Développement de l'enfant

À 8 ans, Antoine a une passion folle pour l’aviation. Compagnies aériennes, types d’avions, il en connaît un sacré rayon pour un enfant de son âge. Mais ses parents s’inquiètent de voir leur fils ne s’intéresser à rien d’autre.
« Depuis qu’Antoine a 4 ans, il n’y a que ça qui compte. Les anniversaires, Saint-Nicolas, les activités extra-scolaires, nos sorties en famille, il ne veut que des choses qui tournent autour de ces satanés avions. Alors, oui, il est impressionnant de connaissances, mais j’avoue que, parfois, ça me fait un peu peur et j’aimerais bien qu’il s’intéresse à autre chose », explique Peggy, sa maman.
Jonathan et les insectes, Lilia et le foot, Yasmina et les bijoux… tous ces enfants de 7 à 10 ans sont monomaniaques, avec comme point commun d’avoir du mal à aller voir ce qu’il se fait ailleurs, jusqu’à parfois se couper un peu des copains et copines. Du côté de leurs parents, là aussi un point commun que certains lâchent du bout des lèvres. On sent une fierté à entendre dire que leurs enfants sont érudits pour leur âge, mais aussi une légère inquiétude, voire chez certains une peur plus affirmée, que leur enfant s’enferme dans un monde sans portes de sortie.
« C’est vrai que c’est un peu dommage comme situation, mais cela s’explique par l’âge de ces enfants, souligne la psychologue Mireille Pauluis. Autour de 7, 8, 9, 10 ans, le cœur des années de primaire, c’est l’âge des collections pas possibles, de la curiosité, de la découverte à outrance. »
Comme leur passion est pour ces enfants un monde quasi infini, ils s’y jettent à corps perdu, avides de tout connaître. Jusqu’à parfois oublier le reste. « Pour les parents, il faut être attentif à l’équilibre de l’enfant. Et la passion peut venir apporter du déséquilibre. Dans cette grande période de construction, un enfant a besoin de beaucoup de choses différentes, que ce soit sur le plan affectif, social ou physique. Il faut un peu de tout pour grandir ».
Toujours ouvrir des portes sur le monde
Comment le parent peut-il alors agir pour que sa fille, son fils reste en contact avec le reste du monde ? Cette question est au cœur des interrogations de celles et ceux qui ont un enfant très, trop passionné. Forcer la main, la jouer copain-copine, laisser faire… les options peuvent être très différentes, mais aussi très difficiles à choisir.
Comme souvent en matière de parentalité, il n’existe pas de recette type ou de solution toute faite, dixit Mireille Pauluis. « En revanche, je pense qu’il y a un point de départ essentiel pour les parents : se laisser prendre au jeu. Qu’est-ce que cela veut dire ? Être avec lui, écouter quand il ou elle parle de sa passion, poser des questions, accepter qu’il ou elle puisse en savoir plus que vous… ».
Autour de la passion d’un enfant, deux notions restent incontournables : le plaisir et le partage
Et puis, il y a le reste du job du parent, celui qui consiste à mettre de l’huile dans les rouages, à recadrer quand c’est nécessaire ou, ici, à élargir le cercle. « Toujours dans cette idée d’équilibre, l’enfant de 7 à 10 ans doit rester curieux de tout, jouer avec des copains ou des copines, se battre avec son frère ou sa sœur. Dans cette optique, le parent va avoir pour mission d’orienter vers autre chose, ce qui peut être fait par petites touches. Antoine adore les avions, très bien. Il veut absolument aller voir un meeting renommé, très bien. C’est là que le parent va intervenir pour ne pas laisser son enfant s’enfermer dans sa passion. Par exemple, en disant : ‘O.K., on va voir ce meeting, mais on emmène avec nous tel copain ou telle copine’. On est là sur une notion très importante dans la vie collective, celle du partage ».
Pour l’enfant, partager sa passion avec les autres peut à la fois permettre de renforcer la confiance en soi, mais aussi de s’ouvrir aux passions de ses ami·es. Pour le parent, partager sa passion avec son fils ou sa fille, c’est transmettre de la curiosité, le plaisir de faire quelque chose ensemble. « Le plaisir, c’est l’autre notion essentielle. Le plaisir ouvre aussi les horizons, parce que c’est une sensation agréable qu’on va aimer retrouver par ailleurs ».
Le partage comme clé
Mourad, papa de Inès, 9 ans, en a fait l’expérience. « Inès a eu une période de trois ans où le seul truc qui l’intéressait, c’était la danse. Elle voulait toujours plus de cours, de stages, de livres. Elle ne regardait que des vidéos de danse sur YouTube. Au début, j’ai trouvé ça assez chouette, cet engouement. Puis, à force, ça me gonflait à un point, vous n’imaginez même pas. Un jour, à la maison, on a vu passer un héron cendré. Comme je suis dingue d’ornithologie, j’ai commencé à expliquer à son petit frère d’où cet oiseau venait, où il nichait, etc. Inès m’a dit qu’elle ne m’avait jamais vu comme ça, qu’elle ne savait pas que je connaissais tant de choses sur les oiseaux. Du coup, elle m’a posé mille questions. Puis on a fait des parallèles avec la danse via Le lac des cygnes. Ce mélange de nos passions, ça a vraiment été marquant. Pour elle, parce qu’elle a vu qu’il n’y avait pas que la danse dans la vie. Pour moi, parce que c’est devenu une porte d’entrée pour discuter de tout et de rien ».
Si cette passion est envahissante dans le cercle familial, elle en sort aussi, notamment pour la pratiquer. On se met donc en selle vers un centre équestre du Brabant wallon pour rencontrer Éloïse, 16 ans, et Olivier, son moniteur. Pour la jeune fille, le cheval est au cœur de sa vie depuis ses 5 ans, elle y consacre aujourd’hui une dizaine d’heures par semaine. Olivier, lui, est un professionnel de l’équitation depuis plus de trente ans.
« Avoir des jeunes fort passionné·es est une constante dans ce métier, explique ce dernier. C’est évidemment très agréable parce que ça génère une très forte motivation, mais c’est vrai que, parfois, c’est trop. Voir un gosse de 11 ou 12 ans qui passe trois heures au centre tous les soirs après l’école, ça pose question. J’essaye d’alerter les parents quand je vois que ça déborde, qu’il n’y a plus que la relation à l’animal qui compte, par exemple. Généralement, c’est le signe qu’il y a un problème ailleurs. »
Cette relation trop dévorante avec sa passion, Éloïse en a été victime au moment de son entrée en secondaire. Le changement d’école, des copines proches parties dans un autre établissement, quelques difficultés relationnelles et scolaires, ce cocktail a amené un repli sur soi de l’ado.
« J’ai reporté toutes mes frustrations, ma tristesse, mon mal-être vers l’équitation. C’était mon unique raison de vivre. J’y pensais en me réveillant, en allant à l’école, en mangeant et même la nuit pendant mes insomnies. Tout mon temps libre était passé auprès des chevaux. Olivier a fini par aller voir mes parents pour leur expliquer que je n’allais pas bien. J’ai été suivie par un psy quelques mois et, depuis, tout est rentré dans l’ordre. »
Mireille Pauluis fait ici le parallèle entre ces passions et les écrans. « Il n’y a pas de problème tant que tout ne tourne pas autour des écrans, que ce soit par les jeux vidéo, le smartphone ou l’ordinateur. Quand un parent constate que son enfant tourne toutes ses énergies vers les écrans, qu’il se désintéresse du reste, que ses résultats scolaires sont en baisse, il faut agir ». On pourrait ici « retourner la chaussette » et rappeler également qu’un parent à la passion hypertrophiée peut être une source de difficultés pour son enfant.
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Quand la passion disparaît
Du jour au lendemain, ce qui était le cœur de l’intérêt de votre petit ou de votre petite n’est plus. Les figurines de chevaux sont rangées dans un tiroir, le Grand livre de l’équitation vit une nouvelle vie en tant que cale d’une armoire, le mur jusqu’alors rempli de dessins retrouve une virginité totale. Est-ce que c’est grave ?
« Pour le parent, il n’y a pas d’inquiétude à avoir si une passion disparaît, rassure Mireille Pauluis. Elle laissera peut-être place à une autre de même ampleur ou à mille autres petites. Ce qui compte, c’est toujours que l’enfant ne s’enferme pas dans un monde où il est seul. »
MON ENFANT NE S'INTÉRESSE … RIEN
À l’opposé de ces passionné·es, on trouve aussi des enfants plus passifs, peut-être même qui ne s’intéressent à rien, qui disent oui à tout sans enthousiasme. Là encore, pas de panique, souligne notre psychologue. « Le parent peut dans ce cas proposer différentes choses pour découvrir le point d’intérêt de l’enfant. En partageant ses propres activités ou celles des grands-parents, pourquoi pas. Ou en allant vers des territoires moins connus. Il faut simplement garder en tête de ne pas braquer son enfant, notamment en lui proposant tout et n’importe quoi. C’est là encore un jeu d’équilibre, entre proposer de faire ensemble des choses qu’on aime, mais sans se forcer. Quand on va être dans le partage et le plaisir, il y a de fortes chances pour que l’envie de faire touche l’enfant ».
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