Vie pratique

Parents, envie d’une cure détox ?

Focus sur « Parents, on vous prend pour des cons ! », le dernier livre du pédopsychiatre français Patrick Ben Soussan

Parents, on vous prend pour des cons ! Le pédopsychiatre français Patrick Ben Soussan a le goût de la provoc. Son dernier livre, paru chez Érès, a tout d’un « J’accuse ». Le coup de gueule est salutaire. Entretien.

Auteur prolifique, Patrick Ben Soussan est connu pour ses ouvrages (teintés d’érudition et d’humour) sur la parentalité, les bébés et la culture ou le soutien aux malades du cancer.
Son nouvel opus, Parents, on vous prend pour des cons !, « prétend vous offrir une grande cure détox, écrit-il en préambule. Et nettoyer votre corps et votre esprit de toutes ces recettes modernes, stressantes et polluantes, qui vous promettent en si peu de temps et d’énergie, bon, un peu d’argent tout de même, un avenir de parent bienheureux et comblé ». Il tire dans toutes les directions : sur l’éducation positive et Isabelle Filliozat comme sur le time out selon Caroline Goldman.
Pourquoi ce coup de gueule maintenant ? « Parce qu’en prenant de l’âge, je commençais à en avoir sérieusement plein les oreilles de ces injonctions sociétales et de ces discours moralisateurs sur la parentalité », nous répond le pédopsychiatre. Ainsi, il fustige « les attentes irréalistes dictées aux parents, souvent véhiculées par des manuels, des expert·es autoproclamé·es ou des normes culturelles qui tendent à culpabiliser plutôt qu’à soutenir ». Il illustre : « ‘Faites-vous confiance, vous avez des ressources et des potentialités’ : tant de pédiatres et de psys ont délivré ce message lumineux aux parents. Il est répété aujourd’hui, mais totalement dénaturé, car, après vous avoir dit de vous faire confiance, on vous explique comment y parvenir ! ».
Il pointe également la baisse de la natalité dans les pays dits occidentaux et développés, et interroge : « Jamais on n’a autant exigé des mères. Cette charge mentale maternelle n’aurait-elle pas un impact sur le choix de la parentalité ? ». Il développe « une espèce d’urticaire géante à l’encontre de ces papes et papesses en parentalité, qui prétendent tout savoir et veulent imposer leur modèle à tout le monde ».

La parentalité, un « art brut »

La parentalité est au cœur d’échanges passionnels. Pour Patrick Ben Soussan, notre monde 2.0 y est, c’est sûr, pour quelque chose. « Si on veut être entendu, il faut buzzer ! Les réseaux sociaux ont tendance à polariser les débats, à exacerber les clivages sur toutes ces questions de parentalité, en transformant des choix personnels en véritables guerres idéologiques. Mais, dans la réalité, les choses ne sont pas aussi claires et tranchées ».
Certains parents ont choisi leur camp, ils sont fans d’une pratique ou d’une méthode portée par un·e expert·e en parentalité – qu’il ou elle soit reconnu·e ou autoproclamé·e. Beaucoup d’autres sont paumés dans la masse de prescriptions et d’injonctions en tous sens. À eux, le livre du pédopsychiatre fera un bien fou.
« ‘Nous étouffons parmi les gens qui croient avoir absolument raison’, disait Albert Camus. Il faut en finir avec toutes ces certitudes autour de l’éducation ! Quand on demandait à Françoise Dolto si elle donnait des conseils aux parents, elle répondait que oui, mais elle leur rappelait également qu’il ne fallait pas les suivre aveuglément. Elle considérait ses conseils comme des pistes de réflexion, et surtout pas comme des recettes immuables qui convenaient à toutes les familles. »
Patrick Ben Soussan est critique à l’égard du virage néolibéral que notre société a pris, « en promouvant la reconnaissance d’un individu-parent supposé libre, c’est-à-dire dégagé de toute détermination sociale, culturelle, éducative et qui pourrait faire de sa vie de parent ce qu’il veut, comme il veut ». Pour lui, parent n’est pas un « métier » qui exige des compétences et s’apprend à coup de formations, d’ateliers, de techniques ou de recettes.
Le pédopsychiatre fait l’éloge de la sobriété et de l’humilité. Il voit la parentalité comme un « art brut » à créer au hasard des trouvailles de la vie, à partir de bric et de broc. Le message est libérateur.

L’enfant, un « désordre réjouissant »

Livre coup de gueule, Parents, on vous prend pour des cons ! est aussi un coup de cœur pour ces derniers, pour qu’ils puissent vivre leur parentalité le plus sereinement possible. Un plaidoyer politique en leur faveur. « La parentalité est une épreuve collective. Le bonheur parental standardisé que certaines personnes croient pouvoir nous vendre n’est que ‘marchandise’. Qu’on accompagne, donc, les parents au quotidien, en développant les lieux d’accueil de la petite enfance, les PMI (ndlr : en France, les services de protection maternelle et infantile, l’équivalent de nos consultations de l’ONE), les lieux d’accueil enfants-parents… Qu’on leur offre des logements où il fait bon vivre, des conditions de travail moins stressantes, des trajets plus courts, des villes à hauteur d’enfant, des espaces publics où leurs enfants jouent en sécurité, des repas sains… ».
Ce qui manque aussi, ce sont ces conversations entre parents, banales, qui mêlent savoirs et racontars et qui rassurent tant. « Souvenons-nous du parc ou du bac à sable où les parents discutaient autour de leurs enfants qui jouaient. On a, d’une certaine façon, recréé cette convivialité, cet art de parler de tout et de rien, avec les réseaux sociaux. Mais rien n’égalera une causette impromptue ! ».
L’enfant est un « désordre réjouissant », conclut Patrick Ben Soussan. « Il apporte plein de bonheurs dans nos vies et, dans le même temps, il sait les ébranler, les déstabiliser, voire les dynamiter. Reconnaissons à la parentalité cette disposition à être une incroyable expérience, mêlant routines quotidiennes et moments d’intensité exceptionnelle ».