Développement de l'enfant

Vous n’aimez pas étaler votre vie privée. Vous avez horreur du qu’en-dira-t-on. D’ailleurs, vous protégez le peu d’informations personnelles que vous laissez filtrer sur les réseaux sociaux. Vous avez mis des rideaux épais devant les fenêtres. Tout est verrouillé. Sous contrôle. Mais vous avez peut-être omis un léger détail. Vos chérubins qui dévoilent tout sur vous à coups de grands récits. Même les détails les plus gênants. Vite, il faut redresser la barre. Voyons ça avec le capitaine Mireille Pauluis, psychologue de bon sens.
Sur toutes les plateformes sur lesquelles vous êtes censés partager un peu de contenu privé, il existe une petite case à cocher qui vous permet de ne pas diffuser de données personnelles. Hélas, vos enfants n’en sont pas munis ! Les informations circulent vite. Il arrive même parfois qu’elles dépassent plusieurs strates amicales. Jusqu’au personnel enseignant...
« Et bah moi, mon papa il a dit que… »
C’est ce que qui est arrivé à Norbert, papa de trois enfants de 2, 5 et 9 ans. Juliette, sa fille aînée, s’en donne à cœur joie. Et souvent, le phénomène d’amplification est incroyable. « Un jour, je vais chercher mes enfants à l’école. Une gardienne avec laquelle je m’entends super bien me glisse un peu hilare : ‘ Alors, la petite dernière n’était pas désirée ?’. Elle m’a expliqué que Juliette raconte à qui veut l’entendre que sa petite sœur de 2 ans est un accident. Un autre jour, elle a raconté à toute la cour mes petits pépins de santé. Rien de bien méchant. Mais il y a certaines choses que j’aurais bien aimé ne pas voir étalées sur la place publique ! ».
Comme si Juliette ne hiérarchisait pas les informations. Un phénomène lié à l’âge ? Voyons ce qu’en pense notre psychologue : « Les enfants parlent d’un sujet qui les intéresse. Juliette a trouvé une histoire qu’elle juge valorisante. Elle aurait très bien pu inventer un bobard. D’ailleurs, le fait que les informations soient vraies ou pas n’a pas d’importance. Quant à la question de la hiérarchie des infos à filtrer ou pas, ses parents doivent lui expliquer qu’il y a des choses qui ne se disent pas. Par exemple, sur l’affaire de la petite sœur non désirée, c’est important de dérouler et de bien dire qu’on n’est jamais tout à fait maître de l’arrivée d’un enfant. Et bien sûr, insister sur le fait qu’il y a des choses propres à la famille, qui sont donc de l’ordre de l’intime ».
Elle fonce, elle fonce la rumeur…
Plus gênant, Jean-Marc, papa d’un grand Newen de 9 ans. À la maison, ce dernier est taiseux. Ça ne va pas fort dans le couple qui connaît plus de bas que de hauts. Ils essaient au maximum d’épargner Newen qui n’est pas dupe et ressent l’atmosphère électrique de la maison. Un jour, Jean-Marc croise une « maman-copine » de l’école.
« On discute et je vois bien qu’elle me regarde comme si un astéroïde était tombé sur notre maison. Et puis, elle me dit très gentiment qu’on peut compter sur elle dans cette épreuve. L’épreuve ? Newen venait d’annoncer notre séparation à toute l’école. Séparation qui n’a jamais eu lieu, mais allez rectifier le tir quand tout le monde pense le contraire… ».
« Ces histoires qui fuitent sont toujours l’occasion d’avoir une discussion intéressante » M. Pauluis, psychologue
Au-delà de l’aspect cocasse, il y a quelque chose d’intéressant, Newen a eu visiblement besoin d’exprimer une forme d’angoisse. Mireille Pauluis nous explique en effet que Newen a d’abord parlé de sa peur. « Il l’exprime et ça fait boule de neige. C’est un phénomène courant. L’angoisse de parents qui se séparent touche beaucoup d’enfants. Qui n’a pas entendu la phrase ‘J’espère que vous n’allez pas vous séparer’ ? Le reste appartient à la rumeur. La première chose à faire est d’y couper court. Il faut la prendre en considération. Dans un cas similaire, né à l’école, démentez juste auprès de quelques parents bavards. Le temps fera le reste ! Ensuite, il faut expliquer aux petits que ce n’est pas parce que vous n’êtes pas d’accord sur tout que vous vous séparez pour autant. Exposez la différence entre le débat et le conflit guerrier. Finalement, ces histoires qui fuitent sont toujours l’occasion d’avoir une discussion intéressante ».
Génération gossip
Barbara, maman de deux enfants de 7 et 11 ans, connaît la même chose avec sa fille aînée, Leila. « Depuis toujours, elle adore raconter ce qu’il se passe à la maison - qu’elle trouve visiblement très drôle - à ses copines. Parfois, c’est inventé. Souvent, c’est exagéré. Et le pire c’est qu’il m’arrive de les interrompre et je vois les copines qui rigolent comme si elles étaient au courant de choses me concernant… que j’ignore. C’est très désagréable. J’ai l’impression d’être un clown malgré moi ». On peut comprendre le désarroi de Barbara et la difficulté à assumer ce qui nous échappe.
Dans ces conditions, que faire ? Serrer les dents et accepter qu’une partie de notre vie privée ne nous appartient plus. Ou, au contraire, assécher nos petits robinets d’enfants pour essayer de contenir le flux d’informations qu’ils déversent ? Notre expert n’y voit rien de plus que des copines qui papotent. « C’est un peu leur jardin secret. Alors, oui, de temps en temps, ça éclabousse les parents. Je ne me tracasserais pas. Vous pouvez dégoupiller avec un ‘Aaah, la chambre des secrets’. Il faut un peu d’humour, un peu de recul aussi et même accepter les semi-mensonges. Et n’oubliez pas que nous autres, adultes, on fait aussi la même chose ».
Dans tous ces exemples, il est question d’informations qui fuitent dans une communauté plus ou moins de confiance. Mais comme vous le savez, avec nos outils, les parois du monde sont devenues invisibles. Et vos petits reporters d’enfants peuvent donc diffuser les chroniques de votre quotidien au tout-venant.
La fuite par les réseaux sociaux
Agnès, maman de deux jeunes filles de 11 et 13 ans, s’est rendu compte que le Snapchat (un réseau social basée sur le partage de photos) de sa cadette était rempli de saynètes du quotidien. « Déjà, horreur, elle a un compte Snapchat à son âge. On le lui a toujours interdit. On nous y voit raconter des trucs sans intérêt au petit déjeuner. On me voit cuisiner, mon mari sur sa tablette... tous les petits riens sont diffusés. Elle ne réalise pas la gravité ».
Ce qui est un simple jeu innocent pour les gamins peut être embarrassant pour les parents. Comment réussir à fixer des limites à l’heure où un enfant peut diffuser des informations gênantes en deux clics ? Selon notre psy, il s’agit avant tout d’un problème d’éducation aux réseaux sociaux et au savoir-vivre.
« Encore et encore, il faut rappeler aux enfants quels sont les territoires intimes. Ce qui se passe à la maison, reste à la maison. Le problème vient aussi de phénomènes comme la télé-réalité où l’on se gausse de ce qui se passe chez le voisin. Pourquoi ne pas s’appuyer dessus justement et dire : ‘On n’a pas envie que tout ce qui se passe à la maison soit vu et soit su’. Servez-vous d’exemples qui les touchent. Le journal intime, par exemple. Demandez à votre enfant s’il aimerait qu’il soit accessible à tout le monde ? C’est important, cette histoire de respecter l’intime. Je sors d’une séance où j’ai assisté à une situation très perverse. Dans le cadre d’une séparation, un papa raconte à ses enfants des horreurs sur leur maman pour que ces histoires circulent à l’école. Leur discernement est donc très important ».
Et peut-être que nous pouvons apprendre à tenir un peu notre langue en tant que parents et nous dire que personne ne garde mieux un secret que celui qui l'ignore.
Yves-Marie Vilain-Lepage