Vie pratique

Trente-huit enfants sont sur liste d’attente pour une famille d’accueil ou un parrainage auprès de l’association La Vague. Alisson, Cassandra et Christelle ont ouvert leur foyer et famille à un enfant porteur de handicap.
Le projet d’accueil, Alisson, 28 ans, le connaît bien. Ses parents ont accueilli durant trois ans un enfant placé par le juge. « Très jeune, je me suis dit que ce serait aussi un de mes projets de vie ». Lorsqu’elle termine ses études de puéricultrice à 21 ans, Alisson est directement engagée dans une institution pour enfants placés. Parmi eux, Samir*, 2 ans et demi.
Plus l’enfant grandit, moins il a de chance de trouver une famille d’accueil
C’est un coup de foudre réciproque entre Samir et Alisson. Le petit garçon recherche son contact et se montre très affectueux avec elle. Alisson veille à ne rien laisser paraître de ce lien particulier qui les unit. Bien que Samir soit sur liste d’attente pour une famille d’accueil avec l’association La Vague, elle n’envisage pas de sauter le pas.
« Le fait de travailler dans l’institution me freinait, je trouvais compliqué d’accueillir un enfant issu du groupe dont je m’occupais. D’un autre côté, je savais qu’à 6 ans, il devrait quitter l’institution pour une autre avec moins de chance de trouver une famille d’accueil. »
Alisson est en couple avec Cassandra depuis près de dix ans quand elles envisagent d’accueillir Samir Elles se sentent prêtes, le handicap de Samir et le fait que ce soit un accueil à long terme ne leur posent aucun problème. Ce qu’elles redoutent en revanche, c’est la séparation éventuelle si le parent biologique retrouvait la garde de Samir « C’est Alisson qui m’a permis de voir l’accueil sous un autre angle, à être moins tournée sur mes propres peurs et à envisager plutôt les bienfaits pour lui », explique Cassandra.
« Avant même que notre dossier soit accepté, j’avais déjà acheté des vêtements et des jouets. C’était déjà mon fils »
Les deux femmes sont âgées de 25 ans lorsqu’elles entament les démarches auprès de La Vague. Commence alors un parcours long et lourd, fait de démarches administratives et rencontres de professionnel·le·s. « On était pressées d’offrir une vie de famille à Samir et les rendez-vous se succédaient. Avec la psy, on creusait pas mal dans notre passé, ce n’était pas toujours évident », se souvient Alisson.
« Mais une fois qu’il a été là, on a tout oublié, c’est comme pour l’accouchement, nuance Cassandra qui se projette directement dans le rôle de maman. Avant même que notre dossier soit accepté, j’avais déjà acheté des vêtements et des jouets. C’était déjà mon fils. »
Une fois la prise en charge validée, une série de rencontres est programmée entre Samir et ses mamans. Dans les locaux de l’association d’abord, puis dans le jardin et enfin à l’extérieur. Cassandra se souvient de sa première rencontre avec Samir
« Au début, il était tout timide, il se cachait derrière Alisson. Grâce au jeu, je suis entrée en contact avec lui. Il y avait un petit garage en bois et on s’amusait à faire tomber les voitures. À un moment, le pansement qu’il avait au menton s’est détaché. Je lui ai demandé si je pouvais le garder en souvenir. Quand il m’a donné son pansement, c’est comme si on avait fusionné. Il est venu s’asseoir sur mes genoux et m’a acceptée dès la première rencontre. »
Faire grandir et grandir avec l’enfant
Samir est porteur d’un retard global, à la fois mental et physique. Quand il arrive chez Alisson et Cassandra, il a 5 ans, porte des langes et parle à peine. « À la maison, c’était un enfant comme un autre, si ce n’est qu’il avait peut-être le développement moteur et cérébral d’un enfant de 3 ans alors qu’il en avait 5 ».
Scolarisé dans l’enseignement spécialisé, il fréquente le type 2 qui regroupe les retards mentaux modérés à sévères. Son vocabulaire compte à peine quelques mots. Le plus souvent, Samir désigne l’objet convoité ou mime. Mais il se montre persévérant pour se faire comprendre. Tout comme ses mamans d’accueil pour le décoder. « Je me souviens qu’il disait ‘cakine’, ça voulait dire ‘tartine’. Il nous a fallu cinq minutes pour comprendre », explique Cassandra.
Alisson et Cassandra doivent faire reconnaître le handicap de Samir auprès de l’AViQ. Les séances de logopédie sont organisées au sein de l’école spécialisée pendant les heures de cours, seuls quelques rendez-vous de spécialistes sont à planifier ici et là. « Au final, c’est plus la paperasse que le handicap du petit qui était lourde à gérer », estime Cassandra.
Aujourd’hui, cela fait quatre ans et demi que Samir vit en famille avec Alisson et Cassandra. Son retard mental et physique s’est résorbé : de type 2, il est passé en type 8, dernier stade de trouble reconnu. « On est sur la bonne voie, on avance. Son instituteur précédent nous a dit qu’il mettait sa main à couper qu’il passerait dans l’enseignement ordinaire », rapporte fièrement Alisson.
Samir aurait-il pu faire un chemin similaire s’il était resté en institution ? « Clairement, non, y a pas photo, répond Alisson, bien placée pour répondre à cette question. En tant que professionnel·le, on fait tout ce qu’on peut, mais ça ne remplace jamais une vie de famille. Les enfants en institution ne reçoivent pas tout l’amour qu’ils pourraient recevoir en famille. Pareil pour ce qui est de l’attention et de la stimulation. Dans l’institution, on est deux puéricultrices ou éducateurs pour un groupe de huit enfants. »
Toujours un œil dans le rétroviseur
Si Samir a beaucoup grandi et progressé aux côtés de ses deux mamans d’accueil, celles-ci estiment qu’il en a été de même pour elles. C’est avec Samir qu’elles sont devenues mères, ont gagné en maturité, ont appris à poser des choix dans son intérêt, comme celui dernièrement de déménager à Soignies pour disposer d’un jardin. Au préalable, elles se sont assurées que Samir puisse intégrer l’école spécialisée de la ville.
Tout n’est pas rose pour autant. Comme tout enfant, Samir s’affirme et teste l’amour parental. Il ose même les menaces : « Je dirai à la juge que je ne veux plus être avec vous ». « Ça prouve qu’il a confiance en notre amour pour s’autoriser à affirmer son caractère », relativise Cassandra. Le couple était prévenu, passé la première année, la lune de miel prend fin et le naturel s’installe. « C’était une grosse prise de risque, reconnaissent-elles, mais sans vouloir nous jeter des fleurs, l’accueil a été super bien préparé ».
Aux parents qui envisagent l’expérience de l’accueil d’un enfant porteur de handicap, elles recommandent de « vivre comme si c’était votre enfant, mais de garder en tête qu’il a ses parents ». Une autre condition essentielle est de laisser une place à la famille biologique et de la respecter, explique Alisson.
« Quand Samir nous demande pourquoi il n’est pas avec sa maman, on lui dit qu’elle l’aime beaucoup, mais qu’elle n’est pas capable de prendre soin de lui, à aucun moment, on ne la dénigre ». Une autre leçon apprise est de ne pas s’oublier, ajoute Cassandra. « On est maman, mais on doit pouvoir aussi prendre soin de notre couple ».
* Prénoms d’emprunt
VÉCU
Bien penser son projet
Christelle, maman solo, en est à sa deuxième expérience d’accueil. Maman biologique d’une adolescente de 14 ans, elle a déjà accueilli un garçon pendant quinze ans. Suite à son décès, elle a eu envie de renouveler l’expérience avec K., 4 ans.
« L’accueil d’un enfant handicapé est pour moi quelque chose d’extrêmement positif. Kléa* s’est très bien adaptée à notre famille. Le nursing est lourd, mais la proximité du soin fait aussi qu’on a un contact charnel très fort avec l’enfant. Je la vois évoluer et c’est aussi très gratifiant, sans parler de tout l’amour que l’on reçoit.
L’accueil d’un enfant polyhandicapé demande un aménagement à la fois de notre logement, mais aussi organisationnel puisque mes deux enfants fréquentent deux écoles différentes. Cela ne m’empêche pas de travailler à temps plein grâce aux différentes aides et services sur lesquels je peux m’appuyer. Baby-sitters spécialisé·e·s, accès à du matériel spécifique, service de transport adapté, soins infirmiers à domicile… La Vague m’accompagne et me facilite énormément les démarches.
Avec l’équipe de l’association, on a beaucoup discuté du profil de l’enfant qui arriverait chez moi. Sachant que je vis à côté de l’Escalpade (école spécialisée à Louvain-la-Neuve), je pouvais accueillir un enfant porteur d’un handicap moteur. Il faut compter neuf mois pour le processus de recrutement. Cela me paraissait long au début, j’avais très envie qu’elle soit déjà avec nous, mais ce temps d’attente est essentiel. Il permet de bien penser son projet et d’améliorer la qualité de l’accueil. »
EN SAVOIR +
Vous êtes intéressé·e par l’accueil d’un enfant porteur de handicap ? Prenez contact avec La Vague : info@lavague.be ou 02/735 83 34 ou Afea, une autre structure d'accueil.
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