Actu Parents

On en parle rarement de ces chercheurs et chercheuses de solutions qui combinent au quotidien le handicap et la parentalité. Pour lever un coin de voile sur leurs réalités variées, ainsi que sur les droits et les besoins qu’ils ont en commun, nous avons donné la parole à trois professionnelles et à trois parents.
Toute personne en situation de handicap a le droit de « conserver sa fertilité, sur la base de l’égalité avec les autres », d’avoir accès « à l’information et à l’éducation en matière de procréation et de planification familiale » et de « fonder une famille ». C’est ce qui ressort de la Convention des Nations Unies sur les droits des personnes handicapées, dont l’article 23 consacre un véritable droit à la parentalité. En ratifiant cette convention en 2009, la Belgique s’est engagée à faire respecter ce droit et à éliminer les discriminations à l’égard des parents et futurs parents en situation de handicap.
« À l’époque, en tant qu’association qui défend les droits des personnes concernées par le handicap, nous avons été débordés de questions concernant les droits à la vie relationnelle, affective et sexuelle, et nous avons organisé des ateliers et animations en institutions avec le centre de planning familial Soralia », se souvient Christel Luc, animatrice et chargée de projets chez Esenca Liège. Ayant développé une expertise sur le sujet, elle a mis en place, en 2019, un groupe de travail informel « Handicap et parentalité », qui rassemble une quarantaine de partenaires issus des différents secteurs concernés (handicap, petite enfance, aide à la jeunesse…).
Un besoin criant d’accompagnement
« Nous travaillons ensemble pour dénoncer les difficultés de terrain et proposer des améliorations, continue-t-elle. Pour permettre aux personnes en situation de handicap d’exercer leur rôle de parent dans le respect de leurs droits et de ceux de l’enfant, un accompagnement est par exemple nécessaire. Or, à l’heure actuelle, cet accompagnement est insuffisant. Les services de terrain ont besoin de plus de soutien pour prendre en charge de manière adéquate les familles, parce que cela nécessite du temps et un personnel formé. »
Certains services ont développé un accompagnement à la parentalité. C’est le cas de la Ligue Braille pour les (futurs) parents aveugles ou malvoyants (lire le témoignage de Déborah) et de l’asbl SISAHM pour les parents présentant une déficience intellectuelle (lire l’interview d’Anne-Marie De Vleeschouwer). Mais ils restent trop rares, regrette Christel Luc.
Cette dernière insiste également sur la nécessité de former, de sensibiliser et de favoriser la bonne coordination du travail de tou·tes les professionnel·les qui interviennent autour des familles. En ce compris les médecins et le personnel soignant des maternités. Et de citer l’exemple parlant d’une maman en situation de handicap moteur qui avait demandé l’aide d’une sage-femme, à la maternité, pour déballer ses couverts et ses tartines emballés dans du plastique. « Si vous ne savez pas ouvrir vos tartines, comment est-ce que vous voulez vous occuper d’un enfant ? », lui avait répondu la sage-femme, sans réaliser que dans son environnement habituel, adapté à ses besoins, cette maman était bien plus autonome.
Des réalités et des capacités très variées
Derrière le mot « handicap » se cachent évidemment 1 001 réalités extrêmement variées. Christel Luc invite à distinguer les capacités parentales, qui dépendent du type et du degré de handicap, et sur lesquelles on n’a pas ou peu de prise, des compétences parentales, qui peuvent s’améliorer – si nécessaire – grâce à un accompagnement adapté. « Si les personnes qui disposent de capacités parentales suffisantes bénéficiaient d’un meilleur accompagnement, permettant de garantir la réponse aux besoins de l’enfant, il y aurait certainement moins de placements ».
Une autre difficulté que rencontrent de nombreux (futurs) parents en situation de handicap, c’est la croyance encore bien ancrée qu’ils et elles ne peuvent pas ou ne devraient pas avoir d’enfant. « Beaucoup nous disent que c’est le regard des autres qui pose problème, confirme Christel Luc. On part du principe qu’ils sont vulnérables et qu’en raison de cette vulnérabilité, ils ne peuvent pas s’occuper de quelqu’un d’autre ».
Ces préjugés peuvent générer une pression et un stress parental élevés. Ils ont également pour conséquence que le désir d’enfant de ces personnes n’est pas toujours respecté et accompagné par les professionnel·les du secteur, auxquels il faut parfois rappeler qu’imposer une contraception, une stérilisation ou une interruption volontaire de grossesse est interdit par la loi.
Des enjeux d’accessibilité
Carole Van Basselaere, juriste chez Unia, institution publique indépendante qui défend l’égalité et lutte contre les discriminations en Belgique, confirme que des préjugés subsistent au sujet du handicap et de la parentalité, y compris de la part d’institutions prenant des décisions importantes dans la vie de ces personnes, et qu’il s’agit d’un « frein quotidien, très lourd à porter ».
La juriste souligne également les problèmes d’accessibilité auxquels ces parents peuvent être confrontés. Qu’il s’agisse de l’accessibilité de l’information pour les parents avec une déficience auditive, visuelle ou intellectuelle, ou de l’accessibilité physique pour les personnes en situation de déficience motrice.
« L’accessibilité des écoles, des centres de loisirs, des parcs, des plaines de jeux, des transports en commun, etc., laisse souvent à désirer… Que faire lorsque la salle de spectacle où se produit son enfant est inaccessible ? Les enfants des personnes en situation de handicap sont, par association, privés de bon nombre d’activités. Il y a aussi la question du suivi gynécologique des femmes en situation de handicap (lire à ce sujet le témoignage de Chantal-Iris). Faute de matériel adapté, bon nombre d’entre elles renoncent à ce suivi, voire à la maternité. »
Aménagements raisonnables : les parents aussi y ont droit !
Face aux obstacles que rencontrent de nombreux parents en situation de handicap, la juriste rappelle que « toute personne en situation de handicap a droit à des aménagements raisonnables. Il s’agit d’un droit fondamental prévu non seulement dans la Convention de l’ONU, mais aussi dans la Constitution belge (depuis 2021) et dans notre législation antidiscrimination à tous les niveaux de pouvoir. Ce droit s’applique dans quasiment tous les domaines et le refuser constitue une discrimination ».
À l’école, par exemple, le droit aux aménagements raisonnables ne concerne pas que les élèves. Un papa ou une maman à mobilité réduite doit pouvoir participer aux réunions de parents qui le concernent. Mais comme leur nom l’indique, les aménagements mis en place doivent répondre à ses besoins tout en restant « raisonnables ». La solution pourra donc être d’organiser la réunion dans un local situé au rez-de-chaussée, sans pour autant se lancer dans un grand chantier.
« En pratique, nous préconisons toujours de formuler la demande d’aménagements raisonnables par écrit et de chercher à se mettre autour de la table avec les acteurs concernés, continue Carole Van Basselaere. Les aménagements décidés devront aussi être mis par écrit, et si possible pensés sur du long terme ».
PAROLES DE PARENTS
► Déborah, maman d’Iris, 3 semaines
« Je ne vois pas du tout de l’œil gauche et, à droite, je distingue les couleurs et les formes générales. Jusqu’ici, j’avais très peu fait appel aux associations. J’ai toujours essayé de trouver des trucs et astuces par moi-même ou avec mes proches. Mais pour ma grossesse, je me suis dit : ‘Bon, là ça implique quelqu’un d’autre que moi et je préfère être aidée’.
J’avais vu que la Ligue Braille proposait un accompagnement au niveau de la parentalité, alors je les ai appelés et j’ai rencontré l’ergothérapeute toutes les deux semaines, ici à mon domicile. L’idée était d’apprendre des gestes assez pratiques (le change, le bain, les vêtements…) et de me familiariser avec le matériel de puériculture. Même s’il y a des bébés dans mon entourage, il y a plein de choses dont je n’avais aucune idée avant, parce que je n’ai pas de retour visuel… je ne vais pas commencer à aller toucher chez les gens. Pour apprendre les gestes, l’ergothérapeute a un bébé en plastique qui pèse 4 kg, avec une tête un peu souple. Ce n’est pas la même chose de s’entraîner avec un faux bébé, mais ça m’a été utile.
La Ligue Braille proposait également d’aller visiter la maternité avec moi, d’aller sensibiliser le service, mais je n’en ressentais pas le besoin. Je me suis dit que si j’avais des choses à dire à l’équipe, je pourrais en parler moi-même, sur le moment. Et ça s’est globalement bien passé.
Depuis la naissance de ma fille, ça se passe plutôt bien aussi. Au début, je demandais pas mal à mon compagnon de vérifier que je l’avais nettoyée correctement. Le change et le bain, ce sont les choses qui me semblaient les plus compliquées. Alors quand l’ergothérapeute est revenue, on a refait le bain avec elle. Ses visites vont probablement un peu s’espacer. Mais je pense que quand on va passer aux purées, on aura à nouveau besoin de son aide pour trouver une façon de faire. Et puis on verra petit à petit, quand les questions vont se poser. »
► Pierre-Antoine, papa de Théo, 5 ans, et Magnus, 7 ans
« Je suis infirme moteur cérébral de naissance. Je me déplace en chaise roulante, j’utilise des béquilles, je conduis, j’ai un petit scooter. Pour mes enfants, c’est très naturel. Il n’y a rien de surprenant à ça. À leur arrivée, comme tous les parents, on a connu des nuits plus courtes, et toutes les joies qui suivent une naissance. Mais globalement, tout s’est bien passé.
Je considère que ce n’est pas parce que je suis une personne à mobilité réduite que tout doit être adapté. C’est aussi à chacun de mettre les moyens. C’est avant tout une question de logistique et d’organisation. On a une maison adaptée, avec un ascenseur. On a cherché une école dont le projet pédagogique nous correspondait, tout en étant facilement accessible, et on l’a trouvée. On a toujours fonctionné par essai et erreur. Oui, tout me prend un peu plus de temps que quelqu’un d’autre, mais qu’on soit handicapé ou pas, la vie est un défi.
Ce qui est sûr, c’est qu’il faut être dans de bonnes conditions. La notion d’équipe a toujours été importante pour moi : avoir des copains, une famille soutenante, pas des gens qui aident par misérabilisme. J’ai la chance d’avoir une femme extraordinaire. Mais je ne veux pas me reposer trop sur elle. Chacun doit avoir sa place. C’est vraiment un projet de vie. J’espère que ça donnera des petits garçons ouverts sur les autres et tolérants ».
► Chantal-Iris, maman d’Erwan, 1 an, et Sohan, 4 ans
« J’ai eu la polio quand j’étais petite et je me déplace en chaise roulante. J’ai la chance d’avoir une gynéco assez compréhensive, qui s’est adaptée et m’a suivie comme ses autres patientes. Jusqu’à mes 5 mois de grossesse, j’arrivais à monter seule sur sa table d’examen. Ensuite, mon compagnon m’a accompagnée aux rendez-vous pour pouvoir me porter. J’ai eu de belles grossesses qui m’ont permis de continuer mes activités de cyclodanse. Deux jours avant d’accoucher, j’ai même pu réaliser un grand spectacle au centre culturel d’Ottignies.
Devenir mère ne m’a jamais effrayée. J’ai toujours su que je pouvais y arriver. C’est convaincre l’entourage qui a été plus difficile. Certaines personnes me dévisagent de haut en bas, l’air de dire : ce sont vos enfants ? Un jour, alors que je descendais la rue avec mon enfant sur les genoux, une femme m’a lancé : ‘Attention, ce n’est pas une poupée !’.
Quand je sors avec mes enfants, j’essaye de montrer une certaine assurance, de montrer que je suis capable. Ici à Louvain-la-Neuve, c’est assez facile. On sait vraiment accéder partout. J’ai fait mettre une planche d’accès derrière ma chaise roulante électrique pour le plus grand, et je porte le second sur mes genoux. C’était mon idée. Mais je n’ai pas pu obtenir d’aide financière pour réaliser cette adaptation, qui a quand même couté 600€. Le lit de bébé aussi, nous avons dû l’adapter nous-mêmes. Il n’y a pas grand-chose qui est prévu.
Mais la société évolue tout doucement et je suis très contente de pouvoir dire haut et fort, à travers ce témoignage, qu’on peut être maman en situation de handicap ».
ZOOM
Accompagner les parents avec une déficience intellectuelle
Anne-Marie De Vleeschouwer coordonne le soutien à la parentalité à l’asbl SISAHM, un service d’accompagnement bruxellois destiné aux personnes en situation de déficience intellectuelle.
Qui sont les parents que vous accompagnez ?
Anne-Marie De Vleeschouwer : « Nous accompagnons souvent des mamans seules, la plupart du temps en situation de déficience intellectuelle légère, mais parfois modérée. Ce sont des parents qui n’ont pas forcément confiance en eux et qui ont envie de bien faire, parce qu’ils savent qu’ils sont observés et qu’au moindre faux-pas, on risque de leur prendre leur enfant. Mais ils rencontrent des difficultés de compréhension, d’accès à l’information. Souvent, ce sont aussi des parents qui ont des difficultés à mettre des limites à leur enfant. Ils nous disent qu’ils ont peur de perdre leur amour s’ils leur mettent trop de limites. Et bien que leur handicap soit ‘invisible’, certaines jeunes mamans prennent le parti de ne plus sortir de chez elles parce qu’elles n’arrivent pas à gérer leur enfant et qu’être confrontée au regard des autres est compliqué. »
Comment se passe l’accompagnement que vous leur proposez ?
A.M. D.V. : « C’est un accompagnement sur du long terme, sur plusieurs années. Comme nous ne sommes pas mandatés par un juge ou une autre instance, la motivation des parents est importante. Nous les rencontrons deux ou trois fois par mois. À SISAHM, à domicile ou dans leurs contacts avec le réseau de la petite enfance. Certains ne comprennent pas ce que l’instituteur, la logopède ou le juge leur dit. Nous essayons alors de réexpliquer ou de reformuler les informations. Aujourd’hui, nous insistons aussi pour accompagner les parents dans leur recherche de crèche. C’est devenu un prérequis : il est important que l’enfant aille à la crèche pour qu’il ait des limites, des repères, de la stimulation, du jeu… Cette stimulation au cours des trois premières années de l’enfant, est très importante pour son développement. »
Pour travailler avec ces parents, vous avez développé deux outils pédagogiques…
A.M. D.V. : « Nous nous sommes rendu compte qu’ils avaient besoin d’informations accessibles et largement illustrées, écrites dans un langage facile à lire et à comprendre. Comme nous ne trouvions pas d’outils qui correspondaient à ce que nous cherchions, nous avons réalisé ces deux coffrets. Ils ont été construits en collaboration avec un groupe de travail regroupant des collègues, une crèche spécialisée, un service d’aide à la jeunesse, une référente maltraitance de l’ONE, une mission d’intervention intensive en famille… et revus par un pédiatre de l’ONE.
Le premier date de 2015 et contient notamment un carnet illustré destiné aux parents et reprenant les principaux thèmes qui jalonnent leur vie : les limites, le rythme du sommeil, l’alimentation équilibrée, etc. On explique ce qui est conseillé, ce qui n’est pas conseillé, et pourquoi. Une série de cartes avec des photos de mises en situations basées sur des faits réels permet également de faire réagir les parents : est-ce conseillé ou déconseillé ? On y voit par exemple un enfant installé dans un parc sans jouets ou encore un papa qui lit une histoire à son enfant…
Nous avons ensuite réalisé qu’au centre de chaque situation, il y avait un petit bonhomme ou une petite fille, et qu’il fallait pouvoir mettre davantage l’accent sur la bienveillance à l’égard de cet enfant. Le second coffret, créé en 2019 avec le même groupe de travail auquel s’est adjoint le Délégué général aux droits de l’enfant, complète le premier. On y parle des étapes de développement de l’enfant, de ses besoins fondamentaux, de ses droits... Le fait d’expliquer que les enfants ont des droits nous donne un levier supplémentaire pour dire aux parents : ‘Ce n’est pas nous qui le disons, c’est la loi’. »
En général, les parcours de ces familles se passent-ils bien ?
A.M. D.V. : « Dans toutes les situations, il y a des choses qui se passent bien et d’autres qui sont plus compliquées. Nous essayons le plus possible de laisser leurs responsabilités aux parents. On va vers une parentalité partagée, où le parent garde son rôle de parent. Mais nous leur mettons des balises pour qu’ils ne soient pas seuls. Le point central est vraiment le bien-être de l’enfant. Nous y sommes très vigilants. Si nous voyons qu’il y a un danger pour l’enfant ou une négligence qui tend vers la maltraitance, nous pouvons intervenir. Mais il ne faut pas dresser un tableau trop noir, il y a beaucoup de jolis parcours qui se font. »
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