Développement de l'enfant

« Suis-je prêt à étudier pour réussir mon CEB ? Dans quel type d’enseignement secondaire ai-je envie d’aller : le général, le technique, l’artistique ou le professionnel ? Dans quelle école ? Avec quelles options ? ». On a tendance à l’oublier, mais c’est entre 10 et 13 ans que nos enfants font leurs premiers grands choix de vie. Certains auront la chance d’avoir l’écoute et les conseils de leurs parents, d’autres pas. Quelles solutions leur apporter ? Éclairage avec l’expérience de l’asbl TADA, qui vise à lutter contre le décrochage scolaire par le biais d’activités parascolaires.
Les enquêtes PISA de l’OCDE nous le rappellent régulièrement : l’enseignement en Belgique, et particulièrement à Bruxelles, échoue dans sa mission première « d’agir comme ascenseur social ». Quand un enfant naît dans la précarité, il aura donc moins de chances qu’un autre de voir sa situation évoluer.
Si les causes de ce phénomène sont multiples, l’une d’entre elles réside dans le fait que l’école n’ouvre pas assez de perspectives aux enfants de primaire dans les quartiers défavorisés. Ne sachant pas ce qu’ils veulent faire plus tard et n’ayant pas de modèles familiaux inspirants, ils ne voient pas l’intérêt de s’accrocher à l’école. Or, pour avoir envie de continuer sa scolarité et obtenir ses diplômes, il faut pouvoir rêver ! Il faut pouvoir s’imaginer plus tard dans un métier ou, au moins, avoir une idée du panel de professions qui existent.
TADA : un projet pionnier en Belgique
Sur base de ces constats, en 2012, Sofie Foets a fondé l’ASBL ToekomstATELIERdel’Avenir (TADA). Financée essentiellement par des dons privés, cette ASBL s’est donné pour objectif d’avoir par le biais d’activités parascolaires intenses un impact direct sur des centaines de jeunes bruxellois socialement vulnérables. Ainsi, elle a mis en place dans les communes de Molenbeek, Saint-Josse-ten-Noode et Anderlecht, des « écoles du week-end » pour les jeunes de 10 à 13 ans.
Pendant trois ans, tous les samedis, des jeunes suivent des cours donnés bénévolement par des professionnel·le·s de tous horizons (avocat·e·s, infirmières et infirmiers, cuisinières et cuisiniers, mécanicien·ne·s, etc.). « Nous avons choisi la tranche d’âge 10-13 ans, car nous souhaitons faire de la prévention, explique Sofie Foets. Des études psychologiques ont démontré qu’à 10 ans, les enfants ont très envie d’apprendre, ils ont encore les yeux qui pétillent. Si leurs parents ou leur école ne sont pas là pour stimuler leur curiosité, ces derniers perdent espoir dans l’émancipation. Par conséquent, plus tard, vers 14-15 ans, ils risquent de subir un décrochage scolaire ».
Vu sa fréquence, cette formation est qualifiée de « très intense ». Elle amène aussi des enfants à participer à des ateliers pratiques sur le thème du droit, de l’économie, de la finance… « Nous avons décidé de placer la barre très haut, car c’est la meilleure manière de stimuler la curiosité et l’envie d’apprendre des enfants. Bien sûr, nous restons toujours bienveillant·e·s, mais nous voulons leur apprendre la rigueur. On leur rappelle toujours qu’on est là pour faire des erreurs, mais qu’il est important d’oser faire des efforts. On appuie là où ça fait mal, on leur dit que la vie n’est pas ou toute noire ou toute blanche. Pour moi, la discipline et la bienveillance, ça peut aller de pair ».
Concrètement, ces ateliers donnent directement une idée du métier enseigné : pour le cours de droit, par exemple, les enfants sont allés au palais de justice et ont endossé les rôles d’avocat·e, de juge, etc. S’ils pensaient ne pas être intéressés au début, ils se sont au moins rendu compte de l’importance de ces métiers.
Un succès éclatant
Alors que TADA a à peine plus de cinq ans, l’ASBL touche déjà près de 1 000 élèves et va ouvrir une nouvelle antenne à Schaerbeek en janvier 2020. La demande augmente toujours : « 70 à 80 % des enfants auxquels on présente notre projet, dans les quartiers les plus défavorisés de Bruxelles, veulent venir. Il faut savoir que la grande majorité d’entre eux ne font rien le samedi. Ils traînent dans la rue, ils jouent aux jeux vidéo ou ils font du babysitting pour les frères et sœurs qui sont dans la maison. TADA, c’est une opportunité pour eux d’avoir une activité le samedi ».
Avec quels impacts ? « Les enfants grandissent en termes de perspectives d’avenir et de confiance en eux. Ils sont plus motivés à apprendre et à faire de leur mieux à l’école. Pour nous, rien que le fait de savoir qu’ils ne sont pas en décrochage scolaire, c’est déjà une grande réussite ! Par ailleurs, comme ces enfants sont amenés à rencontrer des élèves de cultures différentes, ils deviennent aussi plus tolérants vis-à-vis des autres. Enfin, TADA leur apprend à gérer leurs émotions négatives ».
Et après 13 ans ?
Une fois la formation de trois ans achevée, TADA reste en contact avec les anciens élèves, appelés « alumni », via des activités ponctuelles et une plateforme numérique. Le Ligueur a eu la chance de rencontrer deux d’entre eux et de récolter leurs témoignages.
Yigit, 17 ans, est d’origine turque et habite Saint-Josse. Cette année, il rentre en 5e secondaire de technique de transition. Il a un rêve : celui de devenir informaticien. Quand le Ligueur l’a rencontré, il revenait de deux heures de travail (de 6h à 8h) et avait pris congé le reste de la journée pour répondre à notre interview. Il faut savoir que Yigit travaille toute l’année dans une entreprise de nettoyage. Il économise pour s’acheter une voiture et payer ses études d’informatique plus tard à l’université. Il raconte son expérience TADA.
« Je suis né dans l’informatique et j’ai toujours été intéressé par ce système d’exploitation. Si ce rêve était déjà en moi en 5e primaire, je doutais encore beaucoup, je ne savais pas comment le concrétiser. Puis TADA est arrivé. Nous avons eu un cours d’informatique et là, j’ai eu le déclic ! Aujourd’hui, je suis sûr que je deviendrai informaticien. D’ailleurs, à l’école, tous mes amis me surnomment Bill Gates ! Qu’est-ce que TADA m’a apporté ? Surtout de la confiance en moi. En fait, j’ai vraiment compris là-bas que je pouvais avancer seul, que je pouvais faire ce que j’avais envie de faire et qu’il ne fallait pas avoir peur de l’échec. Ça n’a jamais été un poids d’y aller tous les samedis, car j’étais toujours enthousiaste à l’idée du métier que j’allais découvrir. Et puis, avant TADA, je ne faisais rien de mes samedis. Pour résumer, TADA m’a principalement donné envie de devenir le meilleur pour moi-même pour plus tard ».
Caroline, 16 ans, est d’origine colombienne et habite Schaerbeek. Elle rentre en rhéto cette année. Plus tard, elle aimerait étudier la psychologie pour enfants à l’université de Cambridge (Angleterre). Depuis sa 4e secondaire, tous les mercredis, elle travaille pour TADA, qui met à disposition des jeunes un endroit calme pour leur permettre de faire leurs devoirs. « Je suis présente pour les aider s’ils ont des questions. Je fais cela pour avoir un peu d’argent et pour ne pas le demander à mes parents. Et puis, j’utilise aussi cet argent pour ne pas gaspiller celui de ma bourse d’études, que je garde pour payer mes études supérieures plus tard ».
À propos de TADA, elle raconte : « J’étais en 5e primaire et je ne savais pas ce que je voulais devenir. Du coup, je me suis dit que TADA allait pouvoir m’aider. En plus, les samedis, je ne faisais rien. Qu’est-ce que ça m’a apporté ? Y a certains jobs qu’on a vus et j’ai compris qu’ils n’étaient vraiment pas faits pour moi. J’ai donc mis des métiers de côté pour faire le bon choix. Par ailleurs, j’ai appris à écouter les autres, à respecter leurs opinions, à travailler en groupe. TADA m’a aidée aussi à être un petit peu moins timide ».
Enfin, cet été, grâce à l’asbl, Caroline est allée aux États-Unis pour participer au programme international Women2Women. Pendant dix jours, elle a suivi des ateliers avec 140 autres jeunes filles du monde entier. « Je suis vraiment revenue différente. Toutes ces filles te donnent confiance en toi. Il y a eu beaucoup de conférences pour apprendre à sortir le meilleur de nous-même. Ce voyage m’a aidée à être encore plus positive, à voir les bons côtés et à toujours me dire que je peux y arriver ».
Alix Dehin
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ToekomstATELIERdel’Avenir (TADA) : boulevard du Régent, 7 à Bruxelles - Téléphone : 02/781 00 32 – Email : info@toekomstatelierdelavenir.com
Site : tada.brussels