Santé et bien-être

Mutisme sélectif : comment aider les enfants plus grands ?

Décryptage de la méthode Bork pour vaincre le mutisme sélectif

En septembre 2024, le Ligueur a participé à une conférence sur le mutisme sélectif, dont on vous a parlé dans l'article Mutisme sélectif : un trouble méconnu et sous-diagnostiqué. Voici la suite, avec le décryptage de la méthode de Plong Bork avec l'organisatrice de la conférence, Jenna Duponchelle.

Parmi les parents présents à la conférence sur le mutisme sélectif, il y a Mélanie*. Elle est la maman de quatre enfants dont les deux derniers, 11 et 13 ans, sont mutiques sélectifs. Diagnostiqués tous deux dysphasiques, elle attribue d’abord leur silence à ce trouble.
« J’ai découvert le mutisme sélectif d’Alban* assez tard, quand il était en 3e ou 4e primaire. C’est en échangeant avec d’autres parents d’enfants dysphasiques que j’ai réalisé que cela n’empêchait pas les autres enfants à parler à l’école contrairement à mon fils. »
Quand Mélanie découvre le kit basé sur l’approche comportementale d’exposition progressive de l’association française Ouvrir la voix, Alban est déjà en 6e primaire, elle l’estime trop grand pour initier cette approche. Deux ans plus tard, Mélanie se demande toujours comment elle pourrait l’aider à libérer sa parole à l’école. Pour son fils cadet, Victor*, la situation est différente : il parle à l’école et en famille, mais pas dans toutes les autres circonstances (commerce, extrascolaire…).
Selon Jenna Duponchelle, fondatrice de l’association Mutisme sélectif Belgique, l’approche développée par la chercheuse canadienne Poling Bork est une piste à explorer pour les parents concernés par le mutisme sélectif. Si elle en avait eu connaissance au moment où son fils était encore mutique sélectif, elle l’aurait mise en pratique.

Selon la situation, le mutisme sera présent ou pas

Une approche en trois dimensions

Pouvez-vous expliquer en quoi consiste la méthode développée par Poling Bork pour vaincre le mutisme sélectif ?
Jenna Duponchelle :
« Poling Bork est une chercheuse canadienne de l’université de Brock, elle travaille au sein du département informatique de la faculté des mathématiques et des sciences et mène des recherches sur le mutisme sélectif. À titre privé, Poling Bork a elle-même souffert de mutisme sélectif, ainsi que ses trois enfants. Je l’ai rencontrée virtuellement dans le cadre d’un sondage qu’elle réalisait pour son travail de recherche. Elle m’a alors expliqué qu’elle utilisait une technique qui combine trois approches pour vaincre le mutisme sélectif. En échangeant avec elle, j’ai été convaincue du bien-fondé et de la pertinence de son travail et surtout du caractère scientifique de sa démarche. Poling est animée par une volonté que son parcours serve d’autres parents confrontés au mutisme sélectif.

Concrètement, son approche combine trois dimensions :

  1. l’approche comportementale, appelée en anglais sliding-in, c’est-à-dire l’introduction progressive d’une personne dans la conversation entre l’enfant et une personne de confiance.
  2. le renforcement, qui encourage le comportement positif de l’enfant par un système de coups de pouce où l’enfant peut, quand il le décide, se mettre au défi s’auto-récompenser pour soutenir ses efforts.
  3. l’auto-modélisation vidéo, cette dimension est révolutionnaire et pourtant pas nouvelle. Elle implique de filmer l’enfant dans le lieu anxiogène pour lui. Prenons l’exemple de l’école, lieu où se manifeste principalement le mutisme sélectif. La première scène filme le parent qui pose des questions à l’enfant qui y répond puisqu’il est en confiance. Puis, l’enfant part et on fait entrer l’enseignantÇe qu’on fait asseoir au même endroit que le parent. L’enseignant·e pose les mêmes questions que le parent et laisse un temps de réponse et va feindre des réactions comme s’il entendait les réponses de l’enfant. Grâce à un montage vidéo à l’aide d’applications gratuites, il est possible de superposer la partie de la vidéo où l’on voit l’enseignant·e sur celle où l’on voit le parent. Cette nouvelle vidéo fusionnée donnera alors l’impression à l’enfant qu’il parle au prof.

L’auto-modélisation vidéo est dérivée de la théorie de l’apprentissage social proposée par le psychologue canadien Albert Bandura. Selon cette théorie, notre comportement se façonne en observant et en imitant les autres. Ce qui implique qu’un enfant qui souffre de mutisme sélectif peut prendre confiance et libérer sa parole par le simple fait de s’observer dans cette situation même fictive, comme c’est le cas avec l’auto-modélisation vidéo. »

Mélanie est en recherche de solutions pour ses enfants qui sont plus grands et qui pourraient être mal à l’aise que leur maman vienne classe. À ce titre, pensez-vous que la méthode de Poling Bork pourrait être adaptée ?
J .D. :
« Tout à fait. La technique de modélisation n’est pas nouvelle, elle a déjà été utilisée et fait ses preuves auprès de patients qui souffrent d’autisme ou d’autres formes de phobie. Poling Bork l’a expérimentée elle-même en tant que maman avec ses trois enfants et en tant que scientifique avec plusieurs dizaine d’enfants. C’est grâce à cette double casquette qu’elle partage aujourd’hui son expérience dans le livre Vocal qui sera tout prochainement disponible en français. Les protocoles qu’elle a testés sont éprouvés et lui permettent d’affirmer que sa méthode peut venir à bout d’un mutisme sélectif en seulement huit séances, c’est-à-dire en moins de trois heures. Comme je l’ai dit, cette méthode d’auto-modélisation se combine avec l’approche comportementale et le système de récompense, c’est vraiment le fait d’associer ces trois dimensions qui en fait le succès. »

Avez-vous connaissance d’autres méthodes ou projets porteurs d’espoir pour les parents d’enfants qui souffrent de mutisme sélectif ?
J. D. :
« Lors de la conférence, une approche de désensibilisation avec le téléphone a aussi été abordée. Celle-ci a déjà été testée et approuvée avec des enfants. Cela peut être une autre piste avec des enfants qui n’auraient pas envie d’être filmés. On invite l’enfant à passer un appel de chez lui à un·e ami·e, puis, au fur et à mesure, on le rapproche de la personne qu’il a au bout du fil. En outre, la réalité virtuelle offre une nouvelle piste puisqu’elle permet à l’enfant d’échanger oralement et de le mettre en confiance sans l’exposer à une interaction sociale réelle. Poling Bork a aussi creusé la piste de la réalité virtuelle qui semble tout à fait adaptée aux ados, mais qui est au stade du projet et encore indisponible pour le moment. »

Une maman témoigne du mutisme sélectif pour ouvrir la voie à un maximum de parents et professionnel·les

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