Développement de l'enfant

« Ma puce ne parvient toujours pas à s’asseoir toute seule, cela m’inquiétait un peu. La dernière fois que j’ai été avec elle à la consultation ONE, on m’a posé des questions là-dessus et j’ai retenu que 9 mois, c’est le moment de l’acquisition de la position assise. Mais, malgré ses 10 mois, ma petite Alexia n’est pas prête pour cela… Devant mon inquiétude, certains proches ne se sont pas gênés pour me donner des conseils. Ma belle-mère en tête ! Pour elle, on devrait systématiquement caler Alexia dans un tas de coussins. Je n’en ai pas envie, je ne le sens pas. Alors, j’ai été vachement soulagée d’entendre une amie kiné m’expliquer que tous les bébés ne se développent pas de la même manière. Ma petite rampe partout avec un plaisir évident, elle ne sait pas encore s’asseoir mais cela viendra tôt ou tard… », assure, désormais apaisée, Charlotte, la maman de la petite Alexia.
Ce témoignage de jeune maman, pas si rare que cela, montre bien que normes, informations et conseils, ce n’est pas du pareil au même ! Ne pas faire d’amalgames peut être précieux quand, comme parent, on se questionne, on doute ou on a besoin d’être rassuré. Mise à plat avec Reine Vander Linden, psychologue clinicienne, à partir de ce que pas mal de mamans et de papas lui livrent.
La norme est un repère. Dans le champ du développement psychomoteur de l’enfant, on a par exemple comme critère que le bébé maîtrise la position assise (sans artifice, il va sans dire) aux alentours de 9 mois ; la plupart des enfants y parviennent à cet âge. Quelle serait une information importante à ce sujet ? Eh bien, il est bon de savoir que les enfants déploient leur motricité très différemment : certains bébés ne tiennent pas encore bien sur leurs fesses à 9 mois, ils ne le feront que plus tard. Ce sont en général des enfants qui bougent et explorent avec tellement de bonheur qu’ils ne sont pas encore intéressés par la position assise et que, dès lors, ils ne l’ont pas encore trouvée. Quant au conseil, il est souvent élaboré à partir d’une norme. La maman d’Alexia a toutes les raisons de trouver celui qu’elle reçoit de sa belle-mère très pesant puisqu’il va complètement à l’encontre de ce qu’elle perçoit clairement chez sa petite : son plaisir de bouger.
Les conseils ne sont jamais neutres !
« Un parent qui est un peu moins sensible à ce qui se passe de singulier chez son enfant ou qui manque de confiance en lui sera sans doute plus réceptif aux avis et conseils de son entourage, sans nécessairement évaluer leur validité, dit Reine Vander Linden. Il y a ce souci généralisé d’être dans la norme : on dit que l’ensemble des enfants font ceci ou cela à tel âge. Si son bébé ne répond pas à la norme, on peut développer une certaine inquiétude. Alors que si on est pleinement dans l’observation de son enfant et qu’on perçoit chez lui un fonctionnement singulier, spécifique, on n’aura plus de quoi s’inquiéter autant. »
Tous les parents ont besoin de savoir qu’ils font bien avec leur enfant. Tous se questionnent : « Est-ce que je réponds bien à ses besoins ? », « Est-ce que je suis une bonne mère ? », « Est-ce que je suis un bon père ? », « Est-ce que je fais comme il se doit ? »… Du coup, recevoir un conseil n’est pas anodin !
Il y a une différence entre demander des conseils et en recevoir sans les avoir demandés : les deux réalités ne reposent pas sur la même dynamique !
Les conseils ne sont jamais neutres, insiste la psychologue. « Ils sont porteurs de bien d’autres messages que celui (juste ou pas juste) qui est explicitement amené. Ils peuvent sous-entendre que vous faites mal les choses ou que vous ne les faites pas assez comme ceci ou comme cela. Ils vous envoient presque toujours un message subliminal sur l’incompétence parentale. Ils peuvent aussi constituer une forme d’emprise sur vous. Disqualification, prise de pouvoir, paternalisme… L’enfer est pavé de bonnes intentions, dit-on, c’est bien de cela dont il s’agit. Des personnes se voulant bienveillantes vous donnent des conseils, mais ces conseils risquent de vous encombrer parce qu’ils vous renvoient que vous n’avez pas l’œil, que vous ne comprenez pas ou que vous êtes à côté de la plaque. À la limite, un conseil bienveillant est presque une contradiction. » « Les parents sont noyés de conseils, on les désapproprie de ce qu’ils font de la relation à leur bébé », dit en écho un papa.
Maintenant, il y a une différence entre demander des conseils et en recevoir sans les avoir demandés : les deux réalités ne reposent pas sur la même dynamique ! « Vous pouvez bloquer à un moment donné et vous retrouver dans un état d’attente, de réceptivité d’idées nouvelles. Multiplier les idées, envisager d’autres possibles, cela permet d’éclairer sa lanterne. » Recevoir de « bons » conseils est donc possible ! « Cela se passe alors dans une dynamique d’échange, tandis que quand le conseil est donné du haut vers le bas, il est lourd, pesant, déstabilisant et va jusqu’à vous faire perdre votre confiance en vous puisqu’il vous envoie le message : "Tu n’y as pas pensé et tu aurais dû…" » Un conseil est aussi bienvenu « pour autant que vous puissiez faire la part des choses, c’est-à-dire l’analyser et voir s’il convient à votre enfant avec ses singularités ».
« Est-ce qu’il est attaché à moi ? »
« Est-ce que je fais bien avec mon bébé ? » Cette question de la capacité parentale, sensible chez tous les parents, « se réveille », on le voit, sur le terrain des conseils. « Parfois, cette question angoissante se transforme en "Est-ce que mon bébé est attaché à moi ?", "Est-ce qu’il m’apprécie ?", "Est-ce que je suis aimable à suffisance ?"… Elle peut alors prendre la forme d’une rivalité ou d’une compétition avec l’autre parent, ce qui est dommageable », observe Reine Vander Linden. Et cela peut conduire à des mauvaises interprétations…
Scène du quotidien : le petit Diego a passé une journée difficile à la crèche. Ensemble, ses parents viennent le rechercher le soir. Il tend les bras vers celui des deux qu’il voit en premier et se colle à lui. L’autre parent ne semble plus exister pour lui… « Il faut une belle confiance entre parents pour qu’ils évitent d’interpréter erronément le comportement de leur enfant, explique la psychologue. Non, il n’aime pas plus un parent que l’autre. Si c’était l’autre parent qui était entré le premier, il aurait eu ses grâces car ce qu’il lui fallait, c’était activer au plus vite l’attention d’un parent et sentir que celui-ci répondait à son besoin de sécurité. Les petits, souvent, ne font pas dans la nuance : quand ils ressentent un besoin de sécurité et qu’ils la trouvent dans les bras bienveillants d’un parent aimant, ça peut leur suffire. Inutile de chercher ailleurs, ils ont trouvé, même si l’autre parent est juste à côté. Cela n’a rien à voir avec une préférence, encore moins avec un rejet. Les défauts d’interprétation font souvent souffrir les parents. Certes, nous avons tous besoin de savoir qu’on fait bien, qu’on est apprécié par son petit, qu’un attachement à notre personne s’est créé… et oui, cet attachement a sa spécificité et ne doit pas trouver sa valeur en opposition à l’autre parent. »
PENSEZ-Y
Conseils prêts-à-appliquer ou solutions sur mesure ?
Quelle illusion de croire qu’avec un bébé, il existe LA bonne attitude, LA juste façon de faire, LA parole magique, pire, d’imaginer que les autres les trouvent ou les possèdent, et de se penser ou de se sentir un parent nul de ne pas les trouver, soutient la psychologue en périnatalité Reine Vander Linden.
« Prendre un conseil comme une vérité, c’est se couper l’herbe sous le pied, c’est risquer de restreindre sa propre créativité, ses recherches de solutions. Entre s’abreuver à la source des expériences des autres et se faire confiance, s’ouvre un immense champ d’inventivité. Tomber dans le piège des conseils prêts-à-appliquer, c’est entraver ses propres ressources, perdre foi dans sa capacité à construire et à trouver ses solutions, alimentées par les informations qu’on recueille et qui permettent de comprendre comment fonctionnent les enfants. Car les solutions ne sont valables que pour un bébé unique, singulier, avec les parents qu’il a, à un moment précis. »
LES PARENTS EN PARLENT…
Doutes et agacements
« Ma mère est absolument adorable, elle est très présente à mes côtés, elle m’aide à trouver mon chemin de maman. Et pourtant, j’ose à peine le confier, il y a des moments où elle m’agace, et même plus, à toujours me dire ce que je dois faire. J’en arrive à douter de moi-même, alors que je cherche mes marques de maman. Je me demande comment avancer entre écouter ses conseils et construire ma propre façon d’être avec mon bébé. »
Mélanie, maman de Victor
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