Crèche et école

Parents et enseignants contre l’échec scolaire

Cela se passe à Lille sous l’égide d’ATD Quart-Monde. Des professeurs, des parents et des acteurs du quartier suivent une même formation pour dépasser les préjugés et œuvrer ensemble à la réussite scolaire des enfants de milieux défavorisés. Une expérience à multiplier. Reportage.

La matinée est studieuse, conviviale. La méthode bien rodée. Dans cette vaste salle du centre social Mosaïque, au cœur de Fives, une zone populaire de Lille, cinq groupes planchent sur le thème de la réussite scolaire pour tous. L’un rassemble des acteurs du quartier (travailleurs sociaux, responsables associatifs), deux sont composés exclusivement d’enseignants, deux autres réunissent des parents : d’un côté, ceux qui ont « aimé » l’école ; de l’autre, ceux qui en gardent un mauvais souvenir.

La rentrée : difficile pour les parents

Au fil de cette rencontre, ou plutôt de cette formation, pour laquelle les professeurs bénéficient d’une démarche, chaque groupe débat en interne, puis partage ses positions avec les autres, émet des propositions. Développée par l’association ATD-Quart-Monde, co-organisatrice, cette méthode du « croisement des savoirs » a pour avantage, comme le souligne Véronique, la directrice du centre social, « d’éviter les prises de position trop personnelles et les enjeux de pouvoir ».

L’objectif consiste avant tout à dépasser les a priori et les malentendus qui foisonnent autour de l’école. « Même au sein d’un groupe de parents, on se rend compte que chacun peut avoir, en fonction de sa personnalité et de son vécu, une appréhension tout à fait différente des enjeux scolaires, constate Céline, volontaire permanente chez ATD. Certains accompagnent leur enfant à l’école en toute sérénité dès le premier jour de l’année. D’autres auraient besoin d’anticipation, d’informations en amont de la rentrée pour être rassurés. »

Précisément, la réunion de rentrée reste un moment au cœur de la discussion. « Nous aurions souhaité une première réunion dès la fin de l’année précédente, glisse une maman. Mais nous avons pris conscience des contraintes qui pèsent sur les enseignants, du fait que l’équipe peut être amenée à changer en septembre », poursuit-elle.
Sa voisine, elle, a bien entendu ce que disaient les professeurs, sur un ton interprété comme du « reproche », au sujet de certaines familles qui ne participent quasiment jamais à ce type de rencontres. « On nous demande de venir sans nos gosses. Comment je fais, moi, qui vis seule avec mes deux enfants, sans personne d’autre pour les garder ? ».

Tous les adultes autour de l’enfant

Un autre groupe émet la proposition d’élargir cette réunion de rentrée aux acteurs du quartier. Proposition immédiatement saluée. Car ces derniers ont, eux aussi, souvent une bonne connaissance, sinon de chacun des enfants, du moins du contexte dans lequel ils évoluent. Ils détiennent aussi des informations sur les activités de loisirs et l’accompagnement à la scolarité proposés en dehors de l’école. Ils peuvent également, comme le fait le centre social, aider les parents d’élèves à décrypter les attentes des enseignants et à se structurer en association pour un dialogue plus équilibré et plus constructif avec l’institution scolaire.

L’idée qui, très vite, s’impose, c’est que tous les adultes ont leur rôle à jouer dans la réussite des enfants. « Nous avons clairement besoin de cohésion, de sens commun, observe Audrey, professeur du premier degré. Certains parents ont le sentiment que nous manifestons une attitude de supériorité. Au contraire, j’essaie d’aller vers eux, notamment vers ceux qui ont gardé un mauvais souvenir de leur scolarité. Cela passe par des choses toutes simples, l’organisation d’un petit déjeuner dans la classe ou bien le fait de s’attarder devant l’école, après les cours, pour parler avec eux de tout, de rien ».

Forte d’une expérience dans un lycée français aux Pays-Bas, Audrey est convaincue qu’un enseignant doit aussi chercher à comprendre les différences culturelles qui s’expriment dans certaines familles, voire à dépasser - le cas échéant, en mobilisant d’autres parents - les différences linguistiques qui peuvent constituer un obstacle à l’accompagnement de la scolarité de leurs enfants.

Pour que cette alliance de tous les adultes soit possible, encore faut-il que chacun se sente « légitime », insiste une inspectrice de l’Éducation nationale, venue assister à la formation, avec le projet de dupliquer l’expérience ailleurs dans le nord de la France et pourquoi pas aussi en Belgique. Il faut « faire comprendre aux parents, y compris et surtout à ceux qui sont culturellement les plus éloignés de l’école qu’ils sont les experts de leurs enfants ».

► Une indispensable reconnaissance mutuelle 

Pour le sociologue Pierre Périer, professeur en sciences de l’éducation à l’Université de Haute-Bretagne, à Rennes (et auteur d’École et familles populaires, sociologie d’un différend, publié par les Presses universitaires de Rennes), les enseignants doivent davantage reconnaître les parents tels qu’ils sont, en partant de ce dont ils sont capables, plutôt que de les taxer, comme ils le font souvent, de « démissionnaires » quand ils s’éloignent du rôle que l’école leur assigne.

Dans quelle mesure la qualité des relations entre parents et enseignants contribue-t-elle au succès scolaire de l’enfant ?

Pierre Périer : « On ne dispose pas de recherches convergentes qui nous aideraient à mesurer de manière précise les bénéfices scolaires de bonnes relations entre parents et enseignants. Mais on peut dire, à l’évidence, que la nature de ces rapports compte parmi les multiples facteurs pouvant contribuer à un cercle vertueux ou, au contraire, à une spirale de l’échec. »

Donner du sens à l’école

Diriez-vous que l’implication de la famille dans la scolarité de l’enfant peut être décisive ?

P. P. : « Oui. Mais encore faut-il préciser ce que l’on entend par là. Il peut s’agir de ce que j’appelle une implication ‘visible’ : on échange régulièrement avec l’enseignant, on prend part aux réunions, on s’engage dans une association de parents d’élèves. Cela permet de faire le lien entre l’école et la maison. Et cela contribue, si besoin est, à mobiliser ou remobiliser l’enfant dans ses apprentissages scolaires. Mais l’implication peut aussi être ‘invisible’ : sans forcément être physiquement très présent à l’école, ni suivre de très près la scolarité de son enfant, on peut très bien accorder une place non négligeable aux savoirs scolaires dans l’espace domestique. Cela suppose de faire prendre conscience à l’enfant - par des discussions sur le sens des apprentissages, sur son projet professionnel - que son avenir passe par l’école. Et à mon sens, le principal levier est celui-là : le sens que les parents donnent à l’école. On le voit dans beaucoup de familles venues de l’étranger : pour des raisons qui tiennent souvent à la maîtrise du français, elles n’arrivent pas forcément à suivre de près la scolarité de leurs enfants, mais elles parviennent, en tout cas à la première génération, à leur donner le goût de l’école, précisément parce que la perspective de meilleures possibilités d’études faisait souvent partie de leur projet migratoire. »

Encore faut-il que les enseignants, notamment, ne disqualifient pas les parents incapables d’aider leurs enfants dans des tâches purement scolaires…

P. P. : « Cette reconnaissance mutuelle est capitale. Et elle suppose effectivement que les enseignants reconnaissent les parents tels qu’ils sont, qu’ils tiennent compte de ce dont ils sont capables. Ou pour dire les choses un peu différemment : que les professeurs se rendent compte que le rôle attribué, comme une évidence, par l’école aux parents (l’aide aux devoirs, notamment) est le fruit d’une construction sociale et qu’il ne peut être endossé par tous. Ils doivent aussi prendre conscience que moins les parents peuvent aider leurs enfants dans les apprentissages, plus ils sont dépendants de l’école. Ce que les professeurs ont tendance à considérer comme une ‘démission’ n’est bien souvent qu’une forme de ‘délégation’ : on s’en remet à plus compétent que soi. Ceci étant dit, les parents ne peuvent pas non plus se détacher totalement de la scolarité, ne serait-ce que parce qu’ils ont des droits à exercer, des décisions à prendre, notamment en matière d’orientation. »

L’école doit-elle apprendre aux parents à devenir des parents d’élèves ?

P. P. : « Elle doit avant tout s’employer à bâtir cette indispensable reconnaissance mutuelle. Et ce, le plus tôt possible, dès l’entrée en maternelle. Il ne s’agit pas d’apprendre aux parents à devenir des auxiliaires du service d’enseignement, mais d’échanger avec eux sur la façon dont la question scolaire rejoint la thématique plus large de l’éducation et fait écho aux notions d’autorité, de gestion du temps (d’arbitrage entre les jeux vidéo et la lecture, par exemple). De même, il faut se garder d’être normatif, de dire aux parents quels comportements ils doivent adopter. Au contraire, il faut décider avec eux de la forme que prennent les rencontres, du moment où elles sont programmées, des sujets qui y sont abordés. Ce peut être l’occasion de faire passer des messages à la fois simples et utiles, sur l’importance de développer chez l’enfant la persévérance ou encore sur l’utilité, démontrée par une expérience suédoise, d’amener les pères (et pas seulement les mères) à lire des livres à leurs petits. »

En savoir +

ATD Quart Monde ouvre les portes de l’école

« Tous les enfants peuvent réussir à l’école. » C’est la conviction d’ATD Quart-Monde. C’est aussi le nom du programme que cette association conduit, avec de nombreux partenaires, en France, un pays où, plus qu’ailleurs, selon l’OCDE, les résultats scolaires sont liés aux origines sociales et culturelles des élèves. Parmi les leviers d’action : un rapprochement entre les familles populaires et l’école. Fondée dans les années 1950 au cœur d’un bidonville de la banlieue parisienne par le père Joseph Wresinski avec l’objectif de rendre leur dignité aux pauvres, ATD Quart-Monde est également présente en Belgique, où elle anime, entre autres, une « université populaire » et où elle multiplie les interventions dans les établissements scolaires.

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