis prête. Je vais y arriver. Et à côté de la tétine que maman va dessiner sur ma main, je rajouterai un petit cœur. Les cœurs, ça on peut les utiliser toute la vie. »

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