Développement de l'enfant

Les enfants n’arrivent pas au monde avec leur « mode d’emploi ». Chaque parent cherche, tâtonne, pense, questionne, lit ou discute pour trouver à cheminer le mieux possible dans le parcours éducatif qu’il fera avec sa progéniture. Et si rien ne coule de source, le flot de conseils dispensés est pourtant intarissable.
La maman de Lili est perdue. Sa petite a 4 mois et demi à présent. Elle boit bien, gazouille avec son entourage, gratifie sa mère de ses splendides sourires mais elle ne dort pas. La maman de Lili a encore un mois de congé devant elle, avant de retourner au travail et de confier son bébé à la crèche. Se réveiller la nuit ne la gêne donc que modérément, même si la fatigue commence à peser. Le papa, lui, souhaiterait que sa petite passe ses nuits et qu’elle épargne à sa mère les tétées nocturnes. La grand-mère paternelle de Lili dit et redit que ses trois enfants passaient tous leurs nuits à 2 mois et qu’il faut contraindre l’enfant à en faire autant ; son fils pousse pour que les choses se déroulent ainsi.
À la maternité, le pédiatre, grand adepte de l’allaitement maternel, expliquait que les bébés se régulent tout seuls si on les nourrit à la demande et que le rythme jour/nuit s’imposera de lui-même. À la consultation du pédiatre de ville, le papa expose le problème de sa Lili qui ne passe pas ses nuits à 4 mois. Fermement, le docteur affirme que cela fait un mois qu’elle devrait avoir compris que le jour n’est pas la nuit et qu’il faut la laisser pleurer entre minuit et 6 heures du matin. À la maison, le couple discute et chacun défend sa position. Quand passe l’infirmière de l’ONE., le sujet est remis sur le tapis. Celle-ci donne son avis et propose un « très bon livre » qui aborde le sujet.
Quand chacun donne son avis
La marraine de Lili, quant à elle, confirme que jamais elle n'aurait été en mesure de laisser pleurer son petiot avant qu’il se mette à passer lui-même ses nuits vers 5 mois. Elle propose l’adresse de son pédiatre qui l’a si bien conseillée à ce sujet. La voisine, jeune mère elle aussi, explique qu’elle a eu recours à un ostéopathe pour aider son bébé à distinguer le jour et la nuit, que l’accouchement avait entraîné des micro-déplacements de la boîte crânienne qui créaient une tension gênante chez l’enfant. En deux consultations, le problème était réglé. Le papa de Lili rapporte à sa compagne que son collègue a mis son fils chez des copains pour y passer la nuit quand il avait 3 mois afin que sa femme et lui puissent récupérer. Là-bas, l’enfant a fait un tour d’horloge sans réveiller ses hôtes et, depuis, tout est nickel. « Le petit avait compris qu’il ne devait rien attendre de nous et il s’est tenu à carreau », explique le collègue.
La grand-tante de Lili, de passage au pays, vient faire connaissance avec le poupon. Elle qui a eu sept enfants questionne simplement : « À qui cela pose problème ? » Elle n’apporte pas de conseils et recettes, elle tente uniquement de savoir qui cela gêne que Lili confonde le jour et la nuit. Ce n’est ni le papa de la petite qui n’entend même pas quand sa compagne se lève, ni la maman qui profite de ces délicieux moments qui durent juste le temps de se ravitailler au sein gauche puis au sein droit et puis dodo…
Le bébé des uns n'est celui des autres
Mais alors pourquoi tout ce ramdam autour du sommeil de Lili ? D’où vient la norme (et quelle norme…) qui implique que les choses soient réglées comme ceci ou comme cela ? D’où vient la nécessité de se plier à tel avis, à tel conseil ? D’infléchir les rythmes de la fillette selon les injonctions des uns ou des autres ?
Je demande alors à cette maman - d’origine suédoise - comment cela se passe chez elle. Elle me dit : « Chez nous, on ne donne des conseils qu’une fois : quand les femmes quittent la maternité. » Je poursuis mon questionnement : quel système vous semble le plus efficient ? Elle réfléchit et me dit : « Celui de mon pays d’origine. »
N’y a-t-il pas une différence à faire entre conseils et informations ? Être informé sur les différentes façons de gérer le sommeil d’un bébé, permet à chaque parent de choisir sa voie, de définir ses modalités éducatives, de façonner son style en concordance avec ce que l’on sent, avec son histoire, avec son seuil de patience, et les singularités du tempérament de son bébé.
Le conseil implique une position plus engagée de celui qui le donne, mais également un retour de celui qui le reçoit : « Merci, ça n’a pas marché », « Vous m’avez aidé », « Désolé, votre conseil n’a pas porté ses fruits ». Le conseil réduit la créativité du demandeur : si on reçoit un conseil, c’est pour l’appliquer. Donner de l’information, des informations dégage un espace de choix possibles, laisse toute liberté à celui qui les reçoit : on peut en tenir compte ou pas, on peut les utiliser maintenant, plus tard ou jamais. Si le conseil n’est pas partagé dans une relation de grande confiance, il devient contraignant, normatif, il peut être infantilisant, enfermant.
Être parent et se sentir bien dans cette place nécessite de se sentir libre de choisir son style, son rythme, le moment où l’on souhaite des conseils et la personne de laquelle on les souhaite… Cela n’a rien à voir avec le fait d’être noyé dans un déluge de conseils et de risquer… d’en étouffer.
Reine Vander Linden